Menaces tarifaires | Les experts disent qu’Ottawa aurait pu tenir tête à Donald Trump

Menaces tarifaires | Les experts disent qu’Ottawa aurait pu tenir tête à Donald Trump
Menaces tarifaires | Les experts disent qu’Ottawa aurait pu tenir tête à Donald Trump

Le Canada aurait pu tenir tête plus fermement à Donald Trump, dont la menace d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens a conduit le gouvernement Trudeau à annoncer des investissements majeurs pour renforcer sa frontière, selon des experts interrogés par La Presse canadienne.

Pierre Saint-Arnaud

La Presse Canadienne

Le simple fait d’exiger du Canada qu’il renforce la frontière pour ralentir l’entrée de migrants et de drogues aux États-Unis « n’est pas normal, ce n’est pas la norme, cela l’est même, en termes de statut juridique très discutable », estime Charles- Philippe David, président de l’Observatoire des Etats-Unis.

«C’est pour donner à Donald Trump l’impression de gagner», note le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand à l’UQAM.

Donald Trump ne considère que les jeux à somme nulle dans ses interactions, ses transactions avec les individus, les entreprises, les États, le monde entier. Alors on n’y échappe pas, même si nous sommes des voisins qui devraient avoir un peu plus de considération que ça, il perçoit notre relation comme un jeu à somme nulle.

Charles-Philippe David, président de l’Observatoire des Etats-Unis

Pierre Martin, politologue et spécialiste de la politique américaine à l’Université de Montréal, reprend presque les mêmes mots : « C’est une façon pour lui de dire qu’il a gagné, que le Canada a réagi et qu’il va se déclarer vainqueur. et donc se vanter en disant que sa politique maximaliste a donné quelque chose, qu’il n’avait qu’à formuler des exigences et que le Canada s’est immédiatement mis au garde-à-vous pour répondre à ses demandes. »

La responsabilité du Canada

M. Martin apporte cependant une nuance : il est effectivement légitime qu’un État demande à un État voisin de contrôler ses frontières. « Il y a une certaine dimension de ce qui est demandé qui peut effectivement relever de la compétence du Canada. Selon M. Trump, les migrants pourraient facilement entrer au Canada dans le but d’entrer aux États-Unis, car la frontière canado-américaine est relativement poreuse. Les migrants qui entrent au Canada sans trop de difficulté pourraient donc être une source de migrants potentiels vers les États-Unis. La demande, si l’on veut, est de renforcer les contrôles afin d’éviter cette route migratoire vers les États-Unis. »

Et si Christian Deblock, chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM, qualifie la demande américaine d’« inhabituelle », il rappelle à son tour qu’à une frontière, « il ne faut quand même pas « perdre de vue qu’il y a sont deux pays égaux en droit et donc chaque partenaire, chacun des deux pays, est censé veiller au respect de la sécurité à la frontière.»

Le Canada et les États-Unis sont également liés par un accord non écrit connu sous le nom de Serment de Kingston, basé sur les déclarations de 1938 du président Franklin Delano Roosevelt et du premier ministre William Lyon Mackenzie King, en vertu duquel le Canada bénéficie, s’il est menacé, de la protection de les États-Unis et assure, en échange, une protection contre les menaces qui pourraient être dirigées contre les États-Unis depuis son propre territoire.

Toutefois, le plan canadien visant à renforcer la sécurité des frontières annoncé mardi, qui s’élève à 1,3 milliard sur six ans, comprend des investissements majeurs dans la surveillance de la frontière terrestre, par laquelle aucun migrant ni drogue n’entre au Canada. destiné aux États-Unis.

Les migrants qui entrent illégalement aux États-Unis arrivent au Canada par avion et par drogue, principalement par bateau. L’ajout d’hélicoptères et de drones pour la surveillance des frontières terrestres par exemple soutient donc principalement les services frontaliers américains.

Aplaventrisme

Charles-Philippe David ne mâche pas ses mots face à l’empressement du Canada à répondre aux exigences de Donald Trump : « J’ai l’impression qu’on a cédé, qu’on joue à l’aplaventrisme pour tenter de gagner ses faveurs. Les intimidateurs ne peuvent pas être vaincus en étant modérés ou trop diplomates. Nous ne pouvons pas apaiser Donald Trump. » Le simple fait que Justin Trudeau se soit rendu si vite à Mar-a-Lago pour rencontrer le président élu, « ça ressemble un peu à la cour du roi où tout le monde passe pour se baiser les mains et garder les faveurs du leader », imagine-t-il. .

Christian Deblock souligne que le nouvel homme fort, même s’il n’est pas encore entré à la Maison Blanche, « a toujours travaillé comme ça, c’est-à-dire qu’il utilise la pression dans un premier - pour faire peur aux gens. au partenaire, puis s’ajuste. Il s’agit d’un argument de négociation, d’un rapport de force que Trump cherche à établir avec le Canada, comme il l’a toujours fait.

«C’est une façon de formuler des exigences clairement exagérées ou maximalistes pour faire avancer le Canada», argumente Pierre Martin. Mais ce sont des questions dont nous ne pouvons pas facilement mesurer le résultat. Car, qu’il s’agisse de migrants irréguliers ou de substances illégales, comment savoir si la demande a abouti ou non ? Oui, ce sont des choses que l’on pourra mesurer à très long terme sur un certain nombre d’indicateurs, mais il sera difficile pour quiconque de brandir un résultat qui justifierait la levée des tarifs douaniers.

Allier avec le Mexique

Mais, estime Charles-Philippe David, il aurait été possible de résister : « La manière de se lever aurait été de s’allier avec le Mexique et de dire, nous sommes deux partenaires sur trois dans cette affaire qui vous disent : nous ne pouvons pas prendre par ce chemin, nous nous ruinerons tous les trois. Mais cela aurait pris des couilles. » Il déplore que des hommes politiques canadiens, dont le Premier ministre ontarien Doug Ford, aient jeté le Mexique sous le bus : « C’est grave, car c’est quand même une défection. Et à qui profite-t-il ? Eh bien oui, celui qui perçoit tout cela comme un jeu à somme nulle. »

« Je pense que nous aurions été dans une bien meilleure situation si nous étions aux côtés du Mexique et disions, d’accord, dans ce jeu à somme nulle, si vous décidez d’imposer un droit de douane supplémentaire, sachez que la moitié de vos produits agricoles, sachez que la moitié de vos produits automobiles dans le secteur notamment »micros», vous devrez payer un supplément que nous vous imposerons dans ces deux domaines. Vous verrez que les consommateurs américains ne seront pas du tout contents – et je n’ai même pas mentionné le pétrole ou le gaz naturel. »

Les trois chercheurs s’attendent à voir exactement les mêmes tactiques d’intimidation lorsque viendra le - de discuter des obligations financières du Canada envers l’OTAN ou de réviser l’ACEUM (Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique). ).

Et aucun d’eux n’est surpris de voir Donald Trump se moquer de Justin Trudeau en le traitant de gouverneur des 51e État américain.

Invitation à aggraver le harcèlement

Dans une publication de l’Université York il y a une semaine, le professeur Ilan Kapoor, spécialiste de la théorie psychanalytique en politique, et son collègue politologue Gavin Fridell de l’Université St. Mary’s, ont écrit que « pour le Canada, il est peu probable qu’apaiser Donald Trump ou trahir le Mexique puisse avoir un effet sur le président élu. Au contraire, ces efforts pourraient bien être considérés comme la preuve qu’il faudra davantage d’intimidation pour obtenir encore plus de concessions. Les récentes provocations de M. Trump contre M. Trudeau prouvent en fait que l’escalade des intimidations sera une tactique présidentielle constante dans les mois et les années à venir. »

« La propriété de intimidateur ou l’intimidateur, c’est détecter la faiblesse de son homologue. Et force est de constater qu’à l’heure actuelle, Justin Trudeau est fragilisé et dans une situation politique extraordinairement précaire. Trump sent cette vulnérabilité et il va l’exploiter, note Pierre Martin. La meilleure chose que vous puissiez faire dans une situation comme celle-ci est simplement de laisser couler les choses, de ne pas vous en énerver. Plus on se sent offensé et surtout plus on projette cette indignation et l’exprime, pour lui, c’est une sorte de récompense pour provoquer, susciter l’indignation chez ses homologues canadiens. Si on laisse tomber, si on n’en parle pas, cela n’a aucun effet. »

« Un tyran né, éprouvé »

«C’est dans l’ADN de Donald Trump», renchérit Charles-Philippe David. Il est comme ça et il l’était lors des primaires républicaines de 2016 et il l’est toujours aujourd’hui. C’est un tyran né, c’est prouvé. Évidemment, nous le prenons personnellement parce qu’il est notre Premier ministre, mais il est le même que tant d’autres. »

Pour Christian Deblock, ces moqueries envers le Canada et son Premier ministre « font partie de la provocation. C’est une provocation gratuite, mais c’est quand même une provocation pour agacer le gouvernement. Mais vous remarquez que personne n’a répondu. C’est aussi bien d’ailleurs. »

En fait, il n’y a que les médias qui en parlent, constate amusé Pierre Martin : « Le fait que vous en parliez – en tant que journaliste c’est évidemment votre métier – mais vous tombez dans son jeu. »

 
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