Un pistolet sur la tête et un genou à terre.
L’image est forte, mais c’est la position dans laquelle se trouve le Canada, à un mois et demi de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
Nous l’avons entendu haut et fort : le président élu prévoit d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur toutes les exportations canadiennes, dès son entrée en fonction.
Cette menace reste d’actualité pour Ottawa.
Mais depuis lundi, le gouvernement de Justin Trudeau doit aussi jongler en direct avec son implosion. Une crise politique majeure qui se superpose à une guerre tarifaire imminente.
Cela n’augure rien de bon pour l’avenir.
En claquant la porte avec fracas lundi, juste avant de déposer sa mise à jour budgétaire, la ministre des Finances Chrystia Freeland a révélé son profond désaccord avec plusieurs politiques de Justin Trudeau.
Elle trouve le Premier ministre trop dépensier, ce qui est évident. Mais elle l’a également mentionné dans sa lettre de démission : la « réponse d’Équipe Canada » aux menaces de Trump ne semble pas prête. Ceux-ci doivent être pris « au sérieux ».
C’est très inquiétant. Car Freeland, malgré plusieurs défauts, sait de quoi elle parle dans cette affaire.
J’ai eu la chance, ou du moins l’occasion, d’assister à la première dispute tarifaire entre le Canada et les États-Unis, lors du premier mandat de Trump.
Le président a imposé une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en vigueur depuis 1994.
Le poing sur la table, il l’a qualifié de « pire accord commercial de tous les - ».
Alors correspondant parlementaire de La presseJ’ai pu documenter cette négociation sans fin entre Washington, Ottawa et le Mexique. Les pourparlers ont duré 14 mois.
Quatorze mois de discussions acrimonieuses, de sorties brusques du président Trump et de compromis âprement obtenus. Tous ces travaux ont finalement abouti à un nouvel accord : l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA).
C’était en 2018. Il y a des siècles, semble-t-il.
Le contexte, bien que tendu, n’a pas grand-chose à voir avec celui d’aujourd’hui. Le gouvernement Trudeau était encore jeune et vigoureux. Uni. Chrystia Freeland, alors aux Affaires étrangères, avait réussi à constituer une véritable « Équipe Canada », qui parlait d’une seule voix face au mastodonte américain.
Donald Trump entame son deuxième mandat sur un ton bien plus revanchard qu’à l’époque. Encore plus protectionniste.
Son interlocuteur à Ottawa, le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, est en sursis. Non structuré.
Trump fait peser deux menaces sur ses voisins immédiats, le Canada et le Mexique.
La plus lointaine est la renégociation de l’AEUMC, en 2026. La plus pressante : ces fameux droits de douane de 25 % sur toutes leurs exportations vers les Etats-Unis, à partir du mois prochain. À moins que les deux pays ne rendent leurs frontières étanches pour arrêter le flux migratoire et le trafic de drogues dures.
Grosse commande…
Le dernier énoncé économique préparé par Chrystia Freeland offre une timide réponse à la demande – ou plutôt à l’injonction – de Donald Trump.
Ottawa investira 1,3 milliard sur cinq ans pour sécuriser ses frontières, a-t-on appris lundi. Deux cents millions et de la poussière chaque année.
Cela ne semble pas grand-chose, compte tenu de l’ampleur de la menace.
Le ministre Dominic LeBlanc, proche de Justin Trudeau, remplacera Freeland aux Finances. Cela peut être considéré comme un signe encourageant. Il est connu pour son sens du relationnel et s’est déjà rendu fin novembre à la résidence de Donald Trump en Floride avec le Premier ministre. Un début de relation avec ses homologues américains.
LeBlanc jouera un rôle de premier plan dans les futures négociations avec Washington sur les tarifs douaniers. Un atout pour Ottawa, sans doute, d’autant plus que Chrystia Freeland a irrité au plus haut point le président américain. Il a également salué la démission du ministre au comportement « toxique » tard lundi soir sur les réseaux sociaux.
Il n’en reste pas moins que la réponse canadienne aux menaces de Trump reste floue. Le plan de match – et la composition – de la future « Équipe Canada » reste inconnu.
Surtout : le gouvernement en place à Ottawa risque d’être battu d’ici quelques mois, selon tous les sondages… Une nouvelle équipe conservatrice devrait prendre le relais, ce qui laisse présager une période d’incertitude.
Tout cela est anxiogène, tant pour les exportateurs que pour les consommateurs qui pourraient voir les prix de plusieurs biens exploser. Un climat d’extrême tension à la Trump.
J’en ai discuté avec l’ancien ministre libéral des Finances Raymond Bachand. Il a agi comme négociateur en chef pour le Québec lors de la renégociation de l’ALENA.
M. Bachand ne s’inquiète pas outre mesure de l’impact de la crise à Ottawa sur les futures négociations avec Washington.
En 2017 et 2018, rappelle-t-il, l’essentiel des discussions et du lobbying était fait par la vaste coalition de « l’Équipe Canada », composée d’élus certes, mais aussi de chambres de commerce, de syndicats, de représentants provinciaux et de hauts fonctionnaires.
Il sera urgent de constituer une nouvelle équipe de négociation solide, souligne-t-il. Et puis, comme dans un match de hockey, procéder période par période. En donnant la priorité au premier et au plus urgent : l’apaisement de la sécurité des frontières par l’administration Trump.
Très bien.
Mais pour rester dans l’analogie sportive, le Canada débute le match avec plusieurs joueurs en moins. Et un capitaine blessé au haut du corps.