« Politiquement, la se rapproche de l’Italie »

Nommé Premier ministre vendredi 13 décembre, François Bayrou a immédiatement entamé des consultations avec tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, en vue de vérifier que son futur gouvernement ne subira pas le sort de son prédécesseur Michel Barnier. Ce procédé n’avait jamais été utilisé sous le VEt République et est similaire à la pratique institutionnelle de l’Italie.

Explications avec Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po. Egalement titulaire de la Chaire de Relations franco-italiennes pour l’Europe à l’Université Luiss de Rome, il a récemment publié Gauche. Crise et défis de la gauche européenne (fin du XXe siècle-années 2020)(Milan, Feltrinelli, 2024).

Emmanuel Macron a confié à François Bayrou la mission de consulter les partis en même - qu’il doit former son gouvernement, dans le but de parvenir à un pacte de non-censure. Est-ce quelque chose de nouveau dans la pratique des institutions V ?Et République?

Marc Lazar : Dès que le gouvernement Barnier a été censuré par l’Assemblée, on a assisté à cet événement incroyable d’un président de la République convoquant les chefs de partis et les présidents de groupes parlementaires – hors Rassemblement national – à l’Elysée, ce qui n’a pas eu lieu. n’a jamais été vu depuis le début du VEt République.

Vendredi, le même chef de l’État a nommé le Premier ministre, conformément à l’article 8 de la Constitution, mais avec la spécification de mener des consultations pour former une base suffisante – ne parlons pas de majorité – au Parlement.

Les acteurs politiques, et peut-être l’opinion publique elle-même, commencent à se rendre compte que nous sommes dans une situation totalement nouvelle car depuis longtemps, le VEt La République a vécu avec un président majoritaire, puis, pendant deux épisodes, avec la cohabitation de deux grandes forces, la droite et la gauche.

Depuis 2022, et plus encore depuis 2024, nous avons dû faire face non seulement à la tripartition de l’opinion, mais aussi à la fragmentation au sein de la tripartition, dans un climat de méfiance considérable des citoyens à l’égard de la politique.

S’il parvient dans ces conditions à former son gouvernement, François Bayrou, qui n’est pas n’importe quel personnage de la scène politique, pourrait peut-être gagner quelques marges d’autonomie vis-à-vis de l’Elysée et respecter l’article 20 de la Constitution : le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.

Il faudra observer dans les jours et semaines à venir si, appartenant au même groupe que le Président, le Premier ministre aura une plus grande latitude d’action et sera en mesure de redonner au Parlement un plus grand pouvoir délibératif.

Mais pour y parvenir, François Bayrou doit d’abord trouver un mode de vie avec les socialistes qui demandent à voir le programme pour se prononcer sur une éventuelle motion de censure…

M.L. : C’est le pas de deux des socialistes qui, pour des raisons internes au Parti (ce dernier tiendra son congrès en 2025), ont tendu la main mais à condition que le Premier ministre soit de gauche, ce qui aurait pu conduire à la éclatement du Nouveau Front Populaire (NFP).

“La position du PS semble être un accord de non-censure si le Premier ministre renonce pour sa part au recours à l’article 49.3”

Pour l’instant, on retrouve le PS qui se compacte dans l’opposition, soumis également à la terrible pression de La insoumise (LFI) qui dépose une motion de censure afin de forcer ses alliés à le rejoindre. La position du PS semble être un accord de non-censure si le Premier ministre renonce de son côté au recours à l’article 49.3, ce qui, soit dit en passant, compliquerait la discussion du budget à partir du mois de janvier…

Pendant longtemps, la France est apparue comme le pays de la stabilité politique avec un exécutif fort et un Parlement aux pouvoirs limités, et l’Italie comme le pays de l’instabilité du parlementarisme et du « parlementarisme ». combinaison ». Sommes-nous en train de devenir italiens ?

M.L. : Il faudrait d’abord parler italien… Le terme « combinaison » n’est pas utilisé en Italie, c’est une caricature française. Mais oui, malgré les différences historiques et institutionnelles, je suis frappé par les similitudes. La France se rapproche donc de l’Italie. Premièrement, après les élections législatives, le président italien consulte systématiquement les partis. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron la semaine dernière.

Ensuite, il confie à une personnalité «affectation », c’est-à-dire la mission du président potentiel du Conseil [l’équivalent du Premier ministre, NDLR.] pour vérifier s’il peut rassembler une majorité parlementaire et ainsi constituer son gouvernement. Et c’est peu ou prou l’orientation fixée par Emmanuel Macron à François Bayrou qui a entamé des concertations le soir de sa nomination en recevant Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire, mais surtout dépositaire de la ligne sécuritaire et réduction de l’immigration de LR. à droite, composante du « socle commun ».

En Italie, en cas d’échec, la personne ” affectation “ retourne voir le président de la République, qui cherche une autre personnalité. Ou bien, s’il réussit, il constitue son gouvernement et demandera la confiance des deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat, indispensable pour que le gouvernement soit ” réglé “, installé. En France, ce n’est pas une obligation.

« François Bayrou pourra compter sur le soutien du bloc central et de LR. Les questions concernent l’attitude du PC, des écologistes et du PS”

A la Chambre des députés, une majorité relative suffit, car les abstentionnistes sont comptés. Au Sénat, en revanche, la majorité absolue des présents est requise, et les abstentionnistes sont considérés comme des votes « contre ». De ce fait, il est courant de voir des sénateurs quitter la salle au moment du vote, pour ne pas faire tomber le gouvernement, ou “donne-lui une chance” comme dirait Marine Le Pen. En italien, c’est « non-méfiance ».

François Bayrou pourra compter sur le soutien du bloc central et probablement celui des Républicains (LR). Les questions concernent l’attitude des communistes, des écologistes et des socialistes. Vont-ils lui accorder une « non-méfiance » italienne ? Cela dépendra sans doute de la composition du gouvernement et plus encore du programme qu’il présentera.

Certains prétendent que le « pacte de non-censure » rendrait le gouvernement Bayrou impuissant, en devant respecter les « lignes rouges » de chacune des parties qui le composent. Compte tenu de l’expérience italienne, est-ce vrai ?

M.L. : Actuellement, ce n’est pas le cas. Le gouvernement de Giorgia Meloni dirige le pays en s’appuyant sur la coalition de l’extrême droite et de la droite italienne qui a remporté les élections de 2022, avec une majorité absolue dans les deux chambres.

Cela dit, en termes de masses électorales, l’Italie est divisée également en deux, avec une différence de taille, la droite est unie, l’opposition divisée. Dans une situation comparable à celle de la France, gouverner en Italie s’avère très difficile car les gouvernements tombent facilement, même si ce pays n’a jamais connu quatre gouvernements en un an comme cette année en France !

Il se trouvait qu’il avait au plus deux gouvernements. Mais oui, ces gouvernements affaiblis, paralysés par des majorités trop fragiles, ont eu les plus grandes difficultés à mener des réformes fondamentales ou à sortir le pays d’un endettement massif, voire en ont été incapables. En même -, nous avons constaté quelques exceptions.

L’un des plus célèbres s’est produit entre 1992 et 1993 avec le gouvernement du socialiste Giuliano Amato, un grand homme politique qui, dans une situation politique, économique et financière désastreuse pour l’Italie, a appliqué des mesures d’austérité très sévères au pays, dont, dans la nuit du 10 juillet 1992, le retrait par la Banque d’Italie de 6/1000 de tous les comptes courants des Italiens, afin de renflouer les caisses de l’État.

Toutefois, les Italiens savent que ces gouvernements affaiblis sont également limités dans la durée. Est-ce que ce sera le cas du gouvernement Bayrou ? C’est à voir. Car il pourrait tomber du jour au lendemain si la gauche vote une motion de censure avec le RN et en même -, on peut espérer que cela dure. Et cela pour deux raisons.

« Les Italiens savent que les gouvernements affaiblis ont une durée limitée. Est-ce que ce sera le cas du gouvernement Bayrou ? Ça vaut le détour »

Le premier est un scénario « optimiste ». Les partis politiques « raisonnables », constatant l’inquiétude des Français et la pression des sondages révélant une volonté d’accord, conviennent d’aborder quelques priorités : le budget, le mode de vote, peut-être les retraites.

La seconde est plus réaliste. Hormis LFI et le RN, aucun parti n’est prêt pour une élection présidentielle immédiate, et ces partis feront tout pour faire durer Emmanuel Macron, à commencer par ne pas faire tomber le gouvernement. C’est ainsi qu’il faut comprendre les appels à réduire les ambitions.

Ne pas faire trop de vagues pour que le bateau continue son chemin économique, sociétal, social, environnemental… malgré les trous dans la coque. Ce n’est pas très bon pour le pays, et on se demande ce qui va sortir de tout cela en termes de politique publique.

On peut aussi se poser la question de l’attitude d’un gouvernement fragilisé face à de puissants mouvements d’observation. On voit actuellement la colère des agriculteurs, mais d’autres secteurs pourraient également se manifester : les cheminots, les fonctionnaires, etc.

M.L. : La situation sociale est extraordinairement préoccupante. La récente enquête Fractures sociales (réalisée par Ipsos pour le Cevipof de Sciences Po, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès) montre l’exaspération des Français, la colère qui traverse la société. Par ailleurs, on connaît la relative faiblesse en France des structures de médiation comme les syndicats ou les associations.

On se souvient de la crise des Gilets jaunes, et même si elle ne refait pas surface de la même manière, on ne peut pas prédire quelle serait l’attitude d’un gouvernement face à une série de mouvements sociaux ou d’explosions de colère. Cela dépendra, entre autres, de qui composera ce gouvernement, de quel sera son équilibre entre la droite, le centre et peut-être la gauche.

 
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