Une promenade ordinaire sur le chemin Covey Hill, en Montérégie, a pris une tournure désagréable pour Pascale Bourguignon, artiste et résidente de longue date de ce secteur frontalier. Arrêtée par la GRC, après avoir été dénoncée par des voisins, elle dénonce une « culture de dénonciation » instaurée par les autorités et « un climat de méfiance ».
En novembre, alors qu’elle marchait avec ses deux enfants adultes sur une route qu’elle connaît par cœur, Pascale Bourguignon a été arrêtée pour la première fois par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Une voiture de patrouille les a d’abord dépassés lentement, avant de faire demi-tour pour revenir vers eux.
« Le policier a baissé sa vitre et nous a demandé ce que nous faisions sur la route », a-t-elle déclaré. J’ai répondu que nous allions nous promener. Quand je lui ai demandé pourquoi cette question, il m’a expliqué que les gens s’inquiétaient des passages à niveau et avaient signalé la présence d’un groupe marchant non loin. »
Un incident qu’elle attribue à la récente distribution d’un dépliant de la GRC invitant les résidents de Covey Hill Road à signaler toute activité suspecte, particulièrement les individus portant des sacs à dos.
« Mes enfants ont les cheveux noirs, les yeux foncés, ils peuvent avoir des looks un peu méditerranéens. J’imagine que c’est peut-être pour cela que nous avons été dénoncés », explique-t-elle.
Des jugements hâtifs
Formulairemoi Bourguignons, ce type d’initiative alimente les jugements hâtifs et renforce les divisions. “Demander à la population de se livrer à la dénonciation n’est pas le meilleur moyen de créer une ambiance conviviale et des relations de bon voisinage”, estime-t-elle.
Sa réaction met en lumière la difficulté pour les autorités de concilier la nécessaire vigilance à la frontière avec le maintien de la cohésion sociale dans ce coin du Québec.
Depuis plusieurs mois, Covey Hill Road est au cœur d’une surveillance renforcée. La GRC patrouille quotidiennement cette route le long de la frontière, appuyée par des survols en hélicoptère et des caméras stratégiquement placées. Cette route bordée de forêts et de propriétés est connue pour ses traversées clandestines.
Le sergent Charles Poirier, porte-parole de la GRC, assure que la situation est actuellement calme, avec des interceptions bien inférieures aux niveaux observés au printemps et à l’été derniers. « On parlait parfois d’une centaine de passages par semaine, mais aujourd’hui, ce ne sont que quelques individus », explique-t-il.
La majorité des passages se font du Canada vers les États-Unis, même si la GRC reste vigilante quant à d’éventuels mouvements en sens inverse, à la lumière des promesses d’expulsions massives du président élu Donald Trump.
Le rôle de la GRC
Pour mieux gérer cette réalité, la GRC a lancé plusieurs initiatives. Des rencontres avec des propriétaires fonciers locaux visent à expliquer ses mandats et à « démystifier » ses pouvoirs. « Il y a des gens qui ont l’impression qu’on peut tout faire. On ne peut pas tout faire : on est obligé par la loi», souligne le sergent Poirier.
La surveillance des frontières est entravée par la complexité des juridictions et le partage des responsabilités entre les pays.
Le crime est commis aux États-Unis lorsqu’une personne entre illégalement sur ce territoire. Il n’y a aucune infraction tant que cela n’a pas été fait. Les gens peuvent marcher à 10 cm de la frontière sans avoir commis d’infraction. Ensuite, une fois qu’ils ont traversé, ce n’est plus le problème de la GRC, c’est le problème de la protection des frontières des États-Unis.
Sergent Charles Poirier, porte-parole de la GRC
Cependant, la simple présence policière et les arrestations peuvent avoir un effet dissuasif.
La GRC agit également en amont en ciblant les réseaux logistiques utilisés par les passeurs. Elle a par exemple sensibilisé les compagnies de taxi et Uber au Québec après avoir découvert que ces services étaient souvent détournés pour transporter des migrants.
« Les passeurs ne se déplacent plus eux-mêmes, ils commandent des taxis ou des Ubers », précise le sergent. Cette pratique suscite des inquiétudes, non seulement pour la sécurité publique, mais aussi pour les conducteurs. “Si un migrant se perd et, dans le pire des cas, décède, le conducteur peut faire l’objet d’une enquête et faire face à de graves conséquences”, prévient-il.
Malgré ces efforts, Pascale Bourguignon critique l’approche adoptée par la GRC, qui implique les citoyens à signaler les comportements jugés suspects. Pour elle, la surveillance des frontières est une responsabilité qui incombe aux autorités et non aux résidents.
Elle estime que cette stratégie alimente la méfiance et affaiblit les relations au sein de la communauté. « Désormais, lorsque nous marchons devant les maisons sur la route, nous nous demandons qui nous regarde. Cela devient vraiment inquiétant», conclut-elle.
Apprendre encore plus
-
- 8891
- Longueur, en kilomètres, de la frontière entre le Canada et les États-Unis
Source : Commission de la frontière internationale
- 541
- Nombre de personnes appréhendées par la GRC entre les points d’entrée officiels, janvier à octobre 2024
Source : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada