«Je ne tenterai pas de sonder la pureté des intentions des uns ou des autres», prévient l’auteur en préambule. Je ne cherche pas ici à savoir qui ment et qui dit la vérité, qui est de bonne foi et qui ne l’est pas. Mon seul objectif est d’illustrer les principes de la propagande, unanimement utilisés, et d’en décrire les mécanismes. L’exposition Résister à la propagande de guerreréalisée par l’Institut du patrimoine de guerre à Bruxelles, nous invite à décrypter ces mécanismes. Pour mieux y résister. Du 9 au 18 décembre, l’installation s’arrête à Genève, dans le hall de l’Uni Dufour. Une conférence de l’historienne Anne Morelli est prévue en ouverture, le lundi 9 décembre (salle U259, 19 heures). Entretien.
Le Journal : Comment avez-vous établi ces dix commandements ?
Anne Morelli : Je me suis appuyé sur les écrits d’Arthur Ponsonby et plus particulièrement sur son livre Les faussaires au travail en - de guerrepublié en 1928, dans lequel il décrit la falsification de l’information pour inciter la population à accepter la guerre. Il l’avait observé de très près, car pendant la Première Guerre mondiale, il avait travaillé au bureau de propagande britannique. Il a notamment participé à la création de fausses nouvelles, notamment sur les atrocités commises par l’ennemi. J’ai systématisé ses observations en dix principes, les dix « commandements » de la propagande de guerre, et je les ai mis à l’épreuve du -. J’ai été très surpris : ils sont utilisés dans toutes les guerres du 20ème sièclee et deux 21e siècle.
Pouvez-vous nous citer certains de ces principes ?
Ils s’appuient sur des règles psychologiques de base. Par exemple, vous devez toujours vous présenter comme ayant été attaqué par l’ennemi. « C’est lui qui a commencé », comme disent les enfants. Cela est vrai dans tout conflit : chaque camp assure que c’est l’autre qui a ouvert les hostilités et affirme qu’il est pacifique, bienveillant et ne fait que se défendre. Puisqu’il ne s’agit que de légitime défense, l’opinion publique a alors la certitude d’avoir raison. Un autre principe largement utilisé est celui qui fait du chef du camp adverse un monstre : dans toute guerre, on trouve un « salopard de service » et on persuade l’opinion publique que nous ne faisons pas la guerre contre un peuple ou un pays, mais contre ce monstre. Tous les efforts de propagande sont dirigés vers ce personnage. Pour la Première Guerre mondiale, c’était le Kaiser, mais on peut l’appeler Milosevic, Saddam Hussein, Kadhafi ou Poutine.
Observez-vous une évolution depuis les écrits d’Arthur Ponsonby ?
Les ressorts sont toujours les mêmes. La grande différence avec la Première Guerre mondiale, c’est qu’aujourd’hui, ce ne sont plus quelques personnes autour d’une table qui tentent d’imaginer des stratégies, mais des agences de communication spécifiquement mandatées pour le faire. Par exemple, la firme Hill & Knowlton a travaillé pour le gouvernement américain pendant la guerre du Golfe. C’est lui qui a inventé cette sordide histoire de bébés koweïtiens arrachés de leurs couveuses par des soldats irakiens – car un autre principe très important est que l’ennemi procède d’une manière extrêmement cruelle, contrairement à nous. D’ailleurs, lorsque Colin Powell agite une fiole et déclare à l’ONU « nous avons la preuve que l’Irak possède des armes de destruction massive », on imagine qu’il n’a pas inventé cela seul, mais qu’il a été aidé par des conseillers en communication.
Quel est le mandat confié à ces agences de communication ?
Sensibiliser le public à la nécessité d’efforts militaires. Car au fond, peu de gens sont agressifs. D’une manière générale, la population souhaite la paix, mais elle est persuadée qu’elle est en danger, qu’elle doit réagir, qu’on se bat contre des monstres, pour une noble cause. Et elle finit par accepter la situation de guerre. Une fois cette démarche lancée, le soutien public doit encore être maintenu. Cependant, à de rares exceptions près, les êtres humains préfèrent adhérer aux causes victorieuses. C’est pourquoi un autre principe récurrent consiste à cacher ses propres pertes et à exagérer celles de l’ennemi.
L’opinion publique croit-elle à cette information ?
Non, pas forcément, mais il n’est pas facile de les remettre en question. D’autant qu’une technique très répandue – c’est le dernier principe, corollaire de tous les autres – consiste à faire de quiconque doute de ces allégations un agent de l’ennemi. Par exemple, si l’on pose la question « Quand a commencé le conflit entre la Russie et l’Ukraine, avec l’arrivée des Russes en 2022 ou avec le bombardement par l’Ukraine d’un territoire pro-russe en 2014 ? selon que l’on opte pour l’une ou l’autre réponse, le positionnement est très différent. Mais, dans les pays occidentaux, si vous n’adoptez pas le point de vue officiel, vous serez immédiatement accusé d’être favorable à Poutine. En 2001, refuser le bombardement de l’Afghanistan signifiait automatiquement être favorable à Ben Laden. Aujourd’hui, s’opposer à la guerre à Gaza signifie soutenir le Hamas.
Que pouvons-nous faire pour résister à cet endoctrinement ?
Quand on comprend tout cela, on se dit : « Bon, la prochaine fois, je ne me laisserai plus avoir ! » Mais la fois suivante, on nous dit que nous sommes attaqués par des méchants dirigés par un sadique, qu’ils commettent des atrocités, etc. Et le même schéma mental s’enclenche. Au cœur du conflit, face à Face au flot d’informations, il est extrêmement difficile d’obtenir la version de chaque camp afin de les confronter et de se forger une opinion critique. Il ne nous reste alors qu’une seule possibilité : douter, douter et douter encore. Et pour s’en donner les moyens, c’est-à-dire disposer d’une information impartiale, il est indispensable de soutenir les rares médias indépendants qui existent encore.