Un fauteuil pour l’orchestre – Le site des critiques de théâtre parisien » Les Forces vives, d’après Simone de Beauvoir, mise en scène Camille Dagen, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans le cadre du Festival d’Europe Automne, Paris

© Simon Gosselin

ƒƒƒ article de Nicolas Thévenot

Au fond de la scène une porte s’ouvre comme le début d’un chapitre. Une jeune femme aux cheveux longs apparaît, puis son geste assuré et le crépitement reconnaissable d’une tondeuse à gazon : les mèches tombent au sol. Une figure anachronique du contemporain comme un crochet dans l’épopée qui va suivre : cette liberté des femmes à arracher, à affirmer à travers les - et les lieux. Animal Architecte s’attaque aux écrits autobiographiques de Simone de Beauvoir, Les Mémoires d’une jeune fille bien rangée, La force de l’âge et La force des choseset composer Les Forces que vous vivez. Reconnaissons d’emblée une joie profonde à assister à ce miroir inversé où une jeune entreprise fait siens les paroles et le parcours d’une femme déjà âgée, comme deux vases communicants aux deux extrémités d’une vie. Un regard rétrospectif reflété dans les yeux d’un jeune garde. Et puis, le théâtre n’est-il pas le lieu rêvé, attendu de Simone de Beauvoir dont le premier texte, magnifique, Les Forces que vous vivez nous propose, peut être compris comme une adresse à travers la mort qu’elle prévoit à ces corps futurs qui incarneront ce qu’elle aura exprimé en son -. Le théâtre est un credo : une transmutation des corps qui étaient en des corps autres que le sien.

Camille Dagen a conçu cette épopée avec la passion et les « forces vives » de la jeunesse, s’attaquant à la figure de commandeur que peut aussi représenter Simone de Beauvoir. Ce qui est vécu sur scène, ce n’est pas la vie de l’éminente philosophe et femme de lettres, mais bien les conditions (et notamment la condition féminine) qui ont pu structurer et faire naître sa révolte et sa pensée révolutionnaire. Les âges de la vie se succèdent, et c’est la même enceinte qui préside au destin des femmes. La scénographie d’Emma Depoid met en lumière et met en lumière cet invariant au fil du - : le placard où l’on enferme la petite fille pour la punir devient le confessionnal où l’homme d’Église devient l’instrument de domination au service du patriarcat. Le décor bourgeois s’apparente à l’enclos des génisses. L’esprit de fermeture de l’espace fait écho à celui de la pensée. Les refrains, chants religieux ou patriotiques imposent leur boucle fermée.

LE Forces Vives inscrire un récit fort sous une forme épique par sa vivacité et sa rapidité d’exécution. Il y a une urgence, pourrait-on dire. Aucune trace de naturalisme dans tout cela, mais le bonheur d’assembler des figures comme sur un manège, les époques défilant dans une ellipse. L’approche est à son meilleur lorsque le théâtre se nomme et joue son propre jeu. Ainsi, Simone à ses parents : « tu parles comme au vaudeville » et les acteurs forcent un très beau texte. La stylisation, loin de nuire au sujet, met en valeur et donne du corps aux figures épinglées.

Fortement structurée, l’architecture de l’ensemble visible comme des nervures saillantes, la fresque développée par Animal Architecte peut sembler privilégier l’efficacité de sa lecture dramaturgique au détriment d’une réception plus organique et polysémique. Mais on ne peut que reconnaître sa pertinence, notamment avec ce deuxième volet plongeant dans les années de la guerre d’Algérie. Point nodal du spectacle, mais aussi de notre époque : l’irréflexion coloniale, le déni de la guerre, la violence d’État, l’autoritarisme politique. Si Simone de Beauvoir a écrit durant ces années sa grande œuvre autobiographique, faisant également écho à son actualité, Les Forces que vous vivez établit un autre rapport temporel, pointe une certaine concordance des - nous ramenant à notre propre actualité : les circonstances de l’avènement du V^ème République, la montée du fascisme, le goût des régimes autoritaires.

Pour conclure cette épopée de plus de trois heures, ambitieuse et festive comme une vie de combat, la jeune troupe s’effacera pour laisser place à une magistral Sarah Chaumette, dont l’âge n’est pas une insulte mais convoque sur scène la réalité du - vécu par son écart avec les jeunes actrices qui l’ont précédée. L’émotion pure d’une apparition, d’une existence pleine, d’une époque dans sa force, nous emporte. Et dans la suspension de cet instant, le souvenir d’une vie vient se confondre magnifiquement avec celui d’une soirée.

© Simon Gosselin

Les Forces que vous vivez after Simone de Beauvoir, a creation by Animal Architecte

Conception, écriture, réalisation : Camille Dagen

Emma Depoid

With Sarah Chaumette, Camille Dagen, Marie Depoorter, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova

Scénographie, costumes : Emma Depoid

Dramaturgie : Rachel de Dardel

Collaboration artistique en jeu : Lucile Delzenne

Lumière : Sebian Falk-Lemarchand

Compositeur : Kaspar Tainturier-Fink

Vidéo et cadre : Typhaine Steiner

Perruques : Kuno Schlegelmilch

Conception du dispositif technique : Édith Biscaro

Durée : 3h30 (avec entracte)

Du 29 novembre au 22 décembre 2024

Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h, lundi férié

Odéon – Théâtre de l’Europe

Ateliers Berthier

1 rue André-Suarès, 75017 Paris

Réservation : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

Tournée:

Du 12 au 21 mars 2025 :

La Comédie de Reims (Reims)

Tél : 03 26 48 49 10

www.lacomédiedereims.fr

Du 8 au 10 avril 2025

Théâtre des 13 Vents (Montpellier)

Tél : 04 67 99 25 00

www.13vents.fr