Ascension et chute de la France… Le récent tir d’un missile balistique russe à portée intermédiaire (jusqu’à 5 500 km) a cruellement révélé une lacune très importante de la France en matière de défense antimissile balistique (DAMB). Et la France ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Car ce tir russe démontrait bien le manque de vision stratégique de l’État français depuis 2011 dans ce domaine où la France était très avancée. en Europe en matière d’alerte précoce avec le programme de démonstration Spirale (Infra-Red Preparatory System for ALerte). Mais c’est une époque où le budget de la défense sert avant tout de variable d’ajustement pour les gouvernements de l’époque, toujours prompts à sabrer dans les finances des armées. Aujourd’hui, les armées paient un très lourd tribut à l’heure où les menaces balistiques se multiplient et où les conflits deviennent de plus en plus violents avec certains États totalement décomplexés.
« Ce démonstrateur a prouvé qu’il était possible d’observer et de suivre des missiles depuis l’espace et avec encore plus de précision que prévu. Les contraintes budgétaires n’ont pas permis depuis lors d’intégrer un programme d’alerte précoce dans les programmes militaires successifs », Olivier Becht et Stéphane Trompille dans un rapport sur l’espace militaire publié en janvier 2019.
Le programme Spirale, composé de deux satellites, a été développé par Airbus et placé en orbite géostationnaire entre 2009 et 2011. Il a été complété par une plateforme au sol de simulation complète de la chaîne d’alerte qui a été développée. La France a démontré qu’elle disposait d’un réel savoir-faire technologique en Europe en matière de systèmes d’alerte précoce grâce au démonstrateur Spirale, dont les deux satellites étaient équipés de capteurs infrarouges : ArianeGroup pour la modélisation des signatures des missiles balistiques et Airbus pour l’observation des tirs grâce au Système spirale. Une telle capacité devrait permettre de détecter le départ de missiles balistiques afin de les abattre en vol avant qu’ils n’atteignent leur cible. Il repose sur le principe de détection de la chaleur (signature infrarouge) dégagée par les moteurs lors de la phase de propulsion du missile.
Perte de leadership
Mais aujourd’hui la France perd toute cette avance, L’Allemagne a pris le leadership en Europe dans la détection précoce des lancements de missiles balistiques. Le programme technologique Odin’s Eye, financé par le Fonds européen de défense (90 millions d’euros) a été confié en juin 2023 par la Commission européenne à OHB System pour une durée de 36 mois. La mise en place d’une capacité souveraine d’alerte précoce permettrait aux Européens de sortir de leur dépendance actuelle à l’égard des informations fournies en la matière par les Américains dans le cadre de l’Alliance atlantique. Aujourd’hui, les États-Unis s’appuieraient sur huit satellites d’alerte précoce, tandis que la Russie et la Chine en exploiteraient respectivement quatre et cinq. Pour un système opérationnel couvrant la planète entière, il faudrait en principe trois satellites.
Le projet Odin’s Eye permettra à terme de développer une capacité européenne d’alerte précoce pour les missiles transitant par l’espace (SBMEW, European Space-Based Missile Early Warning system). Il répondra ainsi aux menaces sécuritaires actuelles et futures. Concrètement, ce projet du Fonds européen de défense réalise une étude préliminaire d’une éventuelle capacité à l’échelle européenne. La France suit et soutient les travaux européens en matière d’alerte précoce, explique-t-on à La Tribune. « Les données collectées par Spirale sont un atout pour la France dans le contexte de ces évolutions »nous précisons. Une transition est en cours vers la deuxième phase du projet (Odin’s Eye 2) qui approfondira la conception du système et des satellites.
La France abandonne cette capacité
Cependant, le principe du lancement d’un programme opérationnel post-Spiral a été posé par le Livre Blanc : « Les capacités spatiales sont également nécessaires à une évaluation souveraine de la menace balistique, à l’alerte précoce, et donc à la dissuasion ». Puis leLa loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014 avait prévu le développement de moyens de surveillance spatiale géostationnaires infrarouges et annoncé un premier satellite opérationnel d’ici 2020, puis un second en coopération avec les pays européens. Car pour surveiller une zone allant de la Guyane à la Corée du Nord, il faudrait deux satellites. Ce programme avait même été annoncé à l’OTAN.
« La France a décidé de se doter d’une capacité de détection et d’alerte des lancements de missiles balistiques d’ici 2020 afin de suivre les tirs d’essais en provenance des pays proliférants, de protéger les agglomérations, les forces et les installations identifiées comme cibles, et de localiser précisément l’origine des tirs de missiles »», a expliqué le ministère de la Défense dans un communiqué de presse en juin 2010.
Finalement, ce programme n’a jamais été lancé alors même que les menaces hypersoniques et balistiques se sont multipliées au fil des années. Les recherches Post-Spiral ont donc été suspendues suite à la décision du ministère de la Défense (Jean-Yves Le Drian) de ne pas poursuivre les travaux sur l’alerte précoce et le DAMB, faute de fonds. La France avait pourtant développé une expertise en matière d’alerte précoce depuis 2004, année où le ministère a lancé les travaux sur le démonstrateur. Spirale. Les deux microsatellites qui composent le système ont été mis en orbite en février 2009.
En 2011, le coût d’un programme de satellites d’alerte précoce était estimé entre 600 millions d’euros et un milliard d’euros. Dans les différents exercices de projection budgétaire du ministère sur la période 2011-2020, la Direction générale de l’armement (DGA) a retenu le chiffre de 733 millions d’euros. Cependant, « le démonstrateur Spirale a permis la création d’une base de données qui comprend un très grand nombre d’images essentielles à la compréhension des phénomènes naturels et physiques susceptibles de générer de fausses alertes lors de la détection de missiles pendant leur phase de propulsion »ont expliqué les députés Oliver Becht et Stéphane Trompille.