Le dernier baromètre sur l’image du Rassemblement national réalisé par l’Institut Verian le 25 novembre 2024 documente l’infusion des idées du parti d’extrême-droite au sein de la société française. Par exemple, 51% des Français considèrent aujourd’hui que le RN ne représente pas un danger pour la démocratie. Comment expliquer cette progression et le succès de ses idées ? D’un point de vue politique, que gagnerait Marine Le Pen à censurer le gouvernement de Michel Barnier ?
La stratégie du RN à l’œuvre : s’adapter plutôt que convaincre
Invité à commenter les résultats du baromètre, Étienne Ollion invite à poser le problème autrement : pour lui, le succès du RN ne s’explique pas tant par le ralliement des électeurs à leurs idées mais par le changement incessant d’idées auquel il procède, dans le but de “coller” au mieux aux attentes de l’opinion publique. “On pourrait citer toute une série de thématiques sur lesquelles le RN a changé son discours, par exemple sur la sortie de l’Europe et de la monnaie unique. Il faut se souvenir qu’il y a encore 7 ans lors de la campagne présidentielle de 2017, le parti demandait la sortie de la monnaie unique. On n’entend plus beaucoup parler de “Frexit” aujourd’hui. De même, sur le libéralisme culturel, la procréation médicalement assistée (PMA), le mariage pour tous, l’IVG, sur ces sujets-là, historiquement et jusqu’à assez récemment, le parti n’y était pas particulièrement favorable, alors que l’an dernier Marine Le Pen a voté avec son parti la constitutionnalisation de l’IVG”. Ce n’est donc pas tant en convainquant les Français que le RN a réussi sa percée électorale mais plutôt “en volant au service de la victoire et des idées dominantes”, élucide Étienne Ollion.
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Un regain de démocratie pour remédier à la rupture entre les élites et les citoyens ?
Le sociologue dresse ensuite un parallèle entre l’analyse de l’historien Marc Bloch sur la chute de la IIIe République et la montée des fascismes dans les années 1930 et la situation actuelle dans laquelle se retrouve, entre autres, une montée des nationalismes, des tensions économiques, la remilitarisation des États et la propagation de fausses nouvelles. Il met notamment l’accent sur la défiance des élites comme dénominateur commun entre les deux époques et la dynamique qu’elle pourrait produire. À ses yeux, “la question n’est pas simplement liée aux élites, mais au système qui fait qu’on n’arrive pas à communiquer. De ce point de vue-là, les institutions de la Vᵉ République ont peut-être fonctionné à un moment, mais elles n’arrivent plus à organiser une conversation permanente et continue qui permettrait à certaines personnes de se sentir impliquées. La Vᵉ République implique les citoyens seulement au moment du vote, alors qu’on pourrait avoir des moments d’expression sur des sujets de vie de la cité. Il y a de fortes demandes en ce sens et les forces politiques portent une série de mesures pour tenter d’y répondre. Ainsi, c’est plus la manière dont le débat public est organisé qui empêche peut-être d’accéder à ces demandes de plus de participation qu’on sent énormément”.
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La censure : un pari risqué
Sur le plan politique, Camille Vigogne Le Coat évoque les opportunités que pourraient avoir Marine Le Pen à censurer le gouvernement. Pour la reporter au Nouvel Obs, le RN serait toujours tiraillé entre les deux composantes de son électorat. D’un côté, dit-elle, “son socle est très favorable à une censure dans la mesure où il s’agit d’un électorat “anti-système” qui voudrait renverser la table”. De l’autre, elle décrit un électorat conquis plus récemment, issu majoritairement des classes moyennes et du parti Les Républicains, qui est davantage attaché à l’ordre et à la stabilité politique. Dans la même veine, Marine Le Pen cherche aussi à rassurer les milieux économiques : “elle a mis beaucoup d’efforts ces derniers mois à tenter de convaincre qu’elle n’était pas un danger, notamment à l’occasion de la dernière dissolution”. En appuyant sur le bouton de la censure, le risque serait donc grand de décevoir cette partie-là de son électorat. “La difficulté pour les élus du RN, c’est de savoir stratégiquement ce qui est le plus à gagner et le plus à perdre”, conclut Camille Vigogne Le Coat.
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