Un mur s’est brièvement dressé entre les agriculteurs en colère de l’alliance syndicale majoritaire FNSEA-JA et la recherche scientifique en agriculture. Au petit matin, jeudi 28 novembre, plus d’une centaine de manifestants ont empilé des blocs de béton devant le siège de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), à Paris. Sur les réseaux sociaux, la FRSEA Ile-de-France résume ainsi les revendications avancées : « Donnez-nous les moyens de travailler ! Retrouvons nos moyens de production, stoppons les obstacles ! L’institut de recherche reçoit le surnom« INRAescrolos »tagué en orange sur son mur d’environ deux mètres de haut, tandis qu’une banderole affiche : « À vendre, n’est plus utile – Bail à transférer – Économies : 1,1 milliard d’euros ».
“Les critiques adressées à notre institut ne tiennent pas compte des recherches menées (…) sur le terrain et des résultats obtenus”, a répondu INRAE dans un communiqué, assurant que ce dernier fournissait « des solutions concrètes pour l’agriculture » et citant « des innovations pour protéger les cultures et l’élevage, pour faire face au changement climatique, qui contribuent à améliorer la rentabilité et la durabilité des exploitations agricoles ». Comment expliquer cette méfiance envers l’institut de recherche ?
Né en 2020 de la fusion de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), l’Inrae mettait alors en avant, entre autres, son « ambition d’accroître, transmettre et mobiliser les connaissances, les technologies et les savoir-faire afin d’éclairer et de servir les transitions des systèmes agricoles et alimentaires et la préservation de l’environnement. »
Répartis dans 18 pôles régionaux, ses chercheurs sont implantés sur tout le territoire, travaillant par exemple sur l’adaptation des cultures au changement climatique en Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour faciliter la mise en œuvre des politiques publiques concernant la ressource en eau en Occitanie ou encore voire la santé des vignes en Nouvelle-Aquitaine. Mais les agriculteurs dénoncent les recherches qui discréditent certaines pratiques agricoles au nom de la protection de l’environnement et de la santé publique. Chargé d’élaborer et d’étudier les réponses aux enjeux d’accès à l’eau dans des régions de plus en plus touchées par la sécheresse ou appelées à réfléchir à des alternatives aux pesticides en cohérence avec les engagements de la France dans ses plans Ecophyto, l’institut soutient des politiques publiques critiquées par une partie du monde agricole. .
Reconnaître qu’il y a des chercheurs au sein d’INRAE « qui apportent ou peuvent apporter des solutions (…), le président de la Chambre d’agriculture du Maine-et-Loire, Denis Laizé, estime sur le réseau social “Ce ne sont pas ceux qu’on entend le plus.” Il explique à “ceux qui ne comprennent pas cette action” quoi « De nombreux axes de recherche soulèvent des questions ».
L’action de l’alliance syndicale majoritaire est intervenue quelques heures avant la rencontre prévue dans l’après-midi entre le ministre de l’Agriculture et le président de l’Inrae, Philippe Mauguin. Dans un communiqué, Annie Genevard « a condamné avec la plus grande fermeté toute atteinte aux personnes et aux biens, qui porte atteinte aux revendications légitimes des agriculteurs », tandis que le ministère a rappelé que cette réunion avait pour objectif de« discuter de la question de la simplification pour les agriculteurs, du rôle de l’Institut et [de] trouver des réponses communes à trop de contraintes administratives ».
Car l’Inrae, au même titre que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), également visée jeudi par des agriculteurs en colère, est un interlocuteur des pouvoirs publics dans le cadre des réflexions entreprises pour répondre à la crise du secteur agricole.
Ainsi, en mars, l’Inrae et l’Anses ont participé (avec les chambres d’agriculture, les représentants des administrations, les instituts techniques agricoles et les syndicats du secteur, etc.) à un cycle de rencontres pour répondre à une demande des agriculteurs : le “surtranspositions” Normes européennes par la France sur les pesticides. Mais si INRAE exerce ici une fonction consultative, ce n’est pas la première fois qu’il est critiqué pour son soutien aux décisions gouvernementales. Ainsi, eEn 2022, la présence de l’Inrae au sein du conseil de surveillance qui avait pris la décision très controversée de réautoriser l’usage des néonicotinoïdes sur la betterave sucrière, faute d’alternative satisfaisante, avait suscité l’indignation du SUD-syndicat Recherche.
Dans un communiqué publié quelques heures après l’action de la FNSEA, INRAE assure «continuer à soutenir les agriculteurs qui ont besoin de nos solutions», dans un contexte de « des crises économiques, climatiques, sanitaires et sociales qui pèsent lourdement sur [leur] tous les jours”. Dans un entretien à l’AFP, son PDG, Philippe Mauguin, affirme qu’Inrae est « écouter et soutenir le monde agricole ».