Au cœur d’un scandale financier, huit bateaux de pêche construits à Cherbourg vendus aux enchères

Au cœur d’un scandale financier, huit bateaux de pêche construits à Cherbourg vendus aux enchères
Au cœur d’un scandale financier, huit bateaux de pêche construits à Cherbourg vendus aux enchères

Par

Ludivine Laniepce

Publié le

27 novembre 2024 à 20h15

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« A vendre : 24 bateaux de pêche, peu utilisés. » L’annonce pourrait s’intituler ainsi, l’affaire résumée tout aussi sobrement.

Au Mozambiquepays côtier du sud-est du continent africain qui fait face à l’île de Madagascar, la 24 bateaux de pêche du « contrat du siècle » entre Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) et le Mozambique sont vendus aux enchères. Huit d’entre eux avaient été construits in Cherbourg-en-Cotentin (Manche).

Le contrat qui a relancé les CMN

Il y a un peu plus de dix ans, le CMN, alors dirigé par le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa, était au creux de la vague. Les quelque 300 salariés du chantier oscillent entre maigres activités et chômage partiel ou total. Cela fait des années qu’un navire n’a pas été construit sur le site de Cherbourg. Jusqu’au contrat d’épargne de 2013.

Cette année-là, coup de théâtre, le Mozambique – un nouveau client – ​​passe une commande au CMN : 24 bateaux de pêche et six patrouilleurs. La visite des présidents français et mozambicain François Hollande et Armando Guebuza dans les ateliers de Cherbourg en dit long sur le caractère exceptionnel du contrat. C’est parti pour deux années de travail à pleine charge. Mais l’euphorie de l’annonce cède peu à peu la place à une polémique locale et à un scandale mondial.

Le scandale en quelques dates

1992 :
Iskandar Safa rachète CMN. Elle relance progressivement les chantiers grâce notamment à des contrats avec le Sultanat d’Oman, le Koweït et les Émirats arabes unis.

2013 :
Signature du contrat de 200 millions d’euros avec le Mozambique pour la livraison de 30 navires, dont des thoniers Cherbourg.

2013-2015 :
Huit chalutiers sont livrés par CMN Cherbourg et seize autres sont sous-traités en Roumanie.

2018 :
Arrestation de l’ancien ministre mozambicain Manuel Chang, signataire de la vente du thonier. Il sera extradé vers les États-Unis en 2023 et poursuivi pour une fraude de 2 milliards de dollars.

2022 :
Condamnation au Mozambique à la prison de onze accusés impliqués dans le scandale du thonier, dont le fils de l’ancien président Armando Guebuza.

2024 :
Le 4 décembre, les huit thoniers construits par CMN seront mis aux enchères à Maputo, au Mozambique. Ils ne servaient que peu ou pas du tout.

Externalisation en Roumanie

A Cherbourg, des dizaines de travailleurs roumains et lituaniens devraient dans un premier temps respecter les délais. Les trente bâtiments ne seront finalement pas tous construits sur place : seulement huit pour la pêche le seront, ainsi que le montage des patrouilleurs. Les autres seront sous-traités en Roumanie. Peu importe : il y a du travail et du savoir-faire.

Les premiers palangriers ont quitté Cherbourg pour Maputo par cargo en juillet 2014, suivis par les premiers chalutiers six mois plus tard. Lancements, démonstrations, livraisons, manutention… les navires CMN font parler d’eux dans le monde entier. Le contrat avec le Mozambique touche à sa fin. Pour les Cherbourgeois, l’histoire de ces bateaux s’arrête là. Les regards se tournent désormais vers de nouveaux pays acheteurs, tantôt vers les pays du Golfe, tantôt vers d’autres pays du continent africain.

Les navires qui ont coulé un pays

Dix ans plus tard, la flotte de pêche bleue et blanche est toujours présente dans le port de Maputo, la capitale du Mozambique. Avec une couleur supplémentaire pour ceux-ci Souteneur et ceux-ci Sardine: celui de la rouille. Car la plupart n’auront finalement que très peu vu en mer, voire pas servi du tout.

« Cette flotte est au cœur d’un scandale de corruption de deux milliards de dollars qui a sabordé l’économie mozambicaine et déclenché des poursuites judiciaires sur trois continents. »

Bloomberg, média d’information financier et économique américain

En , ce scandale est plus connu sous le nom de scandale des « dettes cachées », dans lequel ces bateaux de pêche se sont retrouvés impliqués contre leur gré.

Le scandale éclate en 2016. CMN, alors propriété d’Iskandar Safa (jusqu’à sa mort en janvier 2024), faisait partie de son groupe de chantiers navals baptisé Privinvest. Pour financer leur flotte cherbourgeoise, les entreprises publiques mozambicaines avaient contracté deux milliards de dollars de prêts bancaires illégaux auprès de plusieurs banques internationales. Avec, en secret, l’État mozambicain comme garant.

Problème : le ministre des Finances du Mozambique (qui était présent à Cherbourg en 2013 et qui a ensuite été reconnu coupable aux Etats-Unis) cache la dette à son Parlement. L’affaire politico-financière de la « dette cachée » plonge alors le pays dans une très grave crise économique et sociale sur fond de fraude, de blanchiment d’argent, de corruption, d’armement et de renseignement. 500 millions de dollars de prêts n’ont jamais été récupérés. Au fil des années, le Mozambique, les banques concernées et Privinvest se sont renvoyé la balle et se sont affrontés devant les tribunaux de plusieurs continents.

Jusqu’à la liquidation

« Depuis onze ans, déclare l’association de protection de l’homme et de l’environnement Robin des bois, une succession de soupçons, d’enquêtes du FBI et du Fonds monétaire international, d’imbroglios et de consanguinités politiques ont transformé l’ordre historique en matière financière et industrielle. catastrophe. »

En 2023, le Mozambique envisage de liquider Ematum, l’une des trois entreprises publiques impliquées dans le scandale des « dettes cachées » et ayant passé commande auprès de Privinvest.

« Une commission de liquidation a été spécialement créée pour vendre les 24 bateaux. Un appel a été lancé et nous l’avons gagné en septembre 2024. »

David Leal, from the Leilosoc auction company, to La Presse de la Manche

Depuis, les bateaux ont été vendus aux enchères en ligne en 15 lots. Le thonier de 23 mètres Pelamis-Vpour n’en nommer qu’un, commence à 138 000 $ pour une valeur de base de 270 000 $. Celui-ci, parmi les mieux nantis, aura pêché un peu plus de 3 000 heures. LE Sardine-IIlancé à 232 000 $ pour une valeur de base de 452 000 $, a navigué 71 heures mais n’a jamais pêché.

Pour Leilosoc, ces enchères sont un défi : « Nous organisons des ventes plus importantes partout, principalement au Portugal, et nous vendons parfois des bateaux, place David Leal à La Presse de la Manche. Mais il n’est pas courant d’avoir de tels atouts. C’est une vente très intéressante, très stimulante pour nous. »

Verdict le 4 décembre 2024, jour de clôture de la vente. A ce jour, aucun lot n’a été mis aux enchères.

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