Face aux quatre hommes détenus à la prison centrale de Saint-Maur, la para-athlète Alice Mallais s’est rapidement mise en condition et eux aussi. “C’est assez difficile mais il faut lever le genou une foulée sur deux et l’autre jambe reste pliée”a détaillé ce dernier, avant de donner d’emblée l’exemple. Au fil des allées et venues du gymnase où la température était plutôt fraîche, les détenus suivaient chaque mouvement du para-athlète, invité par les moniteurs sportifs, vendredi 22 novembre 2024.
Sur son handicap, Alice Mallais avait prononcé ces mots quelques minutes auparavant. « Dans ma catégorie, nous sommes tous à environ un dixième de la vision »a expliqué celui qui est classé 6e mondial dans la catégorie T13 sur 400 m, où les concurrents courent sans guide. « Cela peut être très compliqué, je suis gêné par la lumière et je ne vois pas les lignes mais, si je gêne ou si je marche sur la ligne, je peux être disqualifié. »
Et c’est surtout sur ses performances que les détenus ont voulu l’interroger. Son temps sur 400m ? “Attends une minute. » Et l’heure du meilleur au monde ? “C’est une Brésilienne [Rayane Soares da Silva] ; aux Jeux Olympiques, elle a été monstrueuse, elle a fait 53 secondes”a expliqué le para-athlète qui était premier réserviste de l’équipe paralympique. Si elle n’a assisté à la compétition qu’en étant dans les tribunes du Stade de France, qu’importe, son enthousiasme pour ses disciplines a su conquérir les détenus. « C’est vraiment intéressant, ça permet de voir comment elle pratique au quotidien. Elle ne voit presque rien, elle a du courage ! » souligne l’un d’eux.
« Il faut faire confiance ! »
Une leçon de résilience et de dépassement de soi. L’exercice consistant à accélérer au maximum sa foulée, avec un croisement éclair de l’athlète qui s’arrête sans problème devant le mur du gymnase, a fait ses preuves. Les participants à l’atelier l’ont vite compris lorsque, portant des lunettes sur le nez pour simuler leur handicap, ils ont eu du mal à garder l’équilibre sur la même distance, au cours du même exercice.
Et le fossé entre leur état et celui du handicap a été d’autant plus souligné lors de l’épreuve du « guide » : la sangle qui relie un para-athlète malvoyant à son guide voyant lors des compétitions en couple. « Même si tu connais la personne, parfois même si ta tête est d’accord, le corps bloque. Il faut faire confiance »annonce Alice Mallais. Un défi pour ces hommes en détention, les avancées semblent un peu hésitantes. Le dernier duo, entre un détenu et le moniteur de sport, termine son tour plus en douceur qu’il ne l’avait commencé. “Mais on commence à se connaître, on a pas mal travaillé ensemble”décrit l’instructeur. L’illustration selon laquelle se laisser guider mène parfois à une progression.
Au travail, l’un d’eux s’intéresse à l’entraînement que doit suivre le sportif. “Je fais trois séances de musculation par semaine”» a-t-elle confirmé auprès d’un des détenus. Il a déjà le goût de l’effort physique. « J’ai participé au 10 km, même si je revenais de blessures. » Une initiative portée par Tristan Raffa, athlète champion de France du 1 500 m qui a effectué son stage dans le cadre de son BTS diététique à la prison de Saint-Maur.
Et la question de l’alimentation évoquée par Tristan Raffa faisait également partie des conversations avec Alice Mallais. “C’est mon problème, je mange des glaces et des bonbons”a expliqué l’une des détenues tandis que la paraathlète a confirmé qu’elle devait suivre une alimentation particulièrement saine. “Mais je m’autorise des repas gras, même si je choisis le jour pour ne pas créer trop de frustration”a prévenu ce dernier.
L’ambiance, malgré le froid de la salle, s’était considérablement réchauffée dès la fin de la séance. La paraathlète, intimidée par la prison centrale à son arrivée tôt le matin, a vite oublié le monde carcéral. « Je me rencontre beaucoup dans les entreprises, dans les écoles, j’aime ça : partager ma passion et il y a toujours des questions. Et quand on voit des sourires comme celui-là, je suis heureux. »