Compétition piétons-automobilistes | La Presse – .

L’autre jour, ma copine a failli tomber sous les roues d’un camion au centre-ville de Montréal. C’est ce qu’on appelle dans l’aviation un quasi-accidentun quasi-accident


Publié à 1h40

Mise à jour à 5h59



Le feu était vert dans le sens est-ouest pour les piétons et les automobilistes à l’immense intersection Robert-Bourassa–De La Gauchetière. Mme Lagacé traversait ce carrefour achalandé d’est en ouest, sur De La Gauchetière. Elle sentit arriver derrière elle un camion, un poids lourd, qui commençait à tourner à gauche vers le sud, sur Robert-Bourassa.

Elle ralentit instinctivement sa démarche d’une nanoseconde providentielle lorsqu’elle sentit le camion sur le point de s’engager sur son chemin piétonnier. Sinon, le camion la heurterait.

Il existe plusieurs façons de décortiquer cela quasi-accident qui aurait pu bêtement tuer cette piétonne, qui est bien sûr plus qu’une piétonne : c’est une mère, une fille, une sœur, une amie, une cousine, une blonde.

Il y a d’abord la stupidité du chauffeur du camion. S’il a vu la piétonne et lui a coupé la route, il constitue un danger public. S’il ne l’a pas vue, il constitue également un danger public. Conduire un camion exige un immense sang-froid et une grande retenue à tout moment, particulièrement en milieu urbain, où abondent les usagers de la route les plus vulnérables : les piétons et les cyclistes.

Si Dieu existait, ce type aurait une terrible maladie d’estomac pendant le long week-end de la Fête du Dominion.

Mais le bon Dieu n’existe pas et ce gars ne saura jamais à quel point il a été près de se retrouver dans un communiqué de presse du SPVM sous la formule proverbiale « le chauffeur du camion n’a pas été blessé, mais a été traité pour un choc nerveux. Peut-être qu’il s’en fiche. »

L’autre façon de décortiquer ce qui aurait pu être un drame absurde et inutile est d’examiner l’aspect hyper dangereux de cette intersection.

Je parle ici de l’intersection Robert-Bourassa–De La Gauchetière, mais on peut en dire autant de toutes les intersections d’artères majeures qui ont cette détestable caractéristique de mettre en compétition piétons et véhicules.

Il est totalement irresponsable qu’il existe encore à Montréal des intersections d’artères majeures où piétons et véhicules se disputent l’espace-temps d’un feu vert pour traverser.

Scénario : plusieurs piétons traversent au feu vert, la silhouette blanche du piéton leur donnant le droit de le faire. Les véhicules ont également le droit de s’engager dans le carrefour, le feu étant pour eux vert. Bien entendu, les piétons sont prioritaires. Mais le danger demeure ici : les voitures peuvent allumer un feu vert et, pour tourner, il faut s’engager dans le chemin des piétons. Il faut jauger le « bon » moment pour tourner, pour s’insérer entre deux groupes de piétons par exemple.

C’est ce que je veux dire par mettre en compétition piétons et véhicules. Il s’agit d’une évolution stupide et dangereuse, au-delà de la stupidité et de la dangerosité des humains qui marchent et conduisent.

En fait, il y a ici deux types de compétition : pour l’espace et pour le temps.

Compétition pour l’espace : les véhicules ne doivent pas tourner au feu vert alors que les humains traversent à pied sur la même voie asphaltée.

Concurrence dans le temps : tout le monde est pressé, tout le monde veut arriver rapidement à destination, le travailleur de l’information et le chauffeur de camion ; le banquier et le chauffeur Uber.

Désormais, tout le monde – automobilistes, conducteurs et piétons – a littéralement un œil sur l’horloge, le compte à rebours est visible de tous, sous la silhouette blanche du piéton affichée aux intersections : 17 secondes, 16, 15, 14, 13, 12, 11, 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1…

Et ça devient rouge.

Vous verrez souvent un piéton commencer à traverser alors qu’il n’aura visiblement pas le temps de le terminer.

Vous trouverez un chauffeur de camion ou un automobiliste qui se précipitera entre deux groupes de piétons, car il a légalement deux secondes pour tourner.

Ce ballet dangereux est la conséquence directe d’un agencement dangereux. Si vous mettez en compétition des véhicules et des piétons qui disposent à peu près du même temps et de l’espace pour traverser un carrefour, si vous les forcez à se croiser et à se frôler, vous jouez aux dés avec la sécurité des piétons.

Cette disposition augmente le risque d’erreurs fatales. Une impatience, une distraction et c’est une collision. J’ai en tête un exemple d’aménagement intelligent qui réduit les risques de collision aux intersections : je parle de feux pour cyclistes qui sont distincts des feux pour voitures qu’on retrouve par exemple sur le REV, rue Saint-Denis. Ces feux séparés limitent les interactions malheureuses et donnent aux deux parties, cyclistes et véhicules, suffisamment de temps pour entrer à tour de rôle dans une intersection.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE ARCHIVES

Projections de trottoirs au coin de l’avenue Laurier et de la rue de Brébeuf

Autre exemple de planification intelligente : les projections de trottoirs, qui créent un entonnoir aux intersections signalées par des panneaux « stop », dans les zones résidentielles, ce qui limite les dépassements stupides des automobilistes pressés aux carrefours.

Bref, le constat est clair : la Ville de Montréal ne devrait plus tolérer cette compétition véhicules-piétons aux grandes intersections. Chacun devrait avoir son moment pour s’engager, pour se tourner.

En matière de sécurité routière, on peut multiplier les campagnes de sensibilisation et les moyens de pénaliser les automobilistes, mais trois mots sont importants pour limiter le nombre d’accidents : planifier, planifier, planifier.

 
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