A Blois, des ouvriers en colère, une embuscade du RN et la table du ministre

A Blois, des ouvriers en colère, une embuscade du RN et la table du ministre
A Blois, des ouvriers en colère, une embuscade du RN et la table du ministre

La France est-elle le seul pays en Europe à avoir une vision aussi catastrophique des mutations ? Ou est-ce une posture de ses ressortissants de pouvoir continuer à râler en toutes circonstances ? En d’autres termes, le « La Gaule réfractaire», pour reprendre l’une des nombreuses expressions macroniennes à s’être retournées contre leur auteur, est-ce plus que jamais l’horizon indépassable de la France ?

C’est la question que je me pose puisque, peu après Vendôme, je quitte l’Eure-et-Loir par la D957 pour le Loir-et-Cher, et bientôt la Beauce devient la Sologne. Il faut suivre : tous les départements de la région portent le nom de deux fleuves à la fois, et à Blois, où j’arriverai bientôt, la Loire coule aussi en majesté. C’est pour cette raison que les rois de la Renaissance firent construire aux alentours tant d’admirables châteaux. Quiconque trône au-dessus de la ville devra attendre un peu, car ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le sort de la mythique chocolaterie Poulain, présente ici depuis 1848, et dont la fermeture vient d’être annoncée. Avec elle disparaissent 109 postes et des dizaines d’emplois indirects, de sous-traitants et d’intérimaires. Une rupture sociale. Dans les années soixante, « Un Blois sur trois était un Poulain »On me le dit tout de suite.

Le poulain met les voiles

Le propriétaire de la marque s’appelle Eurazeo, un fonds d’investissement français milliardaire, aussi spécialiste que vous et moi du chocolat, puisqu’il possède également Europcar, Moncler et Desigual, pour ne citer que quelques noms. Elle est un « acteur majeur de la gestion d’actifs sur les marchés », comme elle se décrit sur son site, et elle a décidé qu’il lui reviendrait moins cher de quitter Blois pour transformer le cacao en plaques ailleurs dans l’Union européenne.

(Lorsque le groupe américain Mondelez a délocalisé la fabrication du Toblerone de Suisse en Slovaquie il y a un an, personne n’a levé le petit doigt, il n’y avait pas de Suisses réfractaires. On leur a simplement demandé de remplacer le Cervin sur l’emballage par une montagne triangulaire moins ressemblante. )

VOIR, pour Heidi.news

« C’est honteux, on casse l’outil de production pour la seule satisfaction des profits des actionnaires. La disparition de Poulain est le symbole de l’échec de Macron et de la poursuite de la désindustrialisation du pays., explique Tony Anjoran, délégué CGT, qui attend devant la préfecture le coup d’envoi du cortège intersyndical. On ne lui demande donc pas ce qu’il pense de cette phrase prononcée par le Président de la République lors de la dissolution de l’Assemblée nationale :

« Être Français, c’est choisir l’histoire plutôt que de la subir. »

Infiltration nationale

La grandiloquence peut rester à Paris. Ici, les problèmes sont plus prosaïques : “Sauver les usines et les emplois, nous ne faisons pas de politique” a déclaré un militant CFDT. Mais on fait quand même un peu. » Ainsi, une échauffourée a éclaté lorsqu’un petit groupe d’élus locaux du Rassemblement national, non invités, a voulu participer. Parmi eux, Michel Chassier, inquiet pour Chocolats Poulain, et qui juge sa présence légitime depuis « Les travailleurs votent pour nous à 50 % ».

Où on n’est pas très content de voir arriver le RN.

Où Michel Chassier, conseiller régional RN du Centre-Val de Loire, se revendique ouvrier.

Pas facile de chasser Chassier : il suivra le cortège, à distance respectable malgré les vitupérations de militants motivés (« Pas de fascistes dans nos quartiers ! Pas de quartier pour les fascistes ! »). Que nos lecteurs se rassurent ici, à aucun moment sa moustache ne sera en danger.

La vérité sur le climat

En attendant, une vive discussion a lieu un peu à l’écart sur le trottoir. D’un côté la candidate RN dans la circonscription, Marine Bardet, agent immobilier et conseillère régionale, qui vient d’être expulsée de la manifestation et qui n’a pas la carrure de Michel Chassier pour persévérer. De l’autre, un élu local d’attache socialiste, Jean-Marc Moretti, maire du village voisin de Villerbon.

  • Elle : “Vous voyez, il n’y a plus de démocratie en France, les extrémistes de gauche vont nous apporter le chaos et l’insécurité.”

  • Son: « Quoi qu’il en soit, soyez raisonnable, c’est vous qui portez la division. Les solutions que vous proposez fractureront la société.

Jean-Marc Moretti, maire de Villerbon

Dans son village, explique Jean-Marc Moretti, le climat se dégrade également. « Rien à voir avec les délires du RN sur l’immigration. En fait, la diversité existe depuis longtemps, et c’est une bonne chose. La vérité est que les gens ne peuvent plus se supporter. Un appel sur deux que je reçois concerne un problème de quartier. Personne n’a plus de tolérance pour quoi que ce soit.

Le ministre ouvre sa table

Deux heures plus tard, au bord de la Loire, terrasse d’une brasserie. Le candidat de la majorité présidentielle (Modem) dans la 1ère circonscription du Loir-et-Cher reçoit qui veut venir, devant un plateau de fromages et de jambon cru. Si l’expression « à la bonne franquette » était jamais méritée, c’est à cette occasion. Car la table est ouverte, et on y retrouve un sympathique groupe de Français plutôt en bonne santé, un peu inquiets de la tournure récente des événements mais bavards.

Marc Fesneau est ministre de l’Agriculture depuis deux ans, il a déjà bien encaissé puisqu’il y avait des tracteurs à Paris en janvier, et il a reçu des œufs au Salon de l’Agriculture en mars. Chaque ministre en exercice doit subir ce baptême du feu dans le secteur « facilement tapageur », selon les mots de l’intéressé. Il concède que le gouvernement, dont il est l’un des membres les plus discrets et réservés, « a su donner l’impression d’une certaine arrogance collective, d’être très sûr de soi, égocentrique sur Paris, pas à l’écoute des territoires. Ce n’est pas mon opinion, mais peu importe, si c’est le sentiment, nous devons y prêter attention.

Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et député MoDem de la 1ère circonscription depuis 2017, en campagne à Villerbon. | SE, pour Heidi.news

Adepte de la chasse à l’arbalète dans la forêt de Chambord, Marc Fesneau s’inquiète de voir le RN débaucher tout un électorat bourgeois qui votait autrefois à droite dans la région. Même dans le Loir-et-Cher paisible et bourgeois, le RN est à 32 %. «Ils s’adressent à la coalition des mécontents, capitalisant pleinement sur le fait de n’avoir jamais gouverné. Ils peuvent tout promettre, car nous ne les avons jamais essayés.»

Défilera à sa table :

Dominique Mauclair enseigne dans un lycée local. Il est venu écouter le ministre-candidat “par souci d’information” mais ne votera pas pour lui, mais plutôt pour le Nouveau Front populaire, la gauche unie qui le serait davantage sans les divagations mélenchoniennes. Il a surtout un avertissement sous forme de manuel d’histoire : « Les partis fascistes ont toujours simulé la fibre sociale ».

Arrivée en France il y a dix ans car persécutée par les Azéris dans son village près du Haut-Karabakh, cette commerçante arménienne ne donne pas son nom, et ne dit pas pour qui elle va voter. Mais elle est très sensible aux arguments d’un des blocs opposés. « La France est la championne mondiale de l’aide sociale inconditionnelledit-elle dans un français parfait. Il doit plutôt poser des conditions : soit vous vous intégrez, soit vous sortez. Je ne vais pas les nommer, mais il y a encore des communautés qui viennent ici uniquement pour en bénéficier et qui ne prennent même pas la peine d’essayer de devenir françaises.

Le conseiller se présente ainsi : « Je suis éco-rocardien mais pro-nucléaire, ancien ingénieur à la centrale EDF de Saint-Laurent-Nouan, juste à côté. Inquiet car on a laissé filer le communautarisme dans le pays et plus rien ne fait société, plus rien ne fait république.» Il dit que les Français doivent réapprendre à se parler sereinement, que les élections législatives laissent présager beaucoup de chaos alors que le pays n’a plus besoin de se quereller davantage.

Le ministre Fesneau est d’accord. « Il n’y a plus que deux blocs antagonistes, partout, tout le temps. Les riches contre les pauvres, les ruraux contre les urbains, les religions entre elles, les patrons contre les salariés.. Sa solution ? Votez encore et encore pour cette majorité présidentielle que l’on ne voit plus en peinture, sous prétexte qu’elle reste ainsi « centre responsable, le seul capable de lutter contre les deux extrêmes ».

Un programme? Pas vraiment, juste un espoir, ténu, aussi fragile que ces branches emportées par la Loire, encore gonflées de la colère du ciel.

 
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