A Nîmes, un PMU transformé en bar de catch

Nîmes (Gard), report

Le long du boulevard Gambetta, la terrasse du Bar du Midi se remplit vite en ce mercredi ensoleillé. Chacun cherche de l’ombre en déplaçant les tables qui finissent par n’en former qu’une. Le repas à prix libre, servi en solidarité avec une famille réfugiée, a été unanimement salué par « miam, c’est vraiment bon ! », « À votre avis, qu’est-ce que l’épice ? ? ». « Rien de tel que la nourriture pour délier les langues et susciter les discussions »commentaires Romain, 37 ans, chercheur indépendant en histoire sociale et co-gérant de ce bar CGP à vocation sociale.

L’envie des trois amis, lorsqu’ils ont acheté les lieux en décembre 2022 grâce à un prêt bancaire, était de réussir à mélanger des groupes sociaux qui jusqu’alors ne s’y côtoyaient pas tout en conservant la saveur originelle des lieux. CGP installé là depuis 60 ans. Ainsi, les anciens clients du bar, plutôt pauvres et racisés, sont restés et ont vu arriver à leur table étudiants, syndicalistes et militants. « Beaucoup n’y croyaient pas, nous disaient que ça ne marcherait pas à cause de la réputation du quartier. »se souvient Clément, 35 ans, co-gérant.


Noumina et Messaouda, du collectif des habitants organisés du 3e quartier de Marseille, ainsi que Kamel du restaurant Après-M présentent leurs actions pour lutter contre la précarité alimentaire.
© Estelle Pereira / Reporterre

Concrètement, on y va pour boire un verre ou pour se rendre à un meeting militant, assister à une projection ou écouter une conférence. Début juin, ils ont même lancé le premier festival populaire d’écologie Les Vers du ter-ter, avec une question : « Comment reprendre le pouvoir sur notre alimentation ? » « L’alimentation est une question hautement politique »résume Romain.

Leur ambition : créer une écologie populaire. Et cela commence avant tout, pour Romain, par briser les barrières symboliques et géographiques entre les quartiers nîmois en permettant aux habitants de se rencontrer, de discuter et d’échanger. Si le barreau met ses locaux à disposition pour la première campagne des législatives, Romain insiste : « Même si nous sommes contre l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, nous ne voulons pas nous laisser utiliser par un parti politique. Nous entendons plutôt encourager le mouvement social, l’organisation des citoyens eux-mêmes pour qu’ils puissent à leur tour faire pression sur les élus. »

Quartier coupé du reste de la ville

Le quartier Gambetta-Richelieu est classé « quartier prioritaire de la politique de la ville » pour son niveau de pauvreté (selon l’Insee, 43 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté en 2022). Bien que situé en bordure du centre-ville de Nîmes, le quartier est coupé du reste de la ville : Nîmes est l’une des dix villes les plus ségréguées de France. [1]. En d’autres termes : le revenu détermine l’endroit où les gens vivent, et les riches et les pauvres peuvent vivre à 100 mètres l’un de l’autre sans jamais se croiser.


Romain Duplan, 38 ans, chercheur indépendant en histoire sociale, a racheté le Bar du Midi avec deux amis avec l’ambition d’en faire un lieu de politisation et de convergence entre luttes sociales et écologiques.
© Estelle Pereira / Reporterre

« Les personnes les plus précaires sont aussi les plus confrontées aux effets du changement climatique, à la hausse des coûts de l’énergie et de l’alimentation et ce sont aussi celles qui sont les moins entendues sur ces questions. Ils pratiquent cependant une écologie “souffert” : prendre les transports en commun, consommer moins, les quartiers populaires le font déjà au quotidien »il insiste.

« Les précaires sont les plus confrontés aux effets du changement climatique »

Créer des ponts après des années de ségrégation et de banalisation des idées racistes : le défi est immense. Avec son air enjoué, Mohsen, 72 ans, se réjouit de l’ouverture du bar. « La politique française consiste à mettre les immigrés dans des ghettos. Un lieu comme le Bar du Midi brise cette spirale de séparation. Mais pour sortir les gens d’un ghetto, il faut du temps ! Il y a des immigrés qui vont au bar, qui ne discutent pas forcément au début, parce qu’ils ont des difficultés de langue, mais au moins il y a du contact. Petit à petit, les gens oublient leur appréhension »observe le retraité plein d’espoir.


L’arrivée du Bar du Midi, qui met à disposition une salle de réunion, est une bouffée d’oxygène pour de nombreux Nîmois.
© Estelle Pereira / Reporterre

« Les rencontres faites au Bar du Midi nous permettent de toucher du terrain », réagit Odessa, 35 ans, membre du comité de quartier Gambetta-Révolution. L’association chargée de porter la voix des habitants auprès des pouvoirs publics ne dispose pas de locaux pour se réunir. L’arrivée du Bar du Midi, qui met à disposition une salle de réunion, est une bouffée d’oxygène selon Isabelle, 62 ans, coprésidente du comité : « Les gens sont de plus en plus repliés sur eux-mêmes. Ils sont happés par les écrans et cela s’est accentué avec le Covid. Notre combat est de les faire sortir de chez eux, de voir qu’il existe autre chose que l’argent et la société de consommation et que nous pouvons agir à notre échelle pour notre quartier. »

Un endroit pour parler politique

« Dans les autres quartiers populaires de la ville, il n’y a pas de place pour discuter de politique », déplore Madani, 55 ans. Adossé à l’entrée du bar, ce militant de longue date pour le droit au logement dans les quartiers populaires estime avoir « résolu plus de problèmes ici que n’importe où ». Un ami d’enfance, comme lui de SOUPE Au Nord, le quartier populaire de Valdegour, s’en approche, les yeux gonflés de fatigue. Il lui raconte qu’il a été soumis à un contrôle de police dans son épicerie la veille et lui montre une vidéo de son arrière-boutique saccagée. « Pourquoi ont-ils été obligés de tout détruire ? », rage-t-il. Alors qu’il vide son sac, les gens lui tapotent le dos en guise de soutien.


Le festival populaire d’écologie Les Vers du ter-ter proposait début juin un atelier gratuit sur le compostage et le semis.
© Estelle Pereira / Reporterre

Madani rebondit : « Faire de l’écologie populaire, c’est aussi et surtout se sentir concerné par les difficultés des habitants du quartier : racisme, violences policières, mal-logement. Autant de sujets qui nécessitent aussi une action politique et solidaire. »

Derrière le bar, tout sourire, Clément, ancien designer social, sert tour à tour cafés et bières. Un client paie sa tournée à son voisin. Une coutume selon la table où le « cafés suspendus », payé par certains pour ceux qui n’en avaient pas les moyens. Le co-gérant y trouve son rôle dans les relations sociales plus important que lorsqu’il travaillait pour des ministères : « Nous voyons des amitiés se créer, des solidarités s’établir. »

« Nous voyons la solidarité s’établir »

Sur un kiosque, une vingtaine de titres et livres de presse indépendante sont disponibles. Des conférences et des projections sont régulièrement organisées. Les trois partenaires souhaitaient un bar où l’accès au savoir serait facilité. Mais aussi un lieu où découvrir les initiatives locales. « La ville de Nîmes compte de nombreuses associations, mais chacune travaille dans son coin. Je constate beaucoup d’épuisement chez les militants. La question est : comment pouvons-nous nous entraider, nous soutenir mutuellement ? ? » explique Romain.


Mohsen, 72 ans : « Pour sortir les gens d’un ghetto, il faut du temps. »
© Estelle Pereira / Reporterre

Autour d’un « café des luttes », les associations locales ont pu partager leur combat : celui contre le contournement ouest de Nîmes – un projet de 2×2 voies sur 15 km qui menace d’artificialiser 150 hectares d’espaces naturels – ou celui du comité de quartier pour la création d’une île de fraîcheur à la place d’un immeuble. La Confédération Paysanne du Gard et le collectif nîmois soutenant les Insurrections de la Terre ont pu annoncer leur projet de création d’une sécurité alimentaire sociale.

« Il fallait un lieu comme celui-ci pour que chacun puisse sortir de sa léthargie et de sa solitude. », soutient Odessa. Une manière de réapprendre à vivre ensemble, à être société en somme. « Parler de quartiers quand on n’y habite pas, parler d’agriculture quand on ne cultive pas, si on ne rencontre pas du monde et ne s’en tient pas à la théorie, on passe forcément à côté de choses. », pense Josépha, 24 ans. Militante et bénévole, elle espère que pour sa prochaine édition, le festival se tiendra en lien avec tous les autres quartiers populaires de Nîmes.

 
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