L’Association québécoise du propane rêve d’implanter une usine de « propane vert » au Québec, qui pourrait réduire les émissions de GES des fermes. Une idée qui divise les experts, dont certains s’inquiètent de l’inaction du Québec dans ce dossier.
« Pouvez-vous le sentir dans l’air ? C’est parce que le maïs sèche», observe le contremaître Claude Allard.
Aucun doute possible : en cette belle journée de novembre, ça sent le pop-corn à la coopérative Covris de Baie-du-Febvre, au bord du fleuve Saint-Laurent.
Aucune projection cinéma n’est cependant en cours. C’est plutôt le marathon du séchage des céréales qui bat son plein ici. L’objectif : faire sécher les grains de maïs avant de les stocker dans d’immenses silos pour l’hiver afin d’éviter qu’ils ne pourrissent.
Pour cela, deux brûleurs chauffent en continu, alimentés par quatre grandes bonbonnes de propane blanches.
Brûler du propane, c’est libérer du CO2. Et cela inquiète certains agriculteurs, conscients de polluer assez intensément pendant les six semaines du processus.
C’est pourquoi, le soir même de notre visite à la coopérative Covris, la semaine dernière, une toute première livraison de « propane vert » y était attendue. Expédié par train depuis la Californie, il s’agit d’un gaz appelé éther diméthylique renouvelable. Cet EDMr, comme le disent les initiés, est très similaire au propane. Il est produit à partir de résidus forestiers ou agricoles. Comme ce gaz provient de matériaux qui auraient pollué l’atmosphère, ses émissions sont considérées comme inférieures à celles des énergies fossiles.
La coopérative Covris enverra 10% d’EDMr dans ses brûleurs dans le cadre d’un projet pilote.
Selon l’Association québécoise du propane, qui dirige le projet, ce premier wagon de propane vert arrivant au Québec réduira les émissions de gaz à effet de serre de 12,5 tonnes – l’équivalent de celles générées par trois passagers qui effectueraient un vol aller-retour Montréal-Tokyo.
À l’échelle du Québec, ce n’est pas grand-chose. Mais l’Association québécoise du propane voit plus grand.
Ce que nous voulons faire avec le projet pilote, c’est démontrer la viabilité de l’EDMr. Nous prendrons des mesures, nous documenterons tout. L’objectif ultime est de produire du propane vert au Québec.
Stéphanie Paré, general director of the Quebec Propane Association
Visiblement, l’Association aimerait convaincre un acteur comme l’entreprise américaine Oberon Fuel, qui fournit du propane vert à la coopérative Covris, d’implanter une usine au Québec.
Le groupe calcule qu’en augmentant la proportion d’EDMr à 20 % dans le mélange à brûler et en choisissant celui ayant la plus faible empreinte carbone, on pourrait réduire les émissions liées au séchage des grains de 27 300 tonnes équivalent CO.2 chaque année au Québec, l’équivalent des émissions d’environ 8 000 voitures.
«Nous voulons contribuer à la décarbonisation», affirme Raymond Gouron, porte-parole de l’Association québécoise du propane. Nous n’avons pas à le faire. Énergir, par exemple, doit, par la loi, injecter 5 % de gaz naturel renouvelable dans son réseau d’ici 2025 et 10 % d’ici 2030. Nous n’avons pas d’obligations similaires. Mais je pense que nous devons, en tant qu’industrie, le faire. Il y a une dimension éthique. Et si nous ne le faisons pas, il existe des alternatives qui prendront le dessus sur notre marché. »
Selon lui, le séchage des grains est difficile à électrifier. D’un simple point de vue économique, il soutient qu’aucun agriculteur n’investira dans le changement de son équipement pour une exploitation qui ne dure que six semaines par an.
A noter que les distributeurs de propane étant soumis au marché du carbone, ils doivent payer pour leur pollution. La réduire entraîne donc certaines économies.
Les experts restent néanmoins divisés sur cette idée d’utiliser du propane vert.
«Je n’y vois que du positif, surtout s’il est produit ici», affirme Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes Environnemental en Énergie. En dehors des murs solaires, il n’existe pas beaucoup de solutions pour cet usage qui serait difficile à électrifier. Les murs solaires pourraient également être couplés au gaz propane vert pour une décarbonation plus optimale. » Les murs solaires sont des panneaux solaires intégrés aux murs d’un bâtiment.
Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut Trottier de l’énergie, voit au contraire le propane vert comme une solution « fragile ».
Le problème, c’est que cela ne pourra jamais nous amener à la neutralité carbone.
Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut Trottier de l’énergie
La proportion d’EDMr pouvant être brûlée avec les équipements existants semble en effet limitée à 20 %, et le propane vert n’est pas totalement nul en émission.
«Je pense qu’il faut de vraies stratégies au lieu d’investir dans des centrales de propane vert qui devront être amorties sur plusieurs années et qui ne nous amènent pas à atteindre nos objectifs», dit-il. L’expert admet ne pas avoir de solution précise sous la main, mais affirme que ce serait au Québec d’en élaborer une.
« Le gouvernement québécois est absent un peu partout sur ces dossiers », dénonce-t-il. Il n’y a pas de programme, pas de véritable vision pour dire : comment aborder chaque secteur et quelle est la meilleure stratégie pour décarboner ? Cependant, une vision globale est nécessaire. On ne peut pas laisser chaque producteur faire l’effort. »
Il est difficile de s’opposer aux efforts de réduction. Mais avant d’y investir de l’argent, je pense aussi que nous devons examiner si d’autres options peuvent nous mener encore plus loin. Gardant à l’esprit que la neutralité carbone n’est pas qu’un joli concept que l’on brandit pour apaiser sa conscience. Ce doit être un objectif accompagné d’un plan pour y parvenir.
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