Ils sont venus ici parce qu’on leur avait promis la résidence permanente. Mais le gouvernement du Québec a changé les règles du jeu en cours de route. À tel point qu’ils regardent désormais le Canada anglais, avec le sentiment d’avoir été floués.
« On nous a vendu un faux rêve. Finalement, on fait toutes les démarches, on est bien, on est bien intégré. Mais au dernier moment, on nous dit : on change les règles», témoigne Christopher Dinh-Tran, un père de famille français installé à Lévis.
« Faites attention, dit-il, nous ne sommes pas que des chiffres. Vous mettez en péril vos projets de vie. »
« Aujourd’hui, ajoute son épouse, la seule possibilité qu’on a, au fond, de rester sur le territoire, c’est de changer de province. »
Christopher Dinh-Tran, 41 ans, et Tiffany Corti, 36 ans, sont arrivés au Québec en juillet 2023 avec leurs deux enfants, « pour ne pas repartir ». Il travaille comme agent de sécurité pour Garda, au Québec. Son épouse est agente administrative.
Nous pensions que le Canada était un bon pays, mais nous avons finalement été rejetés.
Christophe Dinh-Tran
Le 30 octobre, le gouvernement du Québec a déclaré un moratoire jusqu’au 30 juin 2025 sur deux programmes populaires d’immigration permanente, dont le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), qui a permis à 25 000 personnes de s’établir au Québec en 2023.
Depuis ce jour, le couple ne dort plus.
«Nos permis de travail durent jusqu’au 19 juillet 2025», explique M.moi Corti. Dans deux semaines, nous n’aurons jamais de situation régularisée pour pouvoir rester sur le territoire. Alors là, on cherche désespérément une solution pour rester au Québec, pour quitter la province s’il le faut, mais on ne veut pas y retourner. »
« Que pouvons-nous faire de plus ? »
Ces changements affectent de multiples façons les personnes qui ont entamé le processus d’immigration au Québec. Chaque situation est différente, les règles qui ont changé ne sont pas les mêmes d’un cas à l’autre. Le point commun est le virage à 180 degrés du gouvernement.
Delphine Goudry et son partenaire Anthony Léger ont également perdu le sommeil.
« Nous sommes dans une situation très compliquée avec ma petite famille », confie cette Française de 45 ans, qui vit ici depuis plus de trois ans avec son mari et leurs trois enfants de 15, 12 et 9 ans.
On se dit qu’on ne pourra peut-être pas rester au Québec parce qu’on nous ferme les portes.
Delphine Goudry
Dans son cas, c’est le certificat de sélection québécois qui se fait attendre. Ce document est conditionnel à l’obtention de la résidence permanente au Canada. M.moi Goudry a fait la demande il y a 11 mois… et toujours pas de réponse. Le problème, c’est que son permis expire le 31 décembre.
«Nos enfants sont très bien intégrés», dit-elle. Mon mari a ouvert une entreprise au Québec qui a un excellent chiffre d’affaires annuel. J’ai un studio de photographie. J’ai des clients, une bonne réputation. Finalement, on a tout ce qu’il faut pour être très bien au Québec, et là, on ne sait pas pourquoi, le dossier est bloqué. »
Les gens autour d’eux sont stupéfaits.
« Tout le monde nous dit non, mais ce n’est pas possible, tu ne vas pas partir. Nous avons l’impression que nous ne sommes pas recherchés. Je ne comprends pas. Nous parlons français, nous avons de très bons diplômes. Finalement, nous apportons de la richesse au Québec. Que devons-nous faire de plus ? »
Un sentiment de trahison
Vialy Mendzet, 32 ans, est également « bloqué ».
En plus du PRTQ, le gouvernement a gelé le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), volet diplômé : la voie rapide pour que les étudiants étrangers deviennent résidents permanents.
Selon Krishna Gagné, avocate spécialisée en immigration, « le Québec risque de perdre de nombreux étudiants internationaux formés ici, venus dans le cadre de programmes où on leur promettait un avenir au Québec ».
«Cela démontre un échec total de la planification de l’immigration et un manque de vision à long terme», déclare-t-elle. Nous disons : au revoir à tous ! »
Au Québec depuis 2021, Vialy Mendzet a complété un diplôme d’études supérieures en droit de l’environnement, puis une maîtrise dans le même domaine.
Avec beaucoup de difficultés, j’ai dû travailler à temps partiel, puis à temps plein, pour payer mes frais de scolarité. Et là, patatras ! on nous dit : c’est fini, la pièce pour laquelle vous vous êtes battu n’est plus disponible.
Vialy Mendzet
Ce Congolais se sent trahi par le Québec.
« Le pire, c’est que si j’avais fait une année d’études en plus, j’aurais pu comprendre. Mais là, j’ai fini, j’ai coché toutes les bonnes cases, j’ai fait tout ce qu’on m’a dit de faire. Ensuite, ils me disent : ce qu’on t’a dit, ce qu’on t’a promis, ce n’est pas ça, repart de zéro, fais ce que tu veux, trouve une autre solution. »
M. Mendzet envisage également de quitter le Québec pour se rendre dans une autre province, où des efforts sont déployés pour attirer des immigrants francophones.
« J’ai fini par avoir des plans B, C et D, même si le plan A était clair », insiste-t-il. Le plan A était ce qu’on m’avait promis, et cela ne m’a pas été donné. »
L’angoisse de partir
Les projets de vie de Sacha Perrin au Québec sont également compromis.
Le 8 novembre, ce Français de 26 ans apprend que sa demande de renouvellement de son permis de travail a été refusée.
Psychologue en France, il vit au Québec depuis deux ans avec sa compagne québécoise, Noémie Lemay.
Je suis venue pour pouvoir faire mon équivalence et devenir psychologue au Canada. Et en attendant, je suis travailleuse psychosociale et responsable des activités psychosociales à l’Encre des Jeunes, dans le quartier de Verdun.
Sacha Perrin
Mais depuis le 8 novembre, il ne peut plus travailler. Et comme son salaire chez Encre des Jeunes est de 26 $ de l’heure, il tombe sous le gel d’un autre programme, celui des travailleurs étrangers temporaires (PTET), à Montréal.
« Pour le moment, ce qui se profile, c’est que je vais devoir quitter le pays », affirme Sacha Perrin, qui déplore ces changements.
« On s’installe, on vit notre vie, parce que pour moi, ma vie c’est ici, c’est au Canada, c’est pas en France. Et puis, tout d’un coup, en quelques semaines, on se rend compte que toutes nos options se ferment une à une et qu’il va falloir faire marche arrière. C’est extrêmement pénible. »
“C’est l’horreur”
Caroline Fabbro, 38 ans, vit elle aussi avec l’angoisse de devoir partir.
Diplômée en photographie à Montréal, elle s’apprêtait à postuler au PEQ-diplôme lorsque cette option a disparu avec l’imposition du moratoire.
« J’ai mes clients réguliers, ça fait quatre ans que je vis ici », insiste-t-elle. J’ai mon appartement, j’ai mes amis, j’ai ma voiture, j’ai tout. Et puis, tout d’un coup, c’est l’horreur. Comment ne pas considérer la vie des gens comme ça ? C’est inhumain. »