« Une première rencontre avec Emmanuel Macron dans un contexte assez particulier »

« Une première rencontre avec Emmanuel Macron dans un contexte assez particulier »
« Une première rencontre avec Emmanuel Macron dans un contexte assez particulier »

Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye est attendu ce mercredi soir à Paris et déjeunera demain jeudi à l’Elysée avec son homologue français Emmanuel Macron. Il s’agit de sa première visite en France depuis son élection. Il y a un mois, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko s’était montré virulent envers le chef de l’Etat français. Cette accusation verbale laissera-t-elle des traces ? Décryptage avec Pape Ibrahima Kane, expert des questions régionales africaines, en ligne depuis Dakar.

RFI : Pour sa première visite hors du continent, le président Diomaye Faye choisit la France. Est-ce un signe politique ou le fruit du hasard de ce Forum mondial sur la souveraineté vaccinale ?

Pape Ibrahim Kane : C’est à la fois le fruit du hasard, mais je pense qu’il était nécessaire, compte tenu de l’histoire des relations entre le Sénégal et la France, qu’Emmanuel Macron soit le premier président occidental que le président Diomaye Faye a rencontré, car ils ont encore beaucoup à se dire. autre.

Les deux hommes se sont entretenus au téléphone, juste après l’élection de Bassirou Diomaye Faye. La conversation a duré assez longtemps, je pense. Mais ce sera la première rencontre physique.

Oui, une première rencontre physique, mais qui se déroule dans un contexte assez particulier. Le président Macron, au niveau national, traverse quelques difficultés politiques. Et côté sénégalais, le président Diomaye Faye rend visite au président français au moment où la situation économique au Sénégal n’est pas du tout bonne.

Alors avant de construire une nouvelle relation, il faut purger le passé. Le 16 mai, le Premier ministre Ousmane Sonko a tenu des propos durs à l’encontre d’Emmanuel Macron. Il lui reproche d’avoir fait le jeu du régime répressif de Macky Sall, entre 2021 et 2024.

Je pense donc que cela devrait servir de leçon à tous les dirigeants occidentaux pour que, lorsqu’il y a une opposition, notamment républicaine, à la considérer comme étant un parti politique susceptible de prendre le pouvoir et donc à la traiter avec déférence. Et cela n’a pas été le cas dans le passé. Et ainsi, cela a inutilement créé des frictions, des attitudes d’hostilité qui ne devraient pas vraiment exister entre les dirigeants occidentaux et les partis politiques en Afrique.

Mais cette accusation d’Ousmane Sonko contre Emmanuel Macron il y a un mois, est-ce que cela signifie que les relations vont être compliquées désormais ?

Non pas du tout. Parce que Sonko, il est dans son rôle, il est le leader d’un parti politique, il a souffert dans sa chair. Il exprime cet ostracisme. Mais lorsqu’il s’agit des relations entre le Sénégal et la France, c’est le président Diomaye Faye qui est aux commandes. Et vous avez vu que dans sa posture, dans son comportement jusqu’à présent, il a vraiment pris soin d’avoir une attitude assez déférente envers tous les dirigeants qu’il a rencontrés. Et puis, c’est quelqu’un qui ne parle pas trop, et c’est une très très bonne chose en diplomatie. Je pense que la réunion, qui aura lieu demain, sera une réunion où nous discuterons de manière très calme des relations entre les Sénégal et la France, qui sont des relations très importantes pour la France, car c’est le 2ème pays africain, après la Côte d’Ivoire, avec lequel la France entretient réellement des relations très solides. Mais en plus, le Sénégal a aussi beaucoup, beaucoup de choses à mettre en avant. Il y a cette volonté des dirigeants sénégalais de relancer complètement les relations. Mais pour que cela soit possible, il faut en discuter. Il faut se mettre d’accord sur la méthode et aussi se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre.

Cette attaque verbale d’Ousmane Sonko contre Emmanuel Macron il y a un mois, n’est-elle pas aussi une façon pour le Premier ministre sénégalais de dire à son compagnon politique Diomaye Faye que les affaires étrangères ne relèvent pas uniquement de la responsabilité du Président de la République ?

Non pas du tout. Vous savez, même ici au Sénégal, il y a beaucoup, beaucoup de spéculations autour de la posture que Sonko prend. Il reçoit des ambassadeurs, il s’intéresse à ceci et à cela. Je pense qu’il faut savoir garder la raison et comprendre cela, lorsqu’il s’agit de diplomatie… et Sonko d’ailleurs l’a un jour reconnu publiquement en disant que la défense, les affaires étrangères, sont du domaine du président de la République. Et donc il faut comprendre que c’est un homme politique, c’est le leader d’un parti politique, il a beaucoup plus de liberté que le Président de la République qui s’occupe des affaires de l’Etat, et donc qui a en main le destin du Sénégal, les relations entre le Sénégal et le monde extérieur. Alors peut-être que les responsabilités ne sont pas les mêmes, ce qui explique les attitudes de chacun.

Le Pastef de Bassirou Diomaye Faye et la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon sont des alliés politiques, comme on l’a vu il y a un mois à Dakar. Pastef ne soutient-il pas aujourd’hui naturellement le Nouveau Front Populaire qui fait campagne en France ? Cela ne risque-t-il pas de gâcher un peu le déjeuner de ce jeudi à l’Élysée entre Emmanuel Macron et Diomaye Faye ?

Non pas du tout ! Diomaye Faye et Macron, j’imagine, ont toujours à l’esprit qu’ils sont des chefs d’État, que la vie politique intérieure de chaque pays relève de la responsabilité de chacun de ses dirigeants et que, lorsqu’ils se réunissent en tant que chefs d’État, ils doivent discuter sur des questions qui affectent l’avenir des relations entre États.

Parmi les sujets de discorde figure la base militaire française de Dakar, avec ses 350 soldats. ” La souveraineté du Sénégal est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères », disait encore Ousmane Sonko il y a un mois. Va-t-on vers une fermeture de cette base ?

Je pense qu’un État exige une certaine manière d’établir des relations avec le monde extérieur. Surtout ces jeunes qui veulent montrer que l’Afrique est désormais décomplexée par rapport aux anciennes puissances coloniales. La question des bases militaires est pour moi une question symbolique. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes souverains et maintenir sur notre territoire ces bases militaires sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Car si la France décide, par exemple, d’intervenir au Mali et a des forces qui sont implantées au Sénégal et qui doivent participer, le Sénégal n’y peut absolument rien, car le Sénégal ne contrôle pas ces forces. Donc un des éléments de la souveraineté est bien de n’avoir sur son territoire que des forces que le pays accepte et que le pays peut contrôler. Cette question des bases militaires, de mon point de vue, n’est pas aussi fondamentale qu’on le pense. Et je pense que, si la question est posée par le président Diomaye Faye, je ne vois pas comment le président français pourrait s’y opposer. D’autant que la France elle-même envisage de se redéployer autrement avec tous les problèmes qu’elle a rencontrés ces dernières années au Sahel. Et donc cela va simplement aider à prendre les bonnes décisions politiques.

Alors, pensez-vous que la prochaine visite à Dakar de Jean-Marie Bockel, l’émissaire d’Emmanuel Macron, sera pour annoncer la future fermeture de la base française ?

Cela dépend s’ils acceptent demain d’accélérer la procédure. Car fermer une base n’est pas si simple. Vous l’avez vu au Niger, la décision a été prise de fermer les bases américaines. Mais cela prend quand même du temps car il y a la logistique. Ces bases sont également dotées de très nombreux instruments que les Français ne voudraient pas laisser ici au Sénégal. Donc tout cela peut être négocié, le timing peut être négocié. Et en principe aussi, comment ces bases peuvent-elles être formellement restituées au Sénégal ? Car il ne s’agit pas seulement des deux bases de Dakar, la base de Ouakam et la base navale du port. Il y a aussi une présence française dans la région de Thiès, donc il y a tous ces éléments à régler, ce n’est pas si simple, ça demande effectivement beaucoup de discussions et je suis convaincu que, comme les militaires sénégalais et les militaires français se connaissent très bien, ça ne va pas être un sujet de friction. Au contraire, ils faciliteront la rétrocession de ces bases au Sénégal.

Dans quelques mois ou au plus tard dans un an ?

Certes, parce que vous le savez actuellement, le président Diomaye Faye, et c’est aussi un de ses points forts, ne précipite rien, sachant qu’il est novice dans ce nouveau poste, il prend son temps. Il essaie de consulter, de discuter et de voir dans quelle mesure chaque acte posé est un acte qui est dans l’intérêt du Sénégal. Ainsi, le Président de la République du Sénégal a fait preuve jusqu’à présent d’une attitude véritablement mesurée, le Sénégal étant un Etat qui entretient encore des relations diplomatiques avec plus de 120 pays dans le monde. C’est donc vraiment une responsabilité qu’il prend très au sérieux.

Autre sujet qui divise, le franc CFA, le Sénégal d’aujourd’hui veut-il le réformer ou l’éliminer ?

Je pense que le Sénégal est en train de réformer, mais réformer dans le cadre de la CEDEAO. Le président Diomaye Faye s’inscrit dans la démarche de la CEDEAO qui consiste à créer une monnaie commune aux États africains. Il affirme donc que, si cette approche dure plus longtemps que prévu ou si elle est impossible à réaliser, le Sénégal reverra sa position et trouvera éventuellement une autre approche. La question du CFA, je pense qu’elle est un peu liée à la situation économique de nos pays. L’argent est un instrument de développement. La monnaie est un moyen par lequel les États peuvent réellement gérer leur économie et d’autres choses. Et là, pendant plus de 60 ans, l’économie pratiquement des 8 pays de l’UEMOA était aux mains de la France, aux mains de l’UE. Et cela devient tellement difficile qu’il faut réfléchir à une autre manière de gérer les monnaies africaines. Et les petites monnaies ont elles aussi montré leur insuffisance. Prenez l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, des pays dont la monnaie est petite. Certains s’en sortent, mais avec beaucoup de difficulté. Tout cela fait que l’approche sénégalaise est assez prudente et va dans le sens de la CEDEAO. Et cela, je pense, est un élément essentiel de cette souveraineté que revendiquent le Sénégal et d’autres pays.

Le mois dernier, Bassirou Diomaye Faye a été reçu à Bamako et Ouagadougou par deux des régimes putschistes du Sahel. Pensez-vous que Bassirou Diomaye et Emmanuel Macron parleront des enjeux du Sahel ce jeudi à l’Élysée ?

Forcément, car, dans la sous-région, tout le monde fait désormais confiance au Sénégal pour jouer un rôle important dans le retour des pays de l’AES, l’Alliance des États du Sahel, chez eux, c’est-à-dire dans le cadre de la Cedeao. Et il s’avère que Diomaye Faye a noué de bonnes relations aussi bien avec le président du Mali qu’avec le président du Burkina. Tout cela lui permet aussi d’avoir le point de vue français sur cette situation. Le point de vue français sur comment on en est arrivé là, pour que la France soit totalement exclue de cette partie du continent. Et lorsqu’il aura tous ces éléments en main, cela permettra aussi au président sénégalais de voir comment envisager les futures discussions avec tous ces dirigeants. Car, qu’on le veuille ou non, la question de la CEDEAO est aussi une question vitale pour le Sénégal. Il n’est pas possible de croître dans de petits pays. Il n’est pas possible de se développer en dehors du cadre de la CEDEAO. Tous deux ont donc intérêt à ce que ces questions soient résolues de la meilleure façon possible. Et que, même s’il y a rupture avec la France, que cette rupture laisse encore place à des relations renouvelées, des relations qui permettent aux deux parties de défendre leurs intérêts.

Bassirou Diomaye Faye peut-il envoyer des messages entre Bamako et Paris, dans un sens ou dans l’autre ?

jeje ne pense pas qu’il soit dans cette position pour envoyer des messages. Je pense que les relations entre France et le Mali sont si complexes qu’ils dépassent les compétences d’un pays comme le Sénégal.

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