Le JDD. La campagne électorale s’est terminée par quelques incidents violents. Etes-vous néanmoins confiant ?
Amadou Ba. Je suis confiant. J’ai essayé tout au long de cette campagne de convaincre ceux qui s’étaient égarés. En ce qui me concerne, j’évite toujours les excès et les commentaires irresponsables. J’ai essayé de discipliner mon cortège, ce qui n’a pas toujours été facile, et j’ai reçu un accueil bien plus grand que celui d’il y a sept mois. Cela reflète le découragement de certaines populations. Nous attendons désormais que ces élections se déroulent dans la plus grande transparence. Face à la tentation de commettre des fraudes, je sais que notre administration sera exemplaire comme elle l’a toujours été, afin que les résultats reflètent fidèlement le choix du peuple. La situation est suffisamment difficile pour que nous n’allions pas aux extrêmes.
On sait qu’Ousmane Sonko est très proche de Jean-Luc Mélenchon. L’extrême gauche gouverne-t-elle aujourd’hui au Sénégal ?
Notre pays se développe avec très peu de marges de manœuvre. Malgré cette volonté de rupture, je pense que nous devons nous insérer dans la communauté internationale. Si des conseillers ou des hommes politiques d’extrême gauche sont présents dans les cercles de pouvoir, c’est avant tout une question de choix individuels, et non d’appartenance idéologique du pays. Je ne suis pas inquiet : il y a les discours, mais en réalité, je crois qu’on est dans la continuité.
Le Sénégal est depuis des décennies l’un des partenaires les plus proches de la France en Afrique. Est-il toujours là ?
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Le gouvernement a pris des décisions et adopté des orientations qui soulèvent de nombreuses questions, notamment en ce qui concerne l’économie et ses alliances stratégiques. Mais la France et le Sénégal partagent une relation unique, forgée par l’histoire. Aujourd’hui, notre pays ne recherche plus une relation de dépendance mais une collaboration entre égaux.
Il existe cependant un discours anti-français qui inquiète la communauté française de Dakar et pourrait faire fuir les investisseurs de France…
Il faut apaiser. Je ne crois pas que les autorités actuelles aient intérêt à ce que le Sénégal soit instable. La situation économique est déjà assez difficile. Nous devons réparer les fondations de nos relations et faire en sorte que les Français, comme toutes les autres communautés du Sénégal, vivent avec nous dans le calme et la sérénité. C’est une vieille tradition sénégalaise. Nous n’avons vraiment aucun intérêt à faire fuir les étrangers.
Que dites-vous à vos partenaires économiques français ou européens pour les rassurer ?
Il y a une volonté ferme de ma part de travailler sur les investissements et les échanges économiques. Dans le domaine agricole, le potentiel est énorme. Le Sénégal commence son exploitation du gaz et accessoirement du pétrole. Il existe des opportunités de transformation. Total et les autres sont les bienvenus, même si l’exploitation du gaz a commencé avec BP et d’autres sociétés qui ne sont pas seulement européennes… Les entreprises françaises doivent envisager des transferts de compétences et de technologies pour que notre collaboration contribue à l’autonomie économique de notre pays, avec plus d’échanges et de produits. fabriqué au Sénégal.
Pastef a remporté les élections présidentielles en promettant des réformes sociales, mais aussi en promouvant un discours conservateur, religieux, très critique à l’égard des valeurs progressistes. Qu’en penses-tu?
Le Sénégal est un pays profondément attaché à ses valeurs culturelles et spirituelles qui forgent notre identité et cimentent notre société. Mais elle a toujours été un pays de coexistence pacifique entre les religions. Je crois qu’il est tout à fait possible de concilier nos traditions et nos identités avec les exigences de l’État de droit, tout en étant ouvert sur le monde.
Comment réagissez-vous aux menaces du Premier ministre Ousmane Sonko qui veut traîner en justice l’ancien président Macky Sall pour corruption ?
Notre pays a démontré un profond attachement aux principes démocratiques, même dans les moments de tension politique. Quant aux déclarations de M. Sonko, je considère que la diversité des opinions et les débats parfois animés sont naturels dans une démocratie. La justice doit rester indépendante et impartiale. Je m’engage à en être le garant pour éviter les excès autoritaires.
Le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, estime que « L’immigration n’est pas une opportunité, c’est même un fléau ». Il veut établir un nouvel équilibre des pouvoirs avec les Etats d’origine des clandestins, en conditionnant l’aide au développement à une meilleure coopération en matière d’éloignement. Le regroupement familial est également au cœur du projet. Comment réagissez-vous ?
La question doit être posée différemment. L’émigration est-elle une opportunité pour les pays exportateurs ? Non, car ce n’est pas non plus l’occasion de voir ses forces vives partir vers d’autres pays. Nos pays sont en phase de construction, nous avons besoin d’armes et de têtes. Nous comprenons les inquiétudes de la France concernant la gestion des flux migratoires. Il est cependant essentiel de rappeler que le développement des pays d’origine contribue à réduire l’émigration en créant des opportunités locales pour nos jeunes. Nous devons renforcer la gestion commune des migrations, tout en respectant les droits des familles et nos valeurs d’unité et de solidarité. Il faut donc gérer les flux ensemble.
« Le Sénégal respecte les choix politiques des autres pays »
Donald Trump, pas vraiment « migrationniste » non plus, vient d’être réélu aux Etats-Unis, qu’en pensez-vous ?
Le Sénégal, en tant que nation souveraine, respecte pleinement les choix politiques des autres pays. Le retour de Donald Trump reflète avant tout la volonté du peuple américain. Notre priorité est d’entretenir des relations diplomatiques fortes et constructives avec tous nos partenaires, quelle que soit leur orientation politique.
Est-ce que vous et votre camp vous préparez à un scénario similaire en France en 2027 ?
Concernant la France, nous sommes prêts à poursuivre notre coopération avec toutes les forces politiques quel que soit le résultat des élections de 2027. Nous restons ouverts et prêts à travailler avec toute majorité que le peuple français souverain choisira dans un esprit de respect mutuel. Alors, si effectivement une personne ou une idéologie particulière devient le choix des Français ou de tout autre pays, il faudra toujours respecter ce choix. De par mes anciennes fonctions, j’ai beaucoup de connaissances en France et j’interagis parfois avec tout le monde, qu’il soit de gauche ou de droite.
Face aux divisions et aux difficultés politiques et économiques, ne craignez-vous pas que le Sénégal sombre lui aussi dans le chaos sous la pression jihadiste, comme ce fut le cas au Mali, au Burkina Faso ou au Niger ?
Je ne le souhaite pas au Sénégal. Mon pays doit rester stable et démocratique. Cependant, elle doit établir des relations équilibrées avec tous les pays, même avec les autres puissances. C’est donc désormais à nous de tout faire pour éviter que le Sénégal ne sombre lui aussi dans le chaos.