deux provinces, un fleuve, deux mondes

Si l’Ontario dévoile systématiquement chaque année depuis près de 30 ans la liste de tous les employés et gestionnaires du secteur public qui gagnent plus de 100 000 $ avec ce qu’on appelle le Liste du soleil – ce qui a grandement facilité les recherches en ce sens – le Québec, pour sa part, ne le fait pas automatiquement, bien que les données soient publiques. Il a donc fallu faire, pour certains établissements, des demandes d’accès à l’information afin d’obtenir des informations concernant la rémunération des cadres en éducation et en enseignement supérieur en Outaouais.

Au niveau collégial, l’écart est frappant : le président-directeur général de La Cité, du côté ontarien, a empoché 305 372 $ l’an dernier, en plus de certains avantages imposables, et la vice-présidente à l’Éducation et à la réussite scolaire, Lynn Casimiro – qui s’apprête à succéder à Mme Bourgeois, gagné près de 226 000 $. Par ailleurs, le salaire annuel du directeur général du Cégep de l’Outaouais, Steve Brabant, s’élevait l’an dernier à près de 180 926 $. Celle du directeur des études et des autres directeurs de département variait entre 120 000 $ et 150 000 $.

Lise Bourgeois, présidente-directrice générale de La Cité, qui tirera sa révérence dans quelques jours. (Etienne Ranger /Archives Le Droit)

Dans le milieu universitaire, le recteur et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa Jacques Frémont a reçu 399 616 $ l’an dernier, tandis que les trois vice-recteurs de son équipe ont empoché entre 270 000 $ et 300 000 $. À l’Université Carleton, l’ancien recteur Charles-Antoine Bacon, parti en milieu d’année, devait recevoir près de 376 000 $, tandis que l’ancien recteur de l’Université française de l’Ontario et l’ancien recteur de l’Université Saint-Paul, Pierre Ouellette et Chantal Beauvais, qui dirigeaient tous deux de petites universités, avaient des salaires annuels de 293 000 $ et 219 000 $, respectivement.

Pendant ce temps, du côté québécois, la rectrice de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Murielle Laberge reçoit un salaire annuel de 232 000 $, tandis que les vice-recteurs (3) gagnent environ 188 000 $.

Pas de tabous… et de reconnaissance

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre où tout le monde rivalise pour les talents, les deux provinces, lorsque les tâches sont équivalentes, devraient-elles avoir des salaires plus semblables à cet égard ? Est-ce que cela nuit à l’Outaouais?

En entrevue, Murielle Laberge n’a pas hésité à parler d’argent, ne considérant pas la question comme taboue, surtout pas, confie-t-elle, avec son « parcours professionnel ». Même si elle dit comprendre quand les gens ont tendance à se comparer, elle préfère voir le verre à moitié plein.

« Moi, je ne suis pas la meilleure personne, pas parce que c’est tabou, mais il faut savoir que j’étais ouvrier sur une chaîne de montage, donc je n’aurais jamais pensé avoir une rémunération comme celle que je reçois actuellement. Je suis extrêmement reconnaissant, explique le recteur. Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour défendre (ce salaire), parce que, et je vais dire quelque chose qui ne va pas forcément plaire, mais je me dis qu’à partir du moment où on a une rémunération à six chiffres, on est privilégié dans la société. Et les gens ont tendance à l’oublier.

Murielle Laberge, rectrice de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). (Simon Séguin-Bertrand/Archives Le Droit)

Cela dit, ce dernier est conscient des « écarts importants » entre les deux rives de la rivière des Outaouais pour les postes de direction dans le secteur.

« C’est sûr que ça ne facilite pas la rétention ou l’attraction, en fait surtout l’attraction, car pour la rétention, sans que ça paraisse prétentieux, une fois qu’ils sont là, on a beaucoup de plaisir, les gens apprécient l’environnement. Le défi est de les attirer, c’est extrêmement difficile.

— Murielle Laberge, rectrice, UQO

Un exercice comparant le Québec avec l’ensemble du Canada a déjà été fait dans le passé pour les salaires des recteurs, précise-t-elle, soulignant qu’on en est arrivé à la conclusion que pour des établissements de taille similaire, la différence peut être de 100 000 $ ou plus.

« Est-il nécessaire d’aller à cette hauteur ? Je ne le pense pas, car les bouchées sont toujours prises une à une, mais évidemment, dans une perspective de rétention et d’équité externe, il y a des ajustements à faire. Et c’est la même situation pour les vice-recteurs, précise-t-elle. […] On le voit partout, on va parler des salaires des employés support, des professionnels, des informaticiens. Déjà, tout ce qui est payé au niveau fédéral, nous ne sommes pas en mesure de rivaliser. Mais il faut aussi faire attention aux surenchères. C’est une question complexe.

Nadine Peterson, directrice générale du CSS des Portages-de-l’Outaouais. (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)

Dans le reste du réseau scolaire, l’écart est également notable.

Les deux plus hauts dirigeants des deux plus grandes commissions scolaires franco-ontariennes, soit Marc Bertrand (Conseil des écoles catholiques du Centre-Est) et Stéphane Vachon (Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario) ont reçu respectivement 264 580 $ et 210 556 $. en 2023. À noter que ce dernier, qui n’était pas en poste depuis 12 mois à ce poste, agissait comme Christian-Charle Bouchard qui a depuis été nommé. Sa prédécesseure, Sylvie Tremblay, avait un salaire de 249 262 $.

De l’autre côté de la rivière des Outaouais, leurs homologues à la direction générale des centres de services scolaires Draveurs et Portages-de-l’Outaouais, Manon Dufour et Nadine Peterson, ont une rémunération annuelle de 186 721 $, selon leur classe d’emploi définie selon à la taille de leur organisation. Leurs collègues du CSS au Coeur-des-Vallées et des Hauts-Bois-de-l’Outaouais, Daniel Bellemare et Denis Rossignol, ont un salaire de 176 000 $.

Jusqu’à 70 000 $ de différence

Certains surintendants de l’éducation en Ontario – qui s’occupent chacun de quelques écoles sur un territoire donné et qui sont l’équivalent des directeurs généraux adjoints au Québec, qui reçoivent entre 150 000 $ et 158 ​​000 $ en Outaouais – ont même un salaire supérieur à celui des directeurs généraux. du côté québécois. Selon nos vérifications superficielles, de nombreux surintendants gagnent 185 000 $ ou plus.

Christian Carle Bouchard, directeur de l'éducation du Conseil des écoles publiques de l'est de l'Ontario (CEPEO).

Christian Carle Bouchard, directeur de l’éducation du Conseil des écoles publiques de l’est de l’Ontario (CEPEO). (CEPEO)

L’écart est également considérable chez les directeurs de services, qui reçoivent dans certains cas jusqu’à 185 000 $ au sein des commissions scolaires franco-ontariennes, alors qu’on parle d’une échelle salariale variant entre 117 000 $ et 134 000 $. $ dans les centres de services scolaires de l’Outaouais.

Là où les échelles salariales des deux provinces sont similaires en matière d’éducation, c’est dans le domaine des directeurs d’école. Par exemple, pour deux établissements similaires en termes de clientèle, le directeur de l’école secondaire Hormisdas-Gamelin, à Gatineau, reçoit un salaire annuel de 134 259 $, tandis que son homologue à la tête de l’école secondaire publique De La Salle, à Ottawa, a gagné 137 000 $ la dernière fois. année. Dans certains cas, du côté québécois, on propose même une rémunération légèrement supérieure.

Une question difficile à analyser

Le Québec paie-t-il trop peu ses dirigeants ? L’Ontario les paie-t-il trop cher? Selon le professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Philip Merrigan, la réponse à ces questions n’est pas tranchée puisque plusieurs aspects doivent être considérés.

« C’est un marché, un créneau où il n’y a pas beaucoup de personnes qui ont les compétences pour faire ces choses, le pourcentage de personnes pour ces postes est très faible. […] Et chez les anglophones, on remarque un peu plus de mobilité que chez les francophones, à cause de la langue, donc dans ce cas, la concurrence est plus forte. Cela peut expliquer les salaires plus compétitifs », explique-t-il.

Le spécialiste ajoute qu’historiquement, les contraintes budgétaires ont « de manière générale » toujours été plus prononcées au Québec, y compris en éducation, et qu’en contrepartie, les frais de scolarité sont plus élevés en Ontario.

« Il y a une combinaison de facteurs. Il existe également un ensemble de prestations (sociales) qui doivent être payées (collectivement) au Québec. […] Je n’ai jamais vu d’études scientifiques sur la question, c’est un problème assez complexe», poursuit le professeur, qui rappelle que les personnes concernées pourraient occuper des postes de direction dans d’autres types d’organisations.

Les salaires des cadres en éducation – comme dans d’autres domaines – diffèrent grandement d’une rive à l’autre de la rivière des Outaouais.

Les salaires des cadres en éducation – comme dans d’autres domaines – diffèrent grandement d’une rive à l’autre de la rivière des Outaouais. (Patrick Woodbury/Le Droit, Patrick Woodbury)

Selon lui, « si le salaire reflète la compétence, il faut payer plus pour avoir des personnes un peu plus compétentes ».

« Mais au Québec, il y a encore une barrière linguistique. D’un côté, on a besoin de francophones mais en même temps, ils sont moins enclins à aller ailleurs. L’ensemble de la culture francophone a, historiquement, toujours eu un peu moins de mobilité dans les postes », dit-il.

L’éternelle notion du coût de la vie – plus élevé en Ontario, notamment avec le marché immobilier – doit aussi être prise en compte pour expliquer en partie les écarts salariaux, pense M. Merrigan.

Bon nombre de travailleurs – les mêmes chez les gestionnaires – qui travaillent du côté ontarien habitent aussi en Outaouais.

 
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