Aux abords du Nouveau Wacapou, hameau situé à quelques kilomètres de la ville de Maripasoula, au sud de la Guyane, une immense digue de pierre coupe le débit du Maroni. Les rochers acérés forment l’un des nombreux « sauts » de la rivière, ces rapides qui ponctuent le cours d’eau sur ses 600 kilomètres. Selon les Alukus, l’un des peuples d’ascendance africaine de la région, les pierres représentent ici « maanka shiba », un homme allongé de l’autre côté du cours d’eau.
Son corps, habituellement modestement caché par les eaux remplies de limon, a été complètement exposé par la sécheresse. Depuis 18 mois, la Guyane est en déficit hydrique et l’année 2024 risque sûrement de devenir la plus chaude jamais enregistrée par Météo France.
Coût de la vie élevé et pénuries
Même s’il reste encore quelques semaines de saison sèche, les niveaux d’eau sont déjà historiquement bas. Sur le Maroni, fleuve frontalier, certains sauts permettent même de rejoindre à pied la rive surinamaise. Au contraire, les pirogues qui, depuis la côte, approvisionnent quotidiennement les communautés fluviales, entourées par la forêt tropicale, n’osent plus défier ces périlleuses barrières minérales.
À Maripasoula, où vivent près de 10 000 personnes, « Tout a doublé, voire triplé », s’affole Claude en quittant « Chez Tony », le principal supermarché du centre. Le paquet de riz coûte 60 € les 25 kg. La bouteille de gaz coûte 100 € et on n’en trouve même plus ». Plusieurs produits de base comme les packs d’eau, les œufs ou encore la farine deviennent également de plus en plus rares.
Récemment, même les « Chinois » alignés le long de la côte surinamaise, face à Maripasoula, ont été contraints de s’approvisionner par avion et d’augmenter drastiquement leurs prix. Habituellement, ces supermarchés sur pilotis qui constituent l’épine dorsale de toute l’économie informelle de la région, et principalement de l’orpaillage illégal, proposent néanmoins des prix imbattables.
«Les prix ont rattrapé ceux de la France et il y a une pénurie de produits, notamment de produits frais. Même face à face, il faut faire des sacrifices», déplore Rosiane Agésilas, membre du collectif Apachi, regroupant des citoyens dénonçant les conséquences de l’enclavement.
Accès aux services publics
A mesure qu’on s’éloigne de la ville de Maripasoula, la plus grande commune de France où le français est une langue très secondaire, l’isolement devient de plus en plus prégnant. « Les grosses pirogues ne passent plus du tout et, avec les petites, il faut souvent décharger et tirer à la main. La vie est devenue très compliquée »dit Apaï, assis sur une pente [embarcadère] dont la jetée est désormais hors d’eau.
Le trajet jusqu’à Twenké, où il réside, lui prend désormais cinq à six heures, contre deux en « haute saison », et 80 € pour l’essence. Le litre, qui augmente de jour en jour, oscille entre quatre et cinq euros, condamnant les plus précaires à l’isolement et l’activité économique, déjà faible, à l’apathie.
Dans ces villages éloignés des villes appelées « kampus », plusieurs écoles ont dû fermer faute de pouvoir assurer le transport scolaire en pirogue. L’accès aux services administratifs ou de santé, déjà hasardeux en raison des distances, s’est également dégradé. Au dispensaire d’Antecume Pata, premier point de soins pour des centaines de personnes, les services médicaux sont désormais assurés une fois toutes les deux semaines, par hélicoptère, avec seulement quelques heures de consultation sur place.
Enfin, des milliers de personnes n’ont plus accès quotidiennement à l’eau potable. La situation est très préoccupante dans le kampus le plus en amont du fleuve, où plusieurs forages sont complètement à sec mais le rationnement est également de mise dans la ville de Papaïchton. Dans cette ville de 6 000 habitants, à une heure de route de Maripasoula, l’eau ne coule plus de 18 heures à 6 heures du matin (1), ou parfois en journée, obligeant la population à s’approvisionner quotidiennement.
40 000 personnes concernées
Des solutions d’urgence – qualifiées d’insuffisantes par les habitants – ont cependant été mises en place pour les villages les plus touchés, comme l’envoi de fontaines atmosphériques. Le rectorat, de son côté, a annoncé prendre des mesures pour que les élèves puissent suivre l’école à distance. Au total, près de 40 000 habitants, dépendants des fleuves Maroni et Oyapock (à la frontière avec le Brésil où les écoliers ont effectué le dernier retour à l’école en hélicoptère) vivent dans cette réalité parallèle où tout manque.
Mais au-delà de la Guyane, cette sécheresse, dont l’intensité est liée au phénomène El Niño et au changement climatique, touche l’ensemble du bassin amazonien. Le 1er novembre, le Brésil a par exemple déclaré l’état d’urgence à Amapa, un État voisin de la Guyane, touché par une vague d’incendies qui avait déjà décimé une partie des forêts du pays. Fin septembre déjà, le gouvernement colombien tirait la sonnette d’alarme, indiquant que le lit de l’Amazonie avait diminué de plus de 90 %.
Un pont aérien d’urgence
Pour prévenir la crise humanitaire naissante, la préfecture de Guyane a déployé le 29 octobre un plan « Orsec Eau » (2), un dispositif d’urgence dans le cadre duquel un pont aérien a été mis en place. Depuis une semaine, des appareils de l’armée approvisionnent les communautés isolées en eau, nourriture mais aussi en carburant afin d’assurer la « continuité énergétique » des centrales thermiques de Papaichton et Maripasoula produisant l’essentiel de l’électricité du Haut Maroni.
La Collectivité territoriale de Guyane (CTG), qui contrôle les vols intérieurs, a de son côté annoncé qu’elle doublerait ses capacités hebdomadaires de fret pour atteindre 20 tonnes. Lors d’un point presse le 7 novembre, le préfet Antoine Poussier a confirmé que tous ces vols subventionnés “ne générera pas de coûts supplémentaires pour le consommateur”.
Le prix du transport a été fixé à 0,5 euro le kilo, en dessous des tarifs du fret fluvial, et la préfecture a annoncé qu’elle mettrait en place, avec la CTG, un « dispositif de régulation des prix de vente », et des contrôles suivis de sanctions en cas de transactions spéculatives. inclinations.
Route fluviale
Dans le Haut Maroni, les effets sur les prix se font toujours attendre et les pénuries continuent d’inquiéter, notamment celles des bouteilles de gaz, impossibles à amener par avion. Perçue comme tardive, la sécheresse ayant été très sévère depuis septembre, la mobilisation des pouvoirs publics suscite quelques espoirs mais est le plus souvent accueillie avec le scepticisme de ceux qui voient trop de promesses non tenues. Au premier rang des déceptions se trouve la Route fluviale, un vieux projet de désenclavement souhaité par la population, au point mort depuis des années.
Dernier incident en date, lors de sa visite en mars dernier, Emmanuel Macron avait confié à l’armée le soin de réaliser une étude de faisabilité d’une « piste améliorée » à travers les 150 kilomètres de forêt dense qui séparent Papaichton et Apatou, sur le littoral.
Le rapport, achevé il y a des mois, a été soumis au CTG et au gouvernement mais n’a toujours pas été rendu public. Alors, en attendant, les yeux des Maripasouliens restent fixés sur le niveau du fleuve, et nous prions pour que la saison des pluies arrive au plus vite afin de ramener un semblant de normalité.
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Quel avenir pour le climat en Guyane ?
· D’ici 2100, la Guyane connaîtra une réduction des précipitations de 15 à 25 % par rapport aux années 1984 – 2014 avec un assèchement particulièrement marqué dans les premiers mois de l’année, autour du « petit été » de mars. Cette dynamique est régionale, qui pourrait également contribuer, à terme, à la transformation de la forêt tropicale amazonienne en savane.
· Le changement climatique va aggraver la fréquence et l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes comme les pluies de 50 ans, pluies tropicales extrêmes responsables de violentes inondations. Par ailleurs, la hausse du niveau va accentuer l’érosion du littoral déjà en cours.
· D’ici 2100, les températures auront augmenté de +1,5°C à +4°C en Guyane, exposant la population à des risques d’hyperthermie, notamment du fait de la multiplication des « nuits chaudes », où la température ne descend pas en dessous 26 degrés.
1. Permettre aux eaux souterraines de se recharger pendant la nuit
2. Plan d’organisation de la réponse de la sécurité civile