Les policiers accusés d’infractions pénales sont surreprésentés dans les infractions commises dans le cadre de violences domestiques ou sexuelles

Les policiers accusés d’infractions pénales sont surreprésentés dans les infractions commises dans le cadre de violences domestiques ou sexuelles
Les policiers accusés d’infractions pénales sont surreprésentés dans les infractions commises dans le cadre de violences domestiques ou sexuelles

Une enquête sur Devoir révèle qu’un policier sur deux accusé d’infractions pénales au cours des cinq dernières années l’a été pour des infractions commises dans le cadre de violences domestiques ou sexuelles. Une proportion deux fois plus élevée que dans la population générale. Bien qu’ils incarnent la protection du public, une minorité d’entre eux ont été licenciés selon notre analyse, le tout dans l’ignorance totale du gouvernement et des autorités concernées, qui ne tiennent aucune trace en la matière.

De janvier 2018 à décembre 2023, 118 policiers ont été confrontés à la justice pour des accusations criminelles, selon notre analyse basée sur une compilation manuelle inédite des dossiers du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ainsi qu’une revue des dossiers médiatisés. Et près de 50 % des cas concernaient des policiers qui, soit ont agressé sexuellement leur conjoint, ex-conjoint, collègue ou partenaire intime, soit se sont montrés violents ou harcelants à leur égard. Une statistique bien supérieure à celle de la population générale, où les affaires de violences sexuelles et domestiques représentent en moyenne 23% du total des affaires pénales autorisées de 2018 à 2023, selon les données obtenues du ministère de la Justice.

Agression sexuelle, harcèlement sexuel, communications harcelantes, voyeurisme : au total, 54 dossiers ont placé des policiers au banc des accusés au cours des cinq dernières années au Québec.

Malgré cette statistique inquiétante, ni le ministère de la Sécurité publique ni les forces de police ne comptent le nombre de policiers qui ont reçu des accusations de violence domestique ou sexuelle. Il n’existe aucune trace de policiers ayant un casier judiciaire ou ayant été licenciés. « Le ministère de la Sécurité publique n’est pas un employeur de policiers. Les corps policiers municipaux et la Sûreté du Québec sont autonomes dans la gestion de leurs ressources humaines», indique le ministère par courriel.

Demandé par Le devoirle ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a décliné notre demande d’entretien afin qu’il commente cette enquête.

C’est son statut de policière qui a donné confiance à Ève* lorsqu’elle a demandé à l’ancien agent du Service de police de la ville de Québec (SPVQ) Maxime Lehoux de l’accompagner chez elle en 2018, après une soirée bien arrosée. Agressée sexuellement par ce dernier, elle a dans un premier temps décidé de ne pas porter plainte par crainte de représailles.

«Cela me surprend qu’il ait fait cela parce que, quand on est en présence d’un policier, on pense que c’est quelqu’un qui respecte les règles, quelqu’un de juste, quelqu’un en qui on peut avoir confiance. C’est pourquoi j’ai accepté de le laisser me ramener à la maison. Je le connaissais, je savais qu’il était policier, donc il ne conduirait pas en état d’ébriété et rien ne m’arriverait. Il est policier ! Mais c’est cette confiance qui a finalement été brisée », explique Eve.

L’ancien procureur de la Couronne devenu avocat pénaliste Charles Levasseur compte de nombreux policiers parmi ses clients. Selon lui, un agent de la paix doit honorer son uniforme, même lorsqu’il n’est pas en service.

« D’un point de vue pénal et jurisprudentiel, une force de police est une force de police 24h/24 et 7j/7, 365 jours par an. […] Vous êtes censé montrer l’exemple. Encore faut-il l’admettre : vous avez un pistolet sur la hanche. Alors forcément, on espère que vous avez un peu de jugement”, précise M.e Levasseur.

Ramenez l’uniforme à la maison

Le policier de Trois-Rivières David Ross a plaidé coupable en juillet 2021 d’avoir harcelé deux ex-conjointes et d’avoir consulté illégalement une vingtaine de fois le Centre de renseignements de la police du Québec (CRPQ) pour vérifier « l’antécédent suicidaire » de fréquentation à nouveau en début de relation. .

La loi sur la police prévoit la révocation d’un policier ayant un casier judiciaire. L’agent Ross a tenté d’obtenir une absolution inconditionnelle, ce qui lui aurait épargné un casier judiciaire, mais a été refusé. Il a cependant pu bénéficier d’une « peine avec sursis », soit trois ans de probation assortis d’une série de conditions. Il a également reconnu avoir utilisé son statut de policier à plusieurs reprises pour surveiller certains de ses conjoints ou ex-conjoints ou obtenir des informations à leur sujet.

« Jaloux », « possessif » et « manipulateur » : David Ross reconnaît devant le comité d’éthique avoir rapidement exercé son contrôle sur les ex-conjoints.

«Je rapportais la chemise de police à la maison. J’ai posé des questions : « Où étais-tu ? Quand ? Comment ? […]«Je surveillais tout le monde qui allait et venait», a déclaré l’ancien policier au tribunal.

Au cours de la relation, de juin 2016 à mars 2017, David Ross contrôlait les vêtements portés par sa compagne et contrôlait ses « amitiés masculines » sur Facebook. À quelques reprises, il passe devant leur résidence alors qu’il est en service, donnant à sa compagne l’impression d’être surveillée.

La femme met fin à leur relation après un épisode de violence où David Ross la repousse, la faisant « voler » vers le canapé. Elle planifie son déménagement en secret, craignant la réaction du policier. David Ross n’en était pourtant pas à ses premiers épisodes de violences conjugales. Dix ans plus tôt, une autre femme avait subi un comportement violent de la part du policier. “À l’occasion, [David Ross] Il frappe les murs, claque les portes, lui gifle les mains, lui tire les cheveux et lui serre le bras lorsqu’il est mécontent », indique l’exposé conjoint des faits déposé au tribunal.

Il reconnaît l’avoir harcelée et lui avoir laissé plusieurs messages vocaux en plus d’être passé à de nombreuses reprises dans sa voiture de patrouille devant le domicile de son ex et de sa nouvelle compagne.

Circonstances particulières, problème systémique

Au printemps, David Ross a déposé une demande auprès du Tribunal administratif de déontologie policière pour conserver son titre de policier. Il a tenté d’obtenir une sanction autre que le non-lieu en demandant qu’on distingue l’homme qu’il a été dans sa vie personnelle du bon policier qu’il a été sur le terrain.

Il a affirmé que ses thérapies avec entraîneurs Dans sa vie, sa retraite fermée de quatre jours dans un monastère et ses cours de yoga lui ont permis de « devenir une meilleure personne ». Devant le tribunal correctionnel, pour convaincre le juge de la solidité de sa démarche, l’homme avait également affirmé s’être fait réaliser de nouveaux tatouages. «Je me suis fait tatouer le bras droit.»Hakuna Matata», ce qui veut dire qu’il n’y a pas de souci, il n’y a pas de problème. Malgré toutes les adversités […], nous n’abandonnons pas », a-t-il expliqué lors des audiences de détermination de la peine. Le Tribunal d’éthique rendra bientôt sa décision.

Selon la Loi sur la police, un policier reconnu coupable d’un acte criminel pur, comme une agression sexuelle armée, des voies de fait graves, une extorsion ou un meurtre, est automatiquement révoqué et perd ainsi son statut d’agent de la paix. Pour toutes les autres infractions, un policier peut invoquer des « circonstances particulières » justifiant une sanction autre que le renvoi, comme la suspension ou le blâme. Avoir « un bon historique de service », démontrant que l’infraction commise était « une erreur passagère » sont quelques-uns des éléments avancés par les avocats des policiers pour démontrer qu’ils méritent une sanction autre que la mise en accusation.

La destitution est plutôt l’exception

Le devoir a demandé à tous les corps policiers du Québec le nombre de policiers suspendus ou congédiés de 2018 à 2023. Deux ont refusé d’accéder à notre demande. Au total, seuls 18 policiers ont été licenciés, ce qui représente 15 % des mises en examen pénales de policiers entre 2018 et 2023, selon nos données. La suspension, avec ou sans salaire, reste la sanction la plus courante, 234 agents ayant reçu cette sanction.

Le cas de l’agent Ross n’est pas isolé. Rien que cette année, au moins trois policiers ont comparu devant leur tribunal d’éthique pour tenter de récupérer leur uniforme malgré les accusations et les manquements qui leur étaient reprochés, invoquant des « circonstances particulières ».

Le gendarme de la GRC Frédéric Mongeau a été entendu en avril dernier lors d’une audience disciplinaire où il a notamment affronté sept chefs pour avoir fait preuve d’une « conduite déshonorante ».

Le 26 mars 2021, en pleine pandémie, alors qu’un couvre-feu était en vigueur, un appel au 911 a été lancé par une voisine de l’ex-conjointe du gendarme inquiet : un individu vêtu de noir se trouvait sur le terrain de la maison, même alors qu’il était 21 heures passées. Lorsqu’ils sont arrivés sur les lieux, les agents se sont retrouvés face à un homme en uniforme de la GRC, allongé au sol près du spa, arme de service à la ceinture et avec un sac rempli d’outils sur le dos. Immédiatement, ce dernier se présente comme policier à la GRC et leur confie qu’il voulait démolir le spa de son ex pour que son nouveau compagnon ne l’utilise pas avec elle. Frédéric Mongeau est accusé de menaces, de port d’armes à des fins dangereuses, d’intrusion de nuit et de détention non autorisée d’arme à feu. Il a plaidé coupable de cette dernière infraction, mais toutes les autres accusations ont été abandonnées faute de preuves. Il est depuis de nouveau en couple avec sa compagne, qui a décidé de retirer sa plainte.

L’agent Mongeau fait également partie des policiers qui ont obtenu une absolution inconditionnelle, considérée dans les milieux juridiques comme la peine la plus clémente.

Devant le tribunal, il reconnaît avoir été jaloux. Le spa ainsi que les meubles de patio étaient au cœur des disputes entre les deux ex-conjoints. Il s’est justifié en affirmant qu’il était de garde ce soir-là et qu’il portait donc son arme de service et une partie de son uniforme.

Lors de son audience d’éthique policière, l’ex-agent Mongeau a également plaidé qu’il était un atout pour la société. « Je pense que j’ai eu une carrière sans faute jusqu’aux événements de mars et je crois que mon expertise […] et mes connaissances sont toujours utiles à l’organisation et à ses employés», a-t-il soutenu devant le Comité de déontologie policière du Québec.

Il a affirmé assumer l’entière responsabilité des actes commis, qu’il a lui-même qualifiés de « graves ». Il espère toutefois ne pas se réduire à cet événement, mettant en avant l’aide psychologique qu’il a rapidement sollicitée.

A l’issue des auditions en mai dernier, le président de la commission de déontologie policière Me Lysane Cree a ordonné au gendarme de démissionner dans les 14 jours, sinon il serait congédié de la GRC. « Je crois que les actions du gendarme Mongeau pourraient nuire à la confiance du public dans sa capacité à s’acquitter de ses fonctions de policier et à faire preuve de bon jugement », a-t-elle déclaré.

Sans casier judiciaire et sans congédiement, le gendarme Mongeau pourrait ainsi aspirer à se joindre à un nouveau corps policier.

L’agent Ross attend toujours une décision. Quant au troisième policier, Grégory Viel, il a été suspendu cinq jours et a reçu deux réprimandes. Les policiers ayant un casier judiciaire réussissent-ils à être réintégrés ? «Oui, si je fais confiance à ceux que je représente, sauf en cas d’agression sexuelle», affirme l’avocat pénaliste M.e Charles Levasseur.

A noter qu’aucun des policiers mentionnés dans le cadre de cette enquête n’a accepté de faire des commentaires concernant leur cas.

* Noms fictifs. L’identité des plaignants est protégée par décision de justice.

Avec la collaboration de Naomie Duckett Zamor

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