RAPPORT D’AUDIENCE – Une semaine après l’ouverture des débats, les proches des victimes décédées sous les décombres des immeubles effondrés le 5 novembre 2018 ont rendu hommage à leurs défunts, tout en exprimant leur inquiétude, déjà forte, avant la catastrophe.
La première fois qu’ils ont franchi la porte du 65 rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles, les parents de Simona Carpignano ont été pris de peur. “Ça a été comme un choc”se souvient Domenico, le père de ce jeune étudiant italien, installé à Marseille depuis près de deux ans. C’était un jour de février 2018. Les Carpignano ne savaient pas encore que, huit mois plus tard, un lundi matin peu après 9 heures du matin, ce même bâtiment s’effondrerait, entraînant la mort de leur fille. Elle avait 30 ans. A la barre du tribunal correctionnel de Marseille, serré contre son épouse, Domenico se souvient de cette première visite comme si c’était hier.
Devant eux, une photo de leur fille est projetée sur grand écran devant eux. Simona Carpignano fait partie des huit victimes de ces effondrements de la rue d’Aubagne qui occupent depuis maintenant six jours la sixième salle du tribunal correctionnel. Un sourire narquois, les cheveux tirés en chignon, la jeune fille élancée pose devant des fleurs, avec cette posture royale de tête que conservent ceux qui, comme elle, pratiquent depuis longtemps la danse classique. Derrière eux, Julien Ruas, ancien adjoint au maire chargé de la prévention des risques, est le seul des 16 prévenus à baisser les yeux devant la photo de la belle Italienne.
« L’entrée du bâtiment était horrible, s’il rappelle Domenico Carpignano. La serrure ne fonctionnait pas et ça sentait très fort. Cela ressemblait à des toilettes publiques. Lorsque Domenico, avec sa carrure imposante, marche sur le sol de l’appartement, les carreaux qui composent le sol se brisent sous son poids. L’inquiétude commence à naître chez les parents de Simona Carpignano. Lorsque le couple est revenu au domicile de leur fille, début octobre, pour fêter l’obtention de son master, la situation s’était dégradée. Nous sommes à un mois de la date fatidique du 5 novembre 2018 qui marquera à jamais leur vie.
Sensation d’inclinaison
“Dans les escaliers, j’avais cette sensation d’inclinaison”explique Domenico au bar. Le 18 octobre, une ordonnance de péril a été ordonnée. Un expert, désormais accusé devant le tribunal correctionnel, autorise cependant les habitants à rester chez eux après une visite rapide d’une heure seulement. Les parents de Simona Carpignano restent inquiets. Toute la famille se mobilise pour aider la jeune femme à déménager. “Tu dois sortir de là.”sa mère le supplie. “Maman, des gens compétents nous ont rassurés” Simona a répondu.
Ce dernier est toutefois resté lucide sur la situation. Lorsque le président filtre un email de Simona Carpignano qui confie à son propriétaire qu’elle s’inquiète pour sa sécurité, sa mère fond en larmes. «Ma fille a été trahie par les valeurs qu’elle aimait. Elle cherchait le droit de vivre dignement. Et tout ce en quoi elle croyait s’est retourné contre elle. Simona Carpignano a travaillé dans l’économie sociale et solidaire et est décrite par ses proches comme entièrement dévouée aux autres.
Le fils de Fabien Lavieille, voisin de Simona Carpignano, était également inquiet. «Je n’étais pas vraiment fan de mon père qui vivait ici (sic)»confie le jeune homme. A 26 ans, Léo Lavieille raconte modestement sa vie brisée au tribunal, lui qui est déjà orphelin de mère depuis l’âge de 8 ans. « Il y avait pas mal d’objets de ma mère et de mon père qui se trouvaient dans cet appartement. Ces objets constituent une grande partie de mon histoire. Et malheureusement, je n’aurai jamais accès à cette histoire.
“J’ai perdu une idole”
« J’ai perdu un proche, une personne ressource pour moi, qui aurait pu être une idole, souffle Djidiak Gaye, le demi-frère de Pape Niasse également mort dans les effondrements. C’est très dur. Il a fait l’unanimité autour de lui. C’était une personne brillante. Quelques heures après avoir appris le décès de sa fille adoptive (locataire au dernier étage) dont elle était très proche, la mère de Marie-Emmanuelle Blanc a été victime d’un accident cardiovasculaire mortel. “Pour moi, il y a neuf victimes dans ce drame”soupire Paul Blanc, qui a perdu sa sœur et sa mère le même jour du 5 novembre 2018. L’homme reconnaît « se noyer dans le travail » pour éviter de penser.
« J’attends de ce procès que les responsables de ce drame soient jugés, explique Paul Blanc. Et j’aimerais qu’on puisse dire aux personnes potentielles qui ont aujourd’hui la même manière de gérer les appartements, avec des logements indignes : « Attention, la justice est là. Elle regarde et elle punit. Le procès devrait durer jusqu’au 18 décembre.