Après une vie d’errance, Anne Lorient aide des femmes sans-abri à accoucher dans les rues de Paris

Après une vie d’errance, Anne Lorient aide des femmes sans-abri à accoucher dans les rues de Paris
Après une vie d’errance, Anne Lorient aide des femmes sans-abri à accoucher dans les rues de Paris

Par

Marie-Amélie Marchal

Publié le

16 juin 2024 à 8h24

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Violence masculine, manque de contraception… Le nombre de femmes enceintes sans abri explose à Paris, selon le dernier rapport de la fondation Abbé-Pierre. Pour les aider à donner naissance à leur enfant, lorsqu’elles n’accouchent pas à la maternité par choix ou par nécessité, certaines font appel à Anne Lorient.

Elle est l’une des cinq accoucheuses de rue de la capitale. Actualités parisiennes l’a rencontrée dans son QG, un bistrot en face du métro Guy-Môquet, dans le 18e arrondissement.

Accoucher sur le bitume de Paris

Elle traverse Paris à toute heure du jour et de la nuit. Appelée par une femme, une collectivité ou les secours – tout le monde connaît son numéro de téléphone – Anne Lorient est celle qui résout les situations. “La semaine dernière, c’est arrivé sous un abribus, ça ressemblait à un film, se souvient-elle. La police m’a appelé parce qu’elle ne pouvait pas communiquer avec une femme en travail. Elle venait de Colombie et ne parlait pas français. La situation commençait à dégénérer… »

C’était bien, j’ai passé des années en Amérique Latine. J’ai pu lui parler, désamorcer la situation, l’aider, puis elle est repartie avec son enfant en bonne santé. C’est mon rôle, être à leurs côtés lorsqu’ils sont les plus vulnérables, les rassurer.

Anne LorientSage-femme de rue à Paris

Au mois de mai, ce sont dix-huit bébés qui sont nés sous son regard.

« Là où elles accouchent, rien n’est stérile »

Les choses semblent évidentes pour la quinquagénaire qui aide les femmes à accoucher sur le bitume parisien, dans le parkings où le s’accroupit. “Là où ils accouchent, rien n’est stérilemais au moins les bébés en ont un système immunitaire fort», assure-t-elle.

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La sage-femme urgentiste a vécu dans sa chair la violence d’un accouchement inopiné, en pleine rue, alors qu’elle était elle-même sans abri. « Mon premier fils est né après un déni de grossesse. Je me suis relevée, secouée par une douleur intense, et il est littéralement tombé », témoigne-t-elle avec la facilité déconcertante des histoires qu’on a l’habitude de répéter.

Celui qui a vécu dix-sept ans dans la rue a rédigé un livre de ce voyage, Mes années barbares (édité par La Martinière, 2016). C’est lors de la publication de cet ouvrage qu’elle prend le pseudonyme de « Lorient », pour se protéger de ses frères tout en racontant les viols dont elle a été victime dans son enfance.

Aujourd’hui, Anne Lorient vit dans un appartement au nord de Paris, mais garde viscéralement attaché son lien avec le monde extérieur. Formée par la Croix Rouge et nourrie de sa propre expérience, elle assume le rôle de sage-femme après avoir découvert le corps deune femme décédée en couches dans un squat. L’inacceptable comme moteur.

“Dans la rue, il n’y a pas de service de réanimation”

« En tant que sage-femme d’urgence, je suis là pour les guider si besoin. Je peux réagir en cas de cordon ombilical autour du cou, aider à l’expulsion du placenta, mais je ne pratique pas pas d’intervention chirurgicale. Ma mission est aussi d’appeler à l’aide quand c’est nécessaire », précise-t-elle. Grâce à Matériel donné par les pompiers depuis Paris – avec qui elle a une ligne directe – et les pharmacies, elle peut prodiguer les premiers secours.

Grossesses non assistées, voyages traumatisants, problèmes de santé… « Sur dix naissances, huit se passent bien », souffle Anne Lorient qui reste bouleversée par le décès il y a un an presque jour pour jour d’un nouveau-né dont les poumons ne s’étaient pas développés. « Dans la rue, il n’y a pas de service de réanimation. »

Nous sommes à la frontière de la légalité et certains professionnels me disent que je dois me protéger dans le cas où un accouchement se passe mal et que la mère me le reproche, mais je préfère prendre le risque plutôt que de me rendre. coupable de non-assistance à personne en danger.

Anne LorientSage-femme de rue

LE sept autres accoucheuses Les attaques de rue (quatre à Paris, une en Corse, et autant à Marseille et Nantes) n’ont pour l’instant jamais donné lieu à des poursuites, selon Anne Lorient. « Nous communiquons entre nous en boucle WhatsApp, notamment pour les questions de matériel et les retours d’expérience », confie-t-elle.

Des travaux réalisés par des « sages-femmes volantes »

Sur le plan institutionnel, la Ville de Paris s’est dotée d’un « sage-femme volante » pour intervenir dans des centres de jour ou dans des situations de rue. En 2023, l’ARS Île-de-France a cofinancé un deuxième poste de sage-femme dédié à ces actions hors les murs, indique l’institution Actualités parisiennes.

La Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine ont également créé des postes similaires auprès des sages-femmes et puéricultrices.

«Mais les femmes qui accouchent dans la rue fais-moi confiance parce qu’ils savent que j’y suis allé. Certaines ne veulent pas être retrouvées par leur famille ou craignent que leur enfant soit confié à la protection de l’enfance », ajoute Anne Lorient qui, contrairement aux sages-femmes volantes, n’effectue pas de suivi gynécologique.

150 bébés nés dans la rue

Chaque année en région parisienne, on dénombre près de 150 bébés nés dans la rue, soit une naissance tous les deux jours, selon ses estimations. Anne Lorient a contribué à donner naissance à « une bonne centaine » depuis qu’elle a commencé son sacerdoce il y a deux ans.

Une mission reconnue d’intérêt par les plus hautes sphères. Le 7 juin, elle a été interviewée par Dominique Vérien, présidente de la Délégation aux droits des femmes au Sénat. Une fierté pour celles qui travaillent auprès des femmes coincées dans l’angle mort des politiques publiques.

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