Une touche d’humanité pour garder les seniors à la maison

(Québec) Ne parlez pas à Guy Trotier de quitter son domicile. Comme la grande majorité des seniors, il souhaite vivre à son domicile le plus longtemps possible. Ici, dans cet immeuble qu’il habite depuis plus de 25 ans, au coeur du quartier Saint-Roch, à Québec.

Mais lors d’un séjour à l’hôpital pour une opération d’une journée à la vésicule biliaire, deux femmes se sont présentées à son chevet. Très vite, il comprend : « Je pense que vous voulez me placer », leur dit-il d’un ton de défi.

Certainement pas ! Et il est rentré chez lui.

” Je vais bien. Je ne veux aller nulle part ailleurs », me dit l’homme de 87 ans en se levant brusquement de sa chaise, fier de me montrer la force de ses jambes.

Si Guy Trotier a repris des forces, s’il parvient à vivre seul à la maison, c’est en grande partie grâce à Marie-Josée Girard, qui travaille comme « navigatrice » au Service amical de Basse-Ville, un rôle précieux dont bénéficierait provenant d’un peu partout au Québec.

C’est elle qui a démêlé ses papiers fiscaux pour lui fournir les informations nécessaires au maintien de son faible loyer qu’on menaçait de lui retirer.

C’est elle qui l’a inscrit à un service de popote roulante qui lui livre des repas cinq jours par semaine, afin qu’il puisse mieux manger.

C’est aussi Marie-Josée Girard qui a accéléré les démarches pour qu’il consulte un physiothérapeute. Depuis, il fait des « squats » en faisant la vaisselle. Lorsqu’il s’appuie sur le lavabo, il doit plier les genoux. Après trois séries de dix, les assiettes sont propres et les cuisses retrouvent du tonus.

PHOTO STÉPHANIE GRAMMOND, LA PRESSE

Marie-Josée Girard, navigatrice au Service amical de Basse-Ville, Michel Hamelin, président du conseil d’administration de l’organisme, et Marie-Ève ​​Carpinteri, navigatrice

« Marcher, j’ai de moins en moins de difficulté », confirme Guy Trotier, qui parvient désormais à sortir, avec sa marchette, pour aller à l’épicerie prendre l’air.

On est loin de l’homme tremblant qui tombait du lit.

«J’essayais de le dissimuler», admet-il, accusant sa fierté. Mais les signaux d’alarme n’ont pas échappé au livreur de repas qui joue le rôle de « sentinelle ».

Les « sentinelles » et les « navigateurs » sont les deux rôles clés d’une formule innovante de gériatrie sociale lancée par un médecin extraordinaire, le Dr.r Stéphane Lemire (voir autre texte).

Le Service Amical, qui offre de l’aide à domicile depuis 45 ans dans la Basse-Ville de Québec, a en quelque sorte servi d’incubateur. Il existe aujourd’hui six projets de gériatrie sociale partout au Québec. Bientôt, ils seront 20, a annoncé la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, qui a présenté, il y a deux semaines, un plan d’une centaine de mesures pour faire face au vieillissement de la population.⁠1.

Tant mieux ! Parce que la gériatrie sociale fait de petits miracles.

La Fondation AGES du Dr Lemire a formé quelque 6 000 sentinelles pour repérer les signes anormaux du vieillissement chez les aînés et alerter les navigateurs qui pourront ensuite accompagner les aînés.

C’est ainsi que Marie-Josée Girard a trouvé un médecin de famille pour Pierrette Bergeron, qui nous accueille d’un pas plutôt alerte dans son appartement. “Avant, j’essayais de me lever de ma chaise et je me sentais comme une mère de 90 ans”, plaisante celle qui n’a que 82 ans.

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Pierrette Bergeron est entourée de Marie-Josée Latouche (à gauche), médecin de famille à la clinique Maizerets, et de Marie-Josée Girard, navigatrice au service amical de Basse-Ville.

Mmoi Bergeron avait aussi des problèmes avec ses voisins qui se plaignaient qu’elle faisait trop de bruit. La navigatrice s’est rendu compte qu’elle jouait trop fort à la télévision en raison d’un problème d’audition.

Pour lui faire baisser le volume, elle lui a d’abord prêté un amplificateur de voix qu’elle a placé sur ses oreilles. Elle l’a ensuite convaincue de consulter un spécialiste qui fabriquait ses appareils auditifs.

Au début, Pierrette Bergeron était réticente. « J’en avais quand j’étais plus jeune et je les trouvais tellement lourds que je les jetais », m’explique la dame, tandis que la navigatrice en profite pour s’occuper de son téléphone défectueux.

Tous ces petits gestes font une grande différence. Si les gens ont du mal à entendre, si leur téléphone est cassé, il est très difficile d’obtenir les soins appropriés.

En établissant un climat de confiance avec les aînés et en étant attentifs à leur environnement global, les navigateurs trouvent souvent des solutions simples qui désamorcent les problèmes.

« Actuellement, les services ne sont pas configurés pour répondre réellement aux besoins de la personne, mais pour faire face à un problème X qui est censé se régler rapidement avec une simple pilule», déplore Marie-Josée Girard.

La gériatrie sociale sert de lien entre les personnes âgées et le système de santé. C’est le maillon d’un réseau qui présente de nombreux défauts.

«Je suis inquiète», affirme Marie-Josée Latouche, parmi les trop rares médecins de famille qui se consacrent aux visites à domicile de patients vulnérables. Sommes-nous capables de servir l’ensemble de cette population vieillissante qui aura besoin de services ? »

Pour elle, la gériatrie sociale peut prendre le relais lorsque la médecine atteint ses limites, parfois pour des raisons futiles. « Si je me tourne vers la gériatrie sociale, j’ai une excellente réponse. Et je ne sais pas où je chercherais cette réponse », dit-elle.

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Marie-Josée Latouche fait partie des trop rares médecins de famille qui se consacrent aux visites à domicile de patients vulnérables.

Pour une de ses patientes, par exemple, le médecin n’avait pas pu obtenir d’analyses sanguines depuis des années, ce qui l’empêchait de suivre des maladies importantes.

« Elle avait peur des injections », explique la navigatrice, Marie-Josée Girard, qui a pris les choses en main. En sécurisant le patient, elle a réussi à faire une première prise de sang avec une infirmière très patiente. Par la suite, elle a accompagné la dame dans un centre de prélèvement qui a fini par lui dire : « Ça s’est bien passé, j’ai pu revenir ici toute seule. » »

Depuis, le médecin est en mesure d’assurer un suivi adéquat.

Cela démontre que les seniors ont parfois besoin de soins de santé avancés pour rester en forme. Mais souvent, ils ont juste besoin d’une touche d’humanité pour conserver leur autonomie.


1 Consultez le plan d’action gouvernemental 2024-2029

Des alliés pour les seniors

Gériatrie sociale

La Fondation AGES, fondée au Québec il y a 10 ans, a développé un modèle de gériatrie sociale basé sur la formation de « sentinelles » et de « navigateurs » issus du milieu communautaire.

Sentinelles

Il s’agit de travailleurs ou de bénévoles qui offrent déjà des services (ex. : ménage, repas) aux personnes âgées. Leur rôle est de détecter les signes anormaux de l’âge et d’avertir un navigateur.

Navigateurs

Armés d’un bagage psychosocial (ex. : techniciens en travail social, psychoéducateurs), les navigateurs tissent un lien de confiance avec les aînés, font des observations structurées et trouvent des solutions ou des ressources pour les aider.

 
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