dans la Drôme, les néo-ruraux fracturent le département

Alors que le Rassemblement national (RN) s’est imposé dans toute la France lors des élections européennes du 9 juin, quelques taches roses et vertes se détachent. Parmi eux : l’est de la Drôme, où Marie Toussaint (EELV), Manon Aubry (LFI) et Raphaël Glucksmann (PS) sont arrivés premiers dans plusieurs communes. Une spécificité qui s’explique par la présence, depuis une cinquantaine d’années, d’habitants néo-ruraux qui ont fait du territoire un bastion écologique.

Au lendemain des élections européennes, la France s’est presque entièrement teintée des couleurs du Rassemblement national (RN). Le parti d’extrême droite arrive en tête dans 93 % des communes. A tel point que les rares communes qui n’ont pas offert la victoire à Jordan Bardella apparaissent comme des résistants. Parmi elles : certaines grandes villes – Paris, Nantes, Rennes… – mais aussi des territoires plus reculés. C’est le cas de la Drôme. Les résultats du département suivent globalement ceux du pays : Jordan Bardella remporte 33% des suffrages (31 au niveau national), Valérie Hayer 13% (15% au niveau national).

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Mais une poche d’irréductibles Drômois apparaît dans l’est du département. Au milieu du raz-de-marée bleu marine, le quartier se démarque avec ses taches vertes (Marie Toussaint, EELV), roses (Raphaël Glucksmann, PS) et rouges (Manon Aubry, LFI). Bienvenue dans le Diois, où les partis de gauche se sont imposés en maîtres. Une fracture dans le département qui s’explique par l’installation durable de néo-ruraux, qui ont fait de ce territoire un bastion écologique.

Division du département

Dans l’ouest du département, même dans les grandes villes, comme Valence et Montélimar, le RN s’est imposé. Parfois même plus élevé que dans le reste du pays. Comme à Crépol, où un bal de village a dégénéré dans la nuit du 18 au 19 novembre, coûtant la vie à Thomas, un adolescent de 16 ans. Une semaine après la mort de l’adolescent, une manifestation rassemblant quelque 80 militants d’ultra droite a eu lieu à Romans-sur-Isère. Des mortiers de feux d’artifice avaient été tirés et des poubelles déployées pour faire office de barrière. Au total, 20 personnes ont été arrêtées.

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A Crépol, dont le nom est désormais indissociable de celui de Thomas, Jordan Bardella s’est envolé cette année à 46 %, alors qu’aux élections européennes de 2019, le RN et la majorité étaient au coude à coude, autour de 23 %. . A Romans-sur-Isère, Jordan Bardella est passé de 21 à 30 % en 5 ans. Résultat : un département fracturé, entre le déluge du RN à l’ouest et les irréductibles à l’est, ayant préféré les partis de gauche.

Le vote RN s’est également envolé à Saint-Rambert-d’Albon, commune d’un peu plus de 6 000 habitants : 47 % pour Bardella. L’opposé des villes de l’est. Prenons Die, où vivent près de 5 000 habitants : les Verts arrivent en tête, avec 19 % des voix pour Marie Toussaint. D’autres communes du département placent EELV en première position, comme Boulc et Valdrôme. Certains ont voté pour le PS – Châtillon-en-Diois, Romeyer, Vesc… – ou la France Insoumise (LFI) – Saillans, Glandage, Saint-Dizier… Beaumont-en-Diois (qui ne compte pourtant que 90 électeurs…) est même le plus grand. municipalité de n’avoir donné aucune voix à Jordan Bardella.

Une « BioValley » à part

Mais alors, qui sont ces électeurs de gauche installés le long de la Drôme, de Crest à Die ? Flashback : pendant la Seconde Guerre mondiale, le Vercors, au nord-ouest du département, était un foyer de la Résistance. En bas, à Die, le PS et le PC se sont succédé à la mairie tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. Ainsi, lorsque dans les années 1970, des néo-ruraux commencent à s’installer dans les montagnes du Diois, entre Vercors et Provence, ils retrouvent un territoire déjà ancré à gauche.

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Rapidement, ces citadins exilés tournent le dos au productivisme. À la fin des années 1980, le projet BioVallée est mis en place. Il regroupe trois communautés de communes, le long du fleuve. Objectif : atteindre 50 % d’agriculture biologique et 100 % d’énergies renouvelables. En 2019, 30 % des terres de la BioVallée étaient en agriculture biologique. « Ici, si le bio a pris son essor, c’est parce que les néo-ruraux continuent régulièrement à venir s’installer et travailler avec ceux qui sont déjà présents, leur transmettant cette agriculture »note Sabine Girard, Ingénieur des Ponts, des Eaux et Forêts et docteur en géographie (INRAE, Université Grenoble Alpes) en attendant que le territoire devienne un exemple de transition agroécologique.

Mieux : le fleuve a été dépollué, ses berges nettoyées. Le lieu est également le premier plan d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), certifiant la préservation de l’environnement, le meilleur partage de la ressource en eau… « Dans le Diois, le mode de vie alternatif existe depuis longtemps. C’est un territoire pionnier dans ce domaine », explique encore l’universitaire. Autre exemple : à Die, beaucoup s’approvisionnent à l’épicerie bio La Carline, une coopérative de revente de produits locaux. “Et c’est aussi un territoire où de nombreuses initiatives démocratiques ont été lancées”, poursuit Sabine Girard. Et prenons l’exemple de Saillans, où une liste citoyenne a remporté la mairie en 2014.

Petite capitale économique, grande capitale culturelle

« C’est un territoire de moyenne montagne, un peu reculé mais accessible, avec une population relativement pauvre, mais avec un capital culturel important » analyse le chercheur. Le salaire horaire net moyen y est équivalent à la moyenne nationale, il est inférieur à celui de l’ouest du département.

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Une sociologie que l’on pourrait bien retrouver dans d’autres territoires rares, hors des grandes villes, se distinguant par leur vote de gauche, au milieu de l’océan RN, notamment en Ariège, où LFI et le PS ont remporté plusieurs municipales, comme au au sud de la Lozère, dans les Cévennes. Mais même dans ces communautés d’électeurs purs et durs de gauche, les candidats RN commencent à se faire entendre. A Die, le Rassemblement national est passé de 10 à 15 % entre 2019 et 2024. À Crest de 16 à 20 %. A Valdrôme, de 4 à 13%. Et combien lors des élections législatives surprises du 30 juin et du 7 juillet ?

 
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