Par
Jean-Claude Bonnemère
Publié le
12 novembre 2024 à 18h45
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Vendredi 25 octobre 2024, 20h30, il fait nuit et il pleut Tauriac, dans la vallée de la Dordogne. Le parking de la petite mairie est plein. Derrière les fenêtres de la salle municipale, les invités se pressent pour la rencontre entre les senator Raphaël Daubet et une vingtaine d’agriculteurs, actifs ou retraités. C’est un échange quasi en face-à-face qui aura lieu entre les représentants du monde agricole et le parlementaire.
Gérard Flament, adjoint au maire de Tauriacprésente la soirée qu’il a pris l’initiative d’organiser avec Nicolas Calle, conseiller municipal et agriculteur. Une dizaine de thématiques seront abordées. Raphaël Daubet salue l’assemblée en soulignant l’importance de cet échange : « il faut avoir des retours de terrain ». Il sera servi.
Les normes : le fléau des agriculteurs
Coup d’envoi, sur la question des normes. « Ici, dans notre région, la plupart des agriculteurs travaillent sur plusieurs productions et chaque production est concernée par les normes françaises et européennes ; on en a marre de tous ces contrôles tout le temps ! » déclare un agriculteur, indiquant au passage que les normes françaises vont plus loin que la réglementation européenne. « C’est bien connu, en France on veut laver plus blanc que blanc, mais du coup, ce sont les agriculteurs qui sont dans le problème… », commente un agriculteur récemment retraité.
Dans la salle, plusieurs intervenants apportent des précisions, indiquant comment les contrôles portent sur le matériel utilisé, sur les dates des opérations réalisées… « Quand on taille une haie par exemple, un contrôleur vient voir si elle a été réalisée à droite. un rendez-vous, s’il y a des oiseaux… c’est chiant ! » Les agriculteurs sont unanimes pour dénoncer la montagne de paperasse à remplir. «Parfois, on se perd devant cette pile de formulaires à remplir», raconte un jeune agriculteur de moins de 30 ans.
Visant les diktats émis au nom de l’écologie : « L’écologie est devenue trop politisée, parfois jusqu’à l’absurdité, car ceux qui donnent les directives n’ont pas les pieds dans la boue ! » Les agriculteurs dénoncent le poids des contraintes qui leur sont imposées. « Nous ne travaillons pas le nez sur le calendrier, nous cherchons à nous allier directement avec la nature et la météo », objecte l’un d’eux.
Autre élément dans le viseur des agriculteurs : la PAC (politique agricole commune), jugée « non adaptée » aux caractéristiques de l’agriculture du nord du Lot. Cela serait également Source d’incompréhensions au sein des médias qui ne se rendent pas compte qu’il existe deux types d’agriculture, avec d’un côté de grandes exploitations de plusieurs centaines d’hectares et de l’autre des agriculteurs travaillant en polyculture sur des superficies limitées, sans compter que certaines zones agricoles font l’objet de protections particulières comme Natura 2000, incluant un certain nombre d’habitats et d’espèces protégés et représentatifs de la biodiversité.
« Tout ne va pas forcément mal dans la PAC, mais il y a un manque de bon sens chez ces techniciens déconnectés du terrain », insiste un agriculteur. Reste à trouver où se situe le problème. « Pas seulement au niveau européen ! » s’exclame un retraité. Il apparaît en effet qu’au niveau national les dysfonctionnements sont légion. Est-il normal que près de 80 % des subventions agricoles s’adressent à un peu plus de 20 % des agriculteurs seulement, y compris les céréaliers et la zone agricole de Bretagne ? Le monde agricole ne souffrirait-il pas d’une certaine fragmentation ?
Difficulté à trouver du travail
Les agriculteurs déclarent éprouver de plus en plus de difficultés à trouver de la main d’œuvre pour des emplois saisonniers. D’où certaines productions qui risquent d’être négligées, pour cette raison. De nombreux agriculteurs font appel à des ressortissants étrangers, venus d’Italie ou d’Afrique du Nord. Mais là aussi, la paperasse revient au galop. Ainsi la jeune agricultrice explique que lors de l’embauche de salariés pour des tâches bien précises, comme la récolte des asperges, elle est tenue de fournir un document administratif listant tous les risques d’accidents qui pourraient survenir sur l’exploitation. exploitation, même si la personne embauchée ne travaillera que sur la parcelle de plantation d’asperges.
La loi Egalim, « une usine à gaz »
« C’est la grande distribution qui garde la main et la loi Egalim (loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs) » observe un agriculteur. Il ressort des discussions que cette loi reste abstraite et continue de laisser prévaloir la loi de l’offre et de la demande. « Nous sommes la seule profession à ne pas pouvoir fixer le prix de vente de ses produits », précise l’un des membres de l’assemblée. Il explique que le coût de production n’est pas calculé par l’agriculteur, mais par des organismes qui ne prennent pas en compte tous les éléments. Par exemple, la situation varie selon qu’il s’agit d’un jeune agriculteur ou d’un agriculteur en fin de carrière. L’agriculteur est contraint de céder à la loi de l’offre et de la demande, car il n’a pas les moyens de stocker ses produits. Il doit forcément passer sous les fourches caudines de la grande distribution.
Lésés par les accords du Mercosur ?
Question posée par plusieurs participants à ce débat : comment se fait-il qu’il soit interdit de produire des veaux aux hormones, mais qu’ils puissent être vendus pour la consommation ? Les agriculteurs remettent également en cause le label bio à l’international, dans la mesure où les cahiers des charges ne sont pas les mêmes qu’en France et ceux en vigueur à l’étranger. Autre constat qui fait tousser, l’interdiction de chauffer les serres de légumes au gaz, alors que dans le même temps, un flot de camions circule entre la France et l’Espagne. Et encore, comment expliquer que la viande venant de l’étranger soit labellisée « France » dès sa transformation en France.
«Et pourquoi ne pouvons-nous pas fonctionner comme en Suisse, où tant qu’il y a suffisamment de pommes de terre produites localement, les frontières sont fermées pour cette production ? » demande un autre agriculteur. Sandra Kwiatkowski, l’assistante de Raphaël Daubet, noircit les pages de son carnet. « La question devient épineuse, compte tenu de la montée des courants nationalistes », reconnaît Raphaël Daubet.
Au fur et à mesure des discussions, même s’il a été décidé de s’en tenir à la dimension locale des difficultés vécues au quotidien, la réalité des situations reflète une imbrication avec les politiques nationales et internationales, qui se sont construites au fil du temps. des cinq dernières décennies. S’ensuit un sentiment d’impuissance à faire bouger les lignes.
Et la gestion de l’eau ?
Pas mieux ! Là aussi, les agriculteurs ne comprennent pas toutes les restrictions auxquelles ils sont soumis. « Comment expliquez-vous, Monsieur le Sénateur, qu’arroser la pelouse d’un stade sportif ne pose de problème à personne, alors que pour nous qui produisons des cultures pour nourrir la population, cela devient tout d’un coup un problème ? » Autre situation qui semble pas mal agacer les agriculteurs, la réglementation concernant l’accès au fleuve et la gestion des abords. « Il n’y a pas d’entretien des berges aujourd’hui, les arbres tombent et on ne peut plus accéder à certaines parcelles, soi-disant au nom de la préservation de la biodiversité ! » dénonce un agriculteur. A ce niveau, la mairie et la communauté de communes semblent se renvoyer la balle, ce qui enlise encore davantage le débat.
Dégâts : la faune mise en cause
Les agriculteurs dénoncent une reproduction exponentielle de certains animaux sauvages : sangliers, choucas, corbeaux, blaireaux… provoquant d’importantes pertes de récoltes. Les agriculteurs soulèvent des problèmes avec les autorisations de chasse dans certains secteurs. Ils soulignent que le blaireau est porteur de maladies, notamment de tuberculose, comme cela a été observé dans le Gourdonnais et en Dordogne. « Dans ce pays, on défend le loup plus facilement que les troupeaux d’agriculteurs, qui travaillent pour nourrir la population ! » tonne un agriculteur. « Il faut dire aussi qu’on n’entend même pas les élus monter au créneau pour nous défendre ! » ajoute un autre. « Il fallait le dire et c’est fait ! », applaudit un autre.
Les retraites toujours aussi basses ?
Quant au problème lancinant des retraites agricoles augmentées de 800 € à 1 000 € par mois, l’un des agriculteurs ne supporte pas de rester à 800 €, « parce qu’il touche aussi 130 € en tant qu’ancien élu municipal ». “C’est honteux !” » poursuit-il en expliquant qu’il a accompli son engagement à servir les intérêts de la communauté en tant qu’élu en complément de son travail d’agriculteur.
Il n’est pas surprenant que dans un tel contexte, les perspectives de transfert d’exploitations agricoles ne paraissent pas très encourageantes. Ce qui pourrait conduire les retraités agricoles, se retrouvant avec leur ferme entre les mains, à supporter des charges, supérieures au montant de leur pension… « Et s’il n’y a plus d’agriculteurs, les friches gagneront des terres, avec tous les problèmes que cela entraîne : abandon agricole, risques d’incendies, sauvagerie de certains secteurs, dévaluations en tout genre, y compris en matière de tourisme… »
A l’issue de ces échanges, M. Daubet promet de soulever au plus haut niveau les enjeux qui pourraient et devraient évoluer à ses yeux. Il se dit impressionné par toutes les contraintes technocratiques auxquelles les agriculteurs sont confrontés et entend à son tour tirer la sonnette d’alarme pour que l’agriculture reste l’un des fondements de la France rurale. « Il est encore temps d’agir, de sortir la tête de l’eau en matière agricole, car elle reste un enjeu majeur pour les générations à venir, et d’autant plus dans un monde miné par des menaces de toutes sortes, y compris sur le plan géostratégique » conclut Raphaël Daubet.
Ce 26 octobre 2024, à Tauriac, dans la vallée de la Dordogne, les agriculteurs ont été écoutés ; ils ont vidé leur sac. Mais seront-ils entendus ? Rien n’est moins sûr !
Le Mercosur fait référence à un marché commun regroupant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie. La France ne souhaite pas ratifier les dispositions du prochain accord qui touchent les agriculteurs français, même si la dimension industrielle lui serait favorable. D’autres pays européens comme l’Espagne et l’Allemagne font pression en faveur du traité.
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