Avec 25 buts inscrits, il fut l’un des grands artisans du premier titre de champion de France de l’AS Saint-Etienne en 1957, qui remettait en question la domination du Stade de Reims. Champion du monde militaire avec la France la même année, déjà appelé quatre fois en équipe de France par le sélectionneur Albert Batteux, Mekhloufi semblait promis à un brillant avenir à 21 ans et à la Coupe du monde 1958 en Suède.
Au Servette, avec Snella
Mais en avril 1958, en pleine guerre d’Algérie, il quitte sans hésiter son club et la métropole, accompagné d’une vingtaine d’autres joueurs algériens, pour rejoindre l’équipe du FLN, créée pour promouvoir la lutte pour l’indépendance. . A l’instar de l’équipe du Honved Budapest, devenue une équipe itinérante multipliant les matches amicaux à la suite de l’insurrection de Budapest en 1956, les dirigeants du FLN imaginaient qu’une sélection nationale, surnommée les « Onze de l’Indépendance », favoriserait l’émergence d’une « identité nationale algérienne ». et jouera le rôle d’ambassadeur à l’étranger.
Réalisée dans le plus grand secret, l’exfiltration des joueurs professionnels algériens vers la France (certains refusés) eut lieu le 14 avril 1958, alors que l’équipe de France devait jouer contre la Suisse le 16 avril à Paris (0-0). Mekhloufi n’est pas là, il a rejoint Lausanne en voiture – une Simca Aronde – avec le Lyonnais Abdelhamid Kermali. Parmi les 33 footballeurs de première et deuxième division ayant ainsi « déserté », il est le seul avec Mustapha Zitouni (AS Monaco) à bénéficier d’un statut de star et d’un salaire très confortable. Le sacrifice de leur carrière et de leur fortune a un impact très fort sur l’opinion publique et sur leurs compatriotes.
Les joueurs se retrouvent ensuite à Tunis, où ils restent basés lorsqu’ils ne jouent pas, principalement contre des pays du bloc de l’Est. En quatre ans, Rachid Mekhloufi a disputé 40 matches et marqué 43 buts pour l’équipe du FLN. Les accords d’Evian, le 18 mars 1962, marquent la fin de la guerre et la naissance de l’Algérie indépendante. Rachid Mekhloufi peut envisager de reprendre sa carrière à 26 ans. Il appartient toujours légalement à l’AS Saint-Etienne, tombé en deuxième division et veut récupérer son joyau, mais le climat n’y est guère propice, et sa forme physique est précaire.
Vient ensuite l’idée de passer par le Servette, que Jean Snella rejoint en 1959. «Mekhloufi pour un an à Genève», titre le journal. Journal de Genève du 8 août 1962. « Il s’est étouffé, a perdu le rythme de la vraie compétition après quatre ans d’exil », note Jacques Ducret dans son livre sur Servette (L’Âge d’Homme, 1976). Snella, qui ne peut aligner qu’un seul de ses deux étrangers, le préfère néanmoins à l’arrière yougoslave Tomislac Crnkovic. A juste titre puisqu’après un nul à Bienne (3-3), Mekhloufi a inscrit trois doubles consécutifs contre le FC Bâle, le Grasshopper et le FC Sion. Il a également marqué deux fois contre Feyenoord au premier tour de la Coupe des clubs champions européens, mais Servette a été éliminé lors du match de soutien.
La Coupe du monde, enfin
Il est sur le terrain du fameux derby contre Lausanne qui attire 27 000 spectateurs aux Charmilles. Mais LS s’impose (1-3) et s’envole au classement. Les sols lourds de l’automne lui sont moins favorables. A Granges, il ressemble à « le Kopa des mauvais jours qui reste coincé dans ses dribbles », tacle Jacques Ducret. Rachid Mekhloufi inscrit deux buts lors de son dernier match pour le Servette, une très large victoire en Coupe contre le Stade Lausanne (14-2) devant 1750 spectateurs le 4 novembre 1962 aux Charmilles, puis retrouve le Forez et le maillot vert. Il ne restera finalement que cinq mois à Genève, laissant un souvenir mitigé mais des statistiques remarquables (14 matches, 12 buts).
A Saint-Etienne, où Jean Snella le rejoint à l’été 1963, Rachid Mekhloufi retrouve très vite ses marques et l’affection du public. Pour son entraîneur, cité par L’Equipe, Mekhloufi est « la race des savants dont on n’a rien à apprendre, qui inventent le football. Une perle, le partenaire idéal. Avec lui, les Verts furent champions de France en 1964, 1967 et 1968, année du premier doublé coupe-championnat. Mais il est poussé sur le banc à la fin de la saison 1968 par le jeune Jean-Michel Larqué, qui pleure aujourd’hui la mort d’« un immense joueur, mon exemple, mon modèle, mon maître professionnel ».
A 32 ans, il quitte Saint-Etienne après 339 matches et 152 (deuxième meilleur total historique après Hervé Revelli). Il devient joueur-entraîneur à Bastia pendant deux saisons puis raccroche et devient, à trois reprises, sélectionneur de l’équipe d’Algérie qu’il a contribué à créer. Lors de son troisième mandat, il mène les Fennecs avec Mahieddine Khalef à un extraordinaire succès 2-1 contre l’Allemagne fédérale lors de la Coupe du monde 1982 en Espagne.
A l’annonce de son décès, les hommages venus d’Algérie et de France ont souligné la qualité du footballeur mais aussi de l’homme. Alors que la place de la politique dans le sport fait débat, Rachid Mekhloufi a donné une expression digne et forte.