Il compose des chansons et joue de la Musique depuis plus de 50 ans. Et pourtant, Chris Combette, 67 ans, vient tout juste de sortir son sixième album. Cela représente en moyenne environ un album par décennie. Le chanteur ne peut pas s’alarmer : «J’aime avant tout monter sur scène, composer, écrire des textes… Finalement, je sors des disques pour continuer d’exister, pour gagner des royalties à la Sacem, un peu par obligation…», nous explique-t-il avec un flegmatisme ensoleillé, au téléphone, depuis son petit coin du monde, coincé entre le Suriname et le Brésil : la Guyane française.
Dans ses discours et sa prosodie, l’homme est à l’image de sa musique : douce et engagée, froide et chaloupée, entre le murmure et l’affirmation, la caresse et le poing levé… Depuis ses débuts, il s’est forgé une musique caribéenne, ou swingue habilement, sur ses mélodies cousues main, déhanchements reggae, assauts ragga, réminiscences calypso, clins d’oeil de boussole, épices salsa… Bref, une créolité joyeuse, tel un carrefour, qui assume ses sources et ses horizons pluriels.
Née en Guyane de deux parents martiniquais – »Ils se sont rencontrés sur le bateau. Ma mère a quitté son île et sa famille pour s’installer chez une tante. Mon père, qui allait travailler dans l’administration, la consolait…» –, il a grandi au Havre jusqu’à l’âge de six ans, avant de passer le reste de son enfance en Martinique. Puis c’est Montpellier, et un métier de professeur de mathématiques qui l’amène dans différentes académies : Martinique, Guadeloupe, Paris… Naît enfin cette envie de retourner au pays de son choix et de sa naissance.Un beau jour de 1996, j’ai insulté l’hiver et j’ai fui Paris pour m’installer ici deux semaines plus tard. Quand j’ai découvert la Guyane à 14 ans, j’ai eu un coup de foudre : le rouge vif de la terre contrastant avec le vert de la forêt amazonienne, la nature sauvage et rude, l’espace… Toute cette respiration !», s’enthousiasme-t-il.
Le refuge du Maroni
En effet, si sa musique s’affirme comme caribéenne au sens large, elle garde néanmoins ses racines et son imaginaire bien ancré ici en Guyane, comme l’exprime en français la dernière chanson du disque, Maroniqui compare le fleuve-symbole à l’habitat, au havre, au refuge, à la campagne : «Cette terre où plongent les plus beaux rêves du monde, j’ai trouvé l’espoir où mon âme est apaisée, où mon corps oubliera la fureur et ses braises/ et j’aime ce pays aussi fort que grand, j’ai perdu ma peur et j’ai retrouvé mon rang», chante-t-il. “Je voulais décrire l’épopée et la résistance des esclaves marrons qui ont fui leurs conditions sur ses rives pour échapper à leurs maîtres et à leur destin désastreux.», a-t-il déclaré.
Lui aussi, d’ailleurs, trouve des réponses dans ses courants : «Je n’ai pas de relation fusionnelle ou sacrée avec le fleuve comme ces « hommes de l’eau » qui le côtoient au quotidien.… Mais j’aime y aller régulièrement, installer une cabane, étendre un hamac pour profiter de la fraîcheur et du silence assourdissant de la forêt. La dernière fois, je suis monté si haut que j’ai pu boire son eau. J’installe le camp. J’y suis resté trois jours… Le paradis !“
Pour composer, Combette part toujours de la musique, d’un rythme, de la force irrésistible d’une mélodie, qu’il fredonne comme du yaourt. Avant de se laisser envahir par une thématique. “A partir de là, j’ai fait beaucoup de recherches sur le sujet.», explique-t-il.
Une érudition qui explique l’épaisseur des titres deQu’il en soit ainsi. Enregistré dans sa maison du quartier résidentiel de Remire-Montjoly, à 20 minutes de Cayenne, recouverte de matelas pour l’occasion, pour amortir le son, cet album se révèle aussi poétique que politique. A travers ses morceaux, il parle des préjugés qui rongent une société (Qu’il en soit ainsi), le mal du pays d’un travailleur exilé (Longue durée), des racines culturelles fécondes (À la portée), l’exploitation des démunis par les nantis (Ne nous laisse jamais seuls)… Et parmi ce beau bouquet d’une dizaine de chansons charnelles, enracinées, guyanaises, deux sont signées par sa compatriote Christiane Taubira (Voler l’été, Tarif pays…). “J’éprouve pour elle une admiration et une tendresse sans limites. Nous avons, je crois, une relation chaleureuseil décrit. Lors d’une conversation, elle m’a avoué qu’elle avait des tiroirs pleins de textes (de chansons)… Elle a accepté de m’en donner quelques-uns. Nous avons fait un disque ensemble, sorti tardivement, compte tenu de ses responsabilités politiques, et resté assez confidentiel.“
Dans les coulisses
A travers les chansons en créole martiniquais écrites par Combette et celles en créole guyanais de Taubira, on peut voir les coulisses, et les cicatrices laissées par l’histoire sur ce territoire : «La Guyane est l’enfer du bagne, cette terre où ont été envoyés les déchets de la société française, cette forêt où se cache un terrifiant bestiaire de serpents, d’araignées, de moustiques dans l’inconscient collectif.…dit l’artiste. Mon département ne bénéficie pas de l’aura positive des Antilles, avec ses cocotiers et ses plages de sable blanc…‘.
Cependant Combette se sent étroitement solidaire des manifestations en cours en Martinique contre la vie chère… »Ce sujet me dérange. Loin d’être anecdotique, cette « vie chère » symbolise le contrôle des békés sur l’ensemble de la société insulaire. Et je trouve l’envoi du CRS 8 époustouflant. Malgré l’immense légitimité de la lutte, le gouvernement ne la comprend pas… il proteste. On se retrouve finalement ici avec les mêmes problèmes de vie chère et de stigmatisation laissés par l’époque coloniale et l’esclavage. Nous avons des infrastructures fragiles, beaucoup d’endroits enclavés, accessibles uniquement en canoë, des problèmes d’orpaillage qui empoisonnent la population au mercure. Mais notre principale préoccupation, l’obsession de la population, reste l’insécurité…“
Malgré tous ces motifs de colère et d’inquiétude, Combette reste doux, dans son attitude et ses créations. Et c’est peut-être pour cela qu’il résonne universellement… Et pourquoi même les Japonais l’adorent ! Le Guyanais revient lui aussi d’un périple au pays du soleil levant. Il a repris l’un des hymnes de la danse japonaise Yosakoi, en créole, Mo sa Yosakoiune des pistes du disque : “C’est l’histoire d’un moine bouddhiste qui achète un peigne malgré sa calvitie. Après une enquête plus approfondie, il s’avère que notre homme a une petite amieil explique. Quand je l’ai chanté à Kōchi, la ville natale de Yosakoi, c’était l’euphorie !
Preuve que depuis son petit coin de terre, Chris Combette le Créole, Combette la Guyanaise, parle encore au monde entier.
Chris Combette, Qu’il en soit ainsi (Chris Combette) 2024
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