La dernière image qu’on avait de lui était celle de ce père en colère qui se filmait devant un collège de région parisienne. Un homme qui a dénoncé avec virulence un professeur “voyou” qui avait demandé aux étudiants musulmans de quitter la classe avant de montrer un ” photo “ du prophète “tout nu”.“Ce voyou ne doit plus rester dans l’éducation nationale”, » a ajouté ce père, indigné que sa fille ait été exclue pour avoir refusé de quitter la classe. C’était le 8 octobre 2020, quatorze jours avant l’assassinat de Samuel Paty par un islamiste radicalisé.
« Je suis sage, je suis très patient, je n’aime pas l’agressivité. Je ne sais même pas ce qu’est l’agression. » a déclaré aujourd’hui Brahim Chnina d’une voix calme. Plus de virulence, plus de colère. C’est un homme « stressé » et mal à l’aise qui s’exprime ce mercredi 6 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris. ” Cela me fait mal de voir la famille de M. Paty. Je m’excuse auprès de ce pauvre professeur qui n’aurait jamais dû mourir dans ces conditions”murmure Brahim Chnina, tout en affirmant ne pas reconnaître les faits qui lui sont reprochés.
Un père en colère
C’est le propre de tous les procès d’assises. Avant d’approfondir les faits, le tribunal examine la personnalité de l’accusé. Ce mercredi matin, c’est la vie de Brahim Chnina qui est scrutée. Un moment très attendu. Car ce père a joué un rôle important dans le processus qui a mené à la mort de Samuel Paty. C’est lui qui, le 8 octobre 2020, est venu manifester sa colère devant le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine en compagnie d’un militant islamiste, Abdelhakim Sefrioui. C’est aussi et surtout lui qui a diffusé la première vidéo désignant Samuel Paty comme cible.
Le lendemain, 9 octobre, Brahim Chnina recevait un appel téléphonique d’une durée de 1 minute et 21 secondes d’un homme qui avait visiblement vu cette vidéo : un habitant d’Évreux, Abdoulakh Anzorov, le futur assassin de Samuel Paty. Lors de l’enquête, Brahim Chnina a déclaré n’avoir aucun souvenir de cette courte conversation mais a assuré n’avoir jamais voulu déclencher de violences contre Samuel Paty. Son seul objectif était qu’il soit exclu de l’éducation nationale, ajoutait ce père alors trompé par le mensonge de sa fille : elle était en effet absente du cours durant lequel Samuel Paty avait présenté des caricatures de Charlie Hebdo.
Un homme à deux côtés
Mais avant d’évoquer les faits, Brahim Chnina est donc invité à parler de lui. De son départ du Maroc pour la France en 1977 alors qu’il avait 7 ans. De son rêve d’enfant de devenir “pilote de ligne” ou étudier longtemps. « Finalement, je n’ai pas eu la chance de passer le baccalauréat » confie-t-il, avant d’évoquer ses différents “petits boulots” pour aider les gens à la maison « malade ou à mobilité réduite ». Un homme à deux facettes. En revanche, il y a cette condamnation en 2001 à huit mois de prison pour trafic de drogue entre l’Espagne et la France. Puis en 2002, une nouvelle peine de 6 mois de prison pour avoir menacé de tuer une assistante sociale. «J’ai eu un malentendu avec elle. Je lui ai mal parlé, c’est vrai. »
Mais d’un autre côté, il y a aussi ces nombreux témoignages, recueillis au cours de l’enquête, sur la gentillesse de l’accusé, sur sa ” dévouement “ extrême pour sa famille, sur l’attention qu’il a portée à l’un de ses frères atteint d’une maladie rare. Un « papa poule » également pour les six filles qu’il a eu avec sa compagne “caractère fort” avec qui les relations étaient parfois houleuses. Régulièrement, le “Il est temps que les choses se calment”, Brahim Chninia part vivre chez sa mère ou sa tante et suit alors à distance la scolarité de ses filles. “C’était ma femme qui était en contact avec les professeurs” admet-il, sans nier l’affirmation selon laquelle personne au collège ne le connaissait avant de se présenter ce matin du 8 octobre 2020 pour pester contre ce professeur “voyou”.
Tous les témoignages convergent également pour souligner la pratique religieuse “modéré” par Brahim Chnina et son manque de rigueur ou de radicalisation. À un moment donné, l’accusé dit même qu’il était ” victime “ de terrorisme, ce qui fait sourciller certains avocats du côté de la partie civile. Il parle ensuite de son ” souffrance “ lorsqu’en 2014 une de ses jeunes sœurs, déficiente mentale, part en Syrie. « Elle a été endoctrinée par Internet. Elle est tombée amoureuse de quelqu’un qui lui a fait de belles promesses. Il lui a promis le paradis, il l’a ramenée en enfer. Il a réussi à lui faire un lavage de cerveau. Personne n’est radicalisé dans la famille. » raconte Brahim Chnina qui, à l’époque, avait signalé ce départ à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Bien que peu présent dans le suivi de ses filles, Brahim Chineia affirme leur avoir appris « respect des enseignants ». « Si un jour ma fille me disait qu’elle a été punie suite à un problème avec un professeur, je serais d’accord avec le professeur » dit-il, sans savoir comment tout cela peut être ressenti par les proches de Samuel Paty assis au premier rang du public. Juste un indice indirect à travers un court échange entre l’accusé et Virginie Leroy qui défend les parents et l’une des sœurs de l’institutrice. “Je m’excuse auprès de la famille Paty”dit Brahim Chnina. « Nous n’avons pas besoin de vos excuses. répond aussitôt l’avocat. Nous avons besoin de vos explications. »