Pascal FÉREY, président de la Chambre d’Agriculture de la Manche

Pascal FÉREY, président de la Chambre d’Agriculture de la Manche
Pascal FÉREY, président de la Chambre d’Agriculture de la Manche

Que représente pour vous cette page de l’Histoire ?

Je m’y suis bercé depuis ma plus tendre enfance. Mes parents ont été touchés dans leur sang. J’ai de la famille qui a été tuée par des bombes, des amis de la famille qui ont été tués par des mines. Ils furent repoussés par les Allemands. À leur retour, après la première vague de bombardements, de nombreuses communautés ont été rasées. Mes parents n’avaient plus rien. Ce qui était enseveli sous les charrettes fut brûlé par des bombes incendiaires.

Pourquoi les commémorations sont-elles si importantes pour vous ?

Jusque dans les années 1990, des coquillages étaient régulièrement retrouvés dans nos champs. Lors de la consolidation de Saint-André-de-Bohon en 1992, plus d’une tonne de munitions anti-aériennes allemandes ont été découvertes. A Sainteny, c’est un soldat allemand qui est mort dans son parachute. On s’en souvient toujours. Le 101e Airborne n’a jamais perdu autant d’hommes dans une seule bataille, celle du Carré de choux à Carentan. Près de 3 000 soldats presque en un jour et demi ! Cela fait partie de nous.

A Saint-Lô, le 5 juin, a eu lieu une cérémonie à la mémoire des victimes civiles, mais pas que.

Depuis 40 ans, de 1984 à aujourd’hui, nous commémorons la mémoire des Libérateurs, des soldats morts, et c’est justifié ! A 80 anse, nous continuons de commémorer la gloire de nos libérateurs. Cela me semble tout à fait normal. Cela reflète la construction d’une Europe unie. En même temps, il y a tous les autres civils qui sont morts sous les bombes. Les villes et hameaux furent bombardés car ils constituaient des carrefours stratégiques pour empêcher les Allemands d’arriver ou de sortir et de s’assurer qu’ils y restent pour les faire disparaître.

Le monde agricole a-t-il aussi souffert ?

Le nombre de paysans blessés en rentrant aux écuries, alors qu’ils labouraient les champs dans les 15 années qui ont suivi la guerre, est énorme. Le nombre de chevaux amputés pour avoir sauté sur une mine était régulier. Là, il n’est pas marqué victime civile. Les victimes civiles, ce sont ceux qui sont morts sous les bombes, sous les obus. Après, ils sont toujours morts.

Je ne veux pas qu’on oublie ceux qui nous ont nourris sans jamais rien dire, en toute humilité. A leur manière, ils ont résisté en nourrissant et en accueillant. De nombreux paysans et agriculteurs ont accueilli des para-américains pendant 1, 2, 3 jours. Nous devons rendre hommage à ces personnes.

C’est l’heure. 80 ans n’est pas l’âge de la maturité mais c’est le moment où les souvenirs commencent à s’estomper. Quiconque n’est pas convaincu par cette page de l’Histoire n’en parlera jamais.

Comment ces hommages ont-ils été traduits ?

J’ai demandé au maire de Saint-Lô, au préfet de La Manche, au président du Conseil départemental, qu’il y ait un lien avec la ruralité dans cet hommage aux victimes. Je voulais qu’on pense à ces hommes et ces femmes qui ont laissé un membre ou la vie. Cette histoire est gravée dans les mémoires du monde rural

Jusqu’à avoir la présence de la Chambre de France. Pour quelles raisons ?

La Chambre de France, présidée par Sébastien Windsor, dans le cadre d’un bureau décentralisé, est présente aux différentes commémorations au nom de tous les paysans, de tous les agriculteurs qui ont souffert. Nous célébrons la mémoire des victimes en général, victimes civiles, urbaines et rurales.

C’est le moment de rappeler que les dégâts de guerre ont été importants. Il n’y avait plus de bétail ni de chevaux. Tout est parti. Il y avait des familles entières ruinées. Mes parents qui avaient une vingtaine de vaches, des chevaux, des pommiers, il ne reste plus rien. Plus de maison, plus de literie, plus de photos, plus de mémoire, plus rien.

Les gens retournaient au travail. C’est une manière de rappeler qu’après la guerre, les agriculteurs ont joué un rôle considérable dans la reconstruction de leur pays. Chacun à la maison remodelait le paysage français. Si nous n’avons pas une pensée pour nos agriculteurs, nos grands-mères, je dirais que notre société est égoïste ! J’aurais failli à mon devoir de président de la Chambre d’Agriculture si nous avions passé cette période sous silence le 5 juin.

 
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