ÔOn l’associe volontiers au Sud et à Nice, où il a passé une grande partie de sa vie, mais Henri Matisse est un homme du Nord. « Au sens large du terme : il était Picard », explique Sophie Le Flamanc, directrice adjointe du musée Matisse du Cateau-Cambrésis. La structure départementale s’apprête à rouvrir ses portes au public le 23 novembre prochain, après dix-huit mois de fermeture pour travaux d’extension. Un investissement de 13 millions d’euros (dont 1,5 million de l’Etat) qui traduit la volonté du département du Nord de lier son image à celle de l’artiste au rayonnement mondial.
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Peintre de couleurs claires et chatoyantes – Picasso disait de lui qu’il avait « le soleil dans le ventre » – Henri Matisse est né au Cateau le 31 décembre 1869, en pleine tempête de neige. Une partie de sa famille était alors ancrée dans cette ville du nord proche de Cambrai, peuplée alors de près de 10 000 âmes.
Pour lancer leur activité de semences, ses parents ont préféré Bohain-en-Vermandois, 15 kilomètres plus loin, dans l’Aisne. C’est dans cette ville de tisserands, célèbre pour ses tissus luxueux aux motifs colorés, que le jeune Matisse passera ses vingt premières années.
Longue période de convalescence
« Il avait du mal à y trouver sa place », se souvient Mariana Cambier, médiatrice culturelle à la maison familiale Henri Matisse, à Bohain. Son père n’a jamais accepté qu’il refuse de retourner aux affaires et tourne alors le dos au métier de notaire pour lequel il avait payé ses études, pour aller « griffonner » à Paris. »
Jeune homme à la santé fragile, Henri Matisse découvre sa vocation lors d’une longue période de convalescence durant laquelle sa mère, peintre amateur, lui donne du matériel de peinture pour le distraire. « Avant, je n’avais goût à rien, j’éprouvais une grande indifférence face à tout ce qu’ils voulaient que je fasse. À partir du moment où j’ai eu cette boîte de couleurs entre les mains, j’ai senti que c’était là que se trouvait ma vie », confie l’artiste.
Dans la capitale, les premières années sont difficiles. À tel point qu’en février 1903, âgé de 33 ans, le peintre sans le sou est contraint de retourner à Bohain avec sa femme et leurs trois enfants. Il n’y trouvera pas le répit espéré : les habitants rendent la vie difficile au « barbouilleur » incompris, qui recevra même le surnom méprisant de « fou Matisse ». La famille ne tarde pas à rentrer à Paris, avant de s’installer définitivement sous le ciel pur de la Côte d’Azur.
Un don à la municipalité
Le musée Matisse du Cateau-Cambrésis est cependant « le seul qu’Henri Matisse ait ouvert de son vivant », rappelle Sophie Le Flamanc. Dans les années 1930, une poignée d’habitants du Cateau prennent conscience de son ampleur ; un comité se crée, qui multiplie les appels à l’enfant du Nord, coupé de ses racines. Sans succès, au début.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a dévasté la région, un projet de musée a été confirmé. Le peintre, presque octogénaire et très occupé par son projet de la chapelle du Rosaire, à Vence, renoue avec le Nord. Pressé par quatre de ses notables, il promet de faire un don à la commune dans laquelle il est né.
Celle-ci se concrétise durant l’été 1952, avec pas moins de 82 œuvres : plusieurs dizaines de dessins et gravures, cinq sculptures, deux peintures… Un geste estimé à près de 16 millions de francs. Qu’il accompagne d’une autre concession : Matisse destine pour le groupe scolaire de la commune, qui doit porter son nom, son projet de vitrail La rivière de la vieinitialement conçu pour la chapelle de Vence. L’œuvre, renommée Les abeilles et inaugurée en octobre 1955, orne la salle de jeux de l’école maternelle Henri-Matisse.
« Afin de rendre à César ce qui appartient à César, j’ai aidé la ville du Cateau à créer ce musée. Une partie du résultat d’une vie de travail qui m’a été imposée par le destin, et donc justement placée», écrit le peintre dans une déclaration lue à l’occasion de l’inauguration du musée Matisse, le 8 novembre 1952. Trop vieux, il ne peut lui-même assister à. Deux de ses enfants, Marguerite et Jean, font le déplacement. La salle d’exposition, dans laquelle les œuvres étaient disposées selon les instructions précises de l’artiste, était installée au premier étage de la mairie, dans la pièce où se sont mariés ses parents.
Exposer dans de bonnes conditions
Trente ans plus tard, en 1982, le musée est transféré dans un bâtiment historique de la ville, le Palais Fénelon, qui servit de résidence d’été aux archevêques de Cambrai au XVIIIe siècle.e siècle. Au fil des années, les collections s’enrichissent grâce aux dons de la famille d’Henri Matisse, ainsi que des artistes de l’abstraction géométrique, Auguste Herbin (qui passa son enfance au Cateau-Cambrésis) et Geneviève Claisse.
Après sa départementalisation, en 1992, le musée est agrandi et rénové une première fois. Cela lui permet de recevoir la donation Alice Tériade, une importante collection d’art moderne composée d’œuvres de Giacometti, Picasso, Léger, Chagall, Miró… Autant de richesses que la superficie du palais Fénelon ne suffira bientôt plus à exposer dans de bonnes conditions : le département du Nord décide d’une nouvelle extension.
Après plus de deux années de travaux – durant lesquelles ses collections ont voyagé à Pékin et Shanghai – le musée du Cateau-Cambrésis renaîtra fin novembre, agrandi de 1 000 mètres carrés grâce à l’acquisition de l’ancien marché couvert de la ville, et restructuré par l’architecte Bernard Desmoulin, architecte de la rénovation du musée de Cluny à Paris. « Matisse est le grand gagnant de cet agrandissement », se réjouit Sophie Le Flamanc.
La Lilloise, ancienne directrice de cabinet de Jean-René Lecerf, président du département du Nord de 2015 à 2021, a découvert le musée Matisse à la fin des années 1980. En ce mois d’octobre 2024, coiffée d’un casque de chantier, elle surveille l’avancement des travaux.
Un charbon de bois placé au bout d’une canne à pêche
Le musée agrandi disposera de neuf salles d’exposition supplémentaires dont une grande plateforme modulable de 300 mètres carrés qui permettra au visiteur d’embrasser toute la carrière de l’artiste, depuis sa découverte de la peinture avec leAtelier de tisserand picard (1895) durant sa période fauviste avec Collioure, rue du Soleil (1905), de ses années niçoises à ses dernières compositions réalisées avec des papiers gouaches découpés et collés.
Parmi les œuvres remarquables conservées, quatre plâtres originaux de sculptures monumentales Pas à l’enverset le Portraits des petits-enfants Claude, Gérard, Jacqueline peint par Matisse en 1950 (quatre ans avant sa mort) au plafond de sa chambre-atelier de l’hôtel Régina de Nice, à l’aide d’un fusain posé au bout d’une canne à pêche !
La nouvelle visite de Matisse se terminera par une visite virtuelle immersive de la chapelle de Vence, considérée par l’artiste comme le sommet de sa création. « Le visiteur pourra se promener à l’intérieur et à l’extérieur comme s’il y était avec une vue à 180 degrés, c’est unique », s’enthousiasme Sophie Le Flamanc, ravie que ce renouvellement du musée lui permette d’intégrer le numérique. Une entrée séparée, destinée aux groupes de visiteurs, permettra également de les accueillir dans de meilleures conditions.
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Entre la famille de l’artiste et le Nord, les liens ont été maintenus : le 22 novembre, plusieurs descendants d’Henri Matisse, dont son arrière-petit-fils, Georges Matisse, ou encore Barbara Duthuit, qui perpétue l’héritage du peintre venu des Etats-Unis, seront présents. assister à l’inauguration du musée agrandi du Cateau-Cambrésis.
Ils découvriront l’exposition temporaire sur les livres illustrés de Matisse (« Comment j’ai fait mes livres », du 23 novembre 2024 au 13 avril 2025) et assisteront, grâce à un prêt exceptionnel, à la rencontre de deux grandes œuvres du peintre, Fenêtre sur Tahiti I et II. Le premier appartient aux collections du Musée Matisse de la Ville de Nice, le second est conservé au Cateau-Cambrésis. Le fruit d’un partenariat en forme de lien entre les deux institutions, capable de réconcilier pour de bon l’homme du Nord et celui du Sud.