Le refus, notifié le 22 octobre par la Haute autorité de santé (HAS), d’accorder un accès dit précoce à Qalsody, un médicament développé par le laboratoire américain Biogen pour traiter une forme rare de sclérose latérale amyotrophique (SLA), est un de ces décisions réglementaires où la barrière du jargon technique, la complexité scientifique et les subtilités procédurales masquent le drame humain qui se joue derrière.
Pour comprendre cela, il faut écouter Pauline, 22 ans, une patiente qui craint que cette décision de l’autorité sanitaire ne la prive demain du seul traitement disponible pour une maladie qui la condamne aujourd’hui au fauteuil et la menace d’une paralysie progressive. . , pour la tuer d’ici quelques mois.
Espérance de vie réduite à deux ou trois ans
Le destin de la jeune femme a basculé le 17 novembre 2022. « Ce jour-là, lors d’un rendez-vous à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, on m’a annoncé que j’avais une grave pathologie neurodégénérative.dit-elle. Sous le choc, je n’ai pas vraiment réalisé. C’est le soir, en consultant Internet, que j’ai compris que j’allais vers la mort. »
Les spécialistes parlent d’« ALS-SOD1 », une forme rare de la maladie de Charcot, appellation plus connue du grand public. “C’est lié à une mutation du gène SOD1 qui produit une protéine toxique pour les motoneurones”, explique le neurologue François Salachas, responsable du Centre de référence SLA d’Île-de-France. Héréditaire, elle touche une centaine de personnes par an en France. « Elle se traduit par une paralysie étendue avec atteinte respiratoire, mettant le pronostic vital en danger deux à trois ans après l’apparition des symptômes. Et il n’y a pas de traitement. précise-t-il.
Du moins, jusqu’à l’arrivée des Qalsody. Basé sur la molécule tofersen, ce traitement développé par Biogen est très prometteur ces dernières années. En décembre 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé son « Accès compassionnel »un système d’exonération qui permet la prescription et le remboursement d’un médicament pour lequel on présume, sans en avoir la preuve, un rapport bénéfice/risque favorable. Cela a permis à une cinquantaine de patients d’en bénéficier, dont Pauline.
Une décision « inacceptable et incompréhensible »
« J’ai eu ma première injection par ponction lombaire en mars 2023 et, depuis, j’en reçois une par mois. C’est douloureux sur le moment, mais avec le temps, je constate que ma maladie se stabilise. Et cela ouvre des perspectives. » elle témoigne. Aussi, lorsque Pauline a appris la décision de la HAS, elle s’est sentie abandonnée. «Je suis triste et en colère. Pour moi, cela ressemble à une condamnation à mort. elle a lâché.
Des propos forts repris par l’Association pour la Recherche sur la SLA (ARSLA) qui a lancé une pétition contre une décision jugée « inacceptable et incompréhensible ». « Tandis que leAgence européenne des médicaments a donné en février 2024 l’autorisation de mise sur le marché de ce traitement déjà autorisé en Allemagne, en Italie et aux Etats-Unis et dont les résultats indéniables montrent son efficacité, la HAS prive les patients du seul espoir concret de ralentir la progression de cette maladie dévastatrice », déplore Sabine Turgeman, directrice de l’ARSLA.
Un cri d’alarme relayé par une vingtaine de députés qui ont signé une lettre adressée au chef de l’Etat. « Au-delà du drame humain qui se joue, nous avons voulu les alerter sur le signal démobilisateur que ce refus envoie aux industriels, aux chercheurs et aux soignants impliqués dans les maladies rares. » souligne la députée (Renaissance) de Gironde Sophie Panonacle, à l’origine de l’initiative.
Les quatre critères pour un accès anticipé
Demandé par La Croixla HAS rappelle que sa mission est « pour offrir aux patients des traitements efficaces. Pour ce faire, nous respectons les règles fixées par la loi et une méthodologie scientifiquement établie. Qu’est-ce qui a été fait pour le Qalsody – tofersen »souligne Floriane Pelon, directrice de l’évaluation et de l’accès à l’innovation.
Pour obtenir un accès précoce, un traitement doit répondre à quatre critères : traiter une maladie grave, rare et invalidante ; qu’il n’existe pas de traitement approprié ; qu’il est présumé innovant et que sa mise en œuvre ne peut être retardée. Or, selon la décision publiée par la HAS, le Qalsody répond bien aux deux premiers mais pas aux deux derniers.
« L’analyse des résultats de l’essai de phase III réalisé par Biogen, réalisé sur 108 patients pendant six mois, démontre que ce traitement n’a pas d’effet significatif si l’on compare l’état clinique des patients qui l’ont reçu. ‘reçus et ceux qui ont reçu un placebo’, résume Floriane Pelon. “Ce que nous regrettons”, ajoute-t-elle. Mais ce qui a conduit la HAS à déclarer que le médicament n’était pas « susceptible de combler un besoin médical ».
Limites du modèle d’évaluation
S’il ne conteste pas la rigueur de la méthodologie, le Dr Salachas en souligne les limites. “L’essai mené par Biogen n’apporte certes pas de preuve définitive, mais certains éléments plaident fortement en faveur de son efficacité”, dit-il. On note notamment que le taux de protéine SOD1 diminue considérablement chez les patients ayant reçu du tofersen. Et que les neurofilaments, biomarqueurs qui attestent de la destruction des motoneurones, sont eux aussi en chute libre. « Ce qui est du jamais vu dans une maladie neurodégénérative, il s’enthousiasme. Mais l’un des problèmes réside dans la difficulté d’intégrer ce type de résultats innovants dans l’évaluation de l’efficacité de certains traitements. »
De même, les autorités sanitaires hésitent encore à prendre en compte les données collectées auprès des patients traités alors qu’il n’existe aucune possibilité de comparaison avec un placebo. « Parce qu’ils les jugent trop fragiles à moins que le traitement ne démontre un impact majeur. Pour eux, la méthode exclusive reste le double aveugle versus placebo. » ajoute le docteur Salachas.
Un appel examiné le 20 novembre
A la HAS, nous refusons de nous enliser dans une doctrine immuable. « Nous avons mis en place un groupe de travail sur l’accès anticipé pour mieux gérer l’incertitude et affiner l’évaluation des critères de présomption d’innovation » précise Floriane Pelon. Mais ce projet prendra du temps. Ce qui manque le plus aux patients concernés.
Pour Pauline et les autres, il reste à espérer que la HAS change d’avis. On connaîtra le 20 novembre, date du recours volontaire déposé par Biogen au cours duquel le laboratoire et des neurologues experts du secteur de la santé SLA plaideront pour que l’instance revoie sa position.