Il y a exactement 20 ans, une parcelle emblématique du territoire de Washington était restituée aux descendants des premiers peuples que les États-Unis tentaient d’éradiquer alors qu’ils déployaient furieusement leurs autorités à travers le continent nord-américain.
C’était le 21 septembre 2004. Plus de 25 000 Autochtones vêtus de vêtements traditionnels se sont rassemblés au cœur de la capitale fédérale pour défiler au rythme des tambours et des chants ancestraux sur l’esplanade du Centre commercial. Le cortège s’est ensuite dirigé vers le nouveau Musée national des Indiens d’Amérique (Musée national des Amérindiens) a inauguré ce jour-là à deux pas du Capitole, siège du Congrès américain.
Ce fut l’un des événements les plus importants depuis des lustres pour nous, les Premières Nations.se souvient encore de Dennis W. Zotigh, membre de la communauté Kiowa d’Oklahoma et aujourd’hui conseiller culturel au National Museum of the Native American People.
Dennis W. Zotigh prend à cœur son travail de conseiller culturel en sensibilisant les visiteurs aux réalités autochtones des États-Unis.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Pour M. Zotigh, l’implantation du musée dans cet endroit, l’un des plus prisés de Washington avec sa vue imprenable sur le Capitole, n’est pas du tout une coïncidence. Au contraire, c’est la volonté des Premières Nations des États-Unis d’affirmer leur présence face à un pouvoir législatif qui, par le passé, a souvent rendu la vie insupportable aux communautés autochtones.
Tout au long de l’histoire du pays, le Congrès des États-Unis a adopté des lois implacables visant à nous faire taire. Mais après avoir tenté de réprimer notre peuple, volé nos enfants, méprisé nos cérémonies et nos coutumes, la capitale fédérale nous accorde enfin une reconnaissance officielle.souligne le conseiller culturel dans une interview.
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Le Musée national des peuples amérindiens est situé à deux pas du Capitole des États-Unis.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Une place d’honneur pour les Premières Nations
Le septuagénaire, qui a également des racines Ohkay Owingeh et Santee Dakota, est un descendant de Sitting Bear et Ko-Et-Hai, les deux principaux chefs de guerre des Kiowa. Depuis, les temps ont changé, note-t-il, mentionnant que c’est précisément grâce au Congrès qu’est né le musée, preuve d’une certaine amélioration de la condition indigène aux États-Unis.
Les élus américains ont autorisé le financement du musée en 1989, après avoir voté une loi proposée par deux sénateurs indigènes, Ben Nighthorse Campbell, du Colorado, et Daniel Inouye, d’Hawaï. Après cinq années d’analyse et d’étude, le musée a enfin pu ouvrir ses portesdit-il.
C’est la première fois qu’un musée est conçu et construit par les autochtones eux-mêmes.
Le conseiller culturel avoue qu’à ses débuts, l’idée d’implanter un musée indigène à Washington ne faisait pas l’unanimité parmi les communautés. Les dirigeants auraient souhaité qu’une telle institution voie le jour dans l’ouest des États-Unis, où résident la majorité des Premières Nations du pays. Mais au fil des années, le musée a réussi à s’imposer comme une adresse incontournable de la capitale fédérale.dit-il.
Car le musée, audacieux dans sa conception, est le résultat d’un long dialogue qui a permis à des centaines de communautés autochtones de participer à toutes les étapes de son développement, ajoute M. Zotigh. Aînés, experts et chefs spirituels ont contribué à la réflexion sur le contenu des expositions et l’architecture. Plusieurs tribus ont même participé aux dépenses à hauteur de 35 millions de dollars.
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Le mémorial national des anciens combattants du musée a été conçu par le vétéran Harvey Pratt de la Première nation Cheyenne et Arapaho. Il rend hommage à l’engagement des Amérindiens dans les forces armées américaines.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Le Musée national des peuples amérindiens fait partie de l’ensemble des institutions qui composent le prestigieux Institution Smithsonianun complexe de musée et de recherche basé principalement dans la capitale fédérale. Il est également composé de deux autres sites : le Centre George Gustav Hayeà New York, et le Centre de ressources culturellesdans le Maryland.
Le Institution Smithsonian – qui regroupe 19 musées et galeries, ainsi que le Zoo national – joue un rôle central dans la préservation du patrimoine culturel, scientifique et historique des États-Unis, tout en servant de ressource internationale en matière de recherche et d’éducation.
Il s’agit du plus grand réseau de musées, galeries et centres de recherche au monde. Les exemples incluent le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines ou le Musée national de l’air et de l’espace. A ce titre, les visites sont toutes gratuites et ouvertes au public.
Conçu par l’architecte canadien Douglas Cardinal de la Confédération Pieds-Noirs (Siksikas), la magnifique œuvre en pierre chaude de couleur miel et aux courbes généreuses évoque une mesa de l’ouest désert américain, un canyon sculpté par le vent et les rivières. Les portes s’ouvrent à l’est en l’honneur du soleil levant. L’ensemble de la structure glorifie la nature avec du bois, de la pierre et de l’eauindique Dennis W. Zotigh.
L’institution, qui a coûté plus de 240 millions de dollars, est entièrement dédiée à l’histoire, à la culture et à l’art des peuples autochtones des Amériques, de la Terre de Feu au détroit de Béring, en passant par les Caraïbes. Nous affirmons nos identités multiples et communes. Nous racontons nos histoires telles que nous les voyons et non à travers les yeux des autrespoursuit le conseiller culturel.
Nous avons survécu. Du Grand Nord canadien au Cap Horn, nous sommes 30 à 40 millions. Nous parlons 175 langues différentes rien qu’en Amérique du Nord et nous luttons toujours pour maintenir nos connaissances et nos traditions.
Jusqu’alors, les cultures indigènes étaient exposées au Muséum d’histoire naturelle, à proximité des expositions sur la faune et la flore, explique le conseiller culturel. L’une des vocations du musée est de montrer que les communautés indigènes qui peuplent le continent ne sont pas des reliques historiques. Nous sommes toujours en vie !
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Les plantes entourant le musée recréent la végétation de la région des marais de Washington.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Autour du musée, il n’y a ni pelouse ni terrain vague. On retrouve plutôt la reconstitution d’un biotope vert semi-sauvage qui reproduit le milieu humide de la baie de Chesapeakehabitat ancestral des peuples autochtones de la région depuis des siècles. Des panneaux informent les visiteurs qu’ils se trouvent ici sur un territoire autochtonese souvient M. Zotigh.
Une collection unique
A l’intérieur, le bâtiment s’ouvre sur un dôme de 36 mètres de haut qui laisse passer la lumière du jour sur un atrium monumental nommé Potomac en référence au nom de la célèbre rivière. Dans le hall, les visiteurs peuvent reconnaître les drapeaux des 574 tribus officiellement reconnues au niveau fédéral.ajoute-t-il.
Le bâtiment abrite entre ses murs une collection époustouflante : figurines et masques exceptionnels, splendides jarres et paniers, costumes et objets rituels précieux. Les richesses du musée n’ont d’équivalent nulle part ailleurs dans le monde. Il faut dire que le fonds abrite plus de 800 000 objets traditionnels et 125 000 photographies.
Seule une infime partie – soit 8 000 objets – peut être exposée simultanément» soulève M. Zotigh. Mais au-delà des artefacts, l’institution est aussi l’occasion d’ouvrir une fenêtre sur nos expériences.
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Tous les drapeaux des Premières Nations reconnues par le gouvernement fédéral sont présents dans le hall du musée.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Les pièces phares du musée ont été pour la plupart rassemblées au XIXe siècle par George Gustav Heye, un riche banquier new-yorkais. Ces dernières années, la direction de l’Institution a accordé une attention particulière au rapatriement des biens culturels indigènes, en appliquant les nouvelles réglementations américaines dans le cadre de la Loi sur la protection des tombes amérindiennes et le rapatriementassure le conseiller culturel.
Conservateurs et experts travaillent dur pour identifier précisément les origines des objets. Il n’est pas toujours facile de savoir à quelle Première Nation appartient tel ou tel artefact, mais quand on le sait, on applique les règles de retour» a-t-il déclaré, citant le cas récent de perles sacrées mi’kmaq qui seront bientôt rapatriées dans la communauté de Membertou, en Nouvelle-Écosse.
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La Piste des larmes est expliquée du point de vue des peuples autochtones qui ont été expulsés de force ordonnés par le gouvernement américain.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
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La collection indigène du musée est l’une des plus riches au monde.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
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La période tragique des pensionnats pour autochtones est également présente dans les salles du musée.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
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Les salles du musée abordent de nombreux thèmes, comme les traités signés entre les autorités américaines et les nations autochtones.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
La Piste des larmes est expliquée du point de vue des peuples autochtones qui ont été expulsés de force ordonnés par le gouvernement américain.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
La Piste des larmes est expliquée du point de vue des peuples autochtones qui ont été expulsés de force ordonnés par le gouvernement américain.
Photo: Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Album photo : sujet Isma 01
Sentier des larmes et non-respect des traités
Le musée s’étend sur quatre étages gigantesques proposant des visites variées, dont une section entière qui retrace les conséquences tragiques de la mise en place par le gouvernement américain de Sentier des larmes (Trail of Tears), ces mouvements forcés vers l’ouest des Premières Nations Cherokee, Muscogee (Creek), Chickasaw, Seminole et Choctaw.
Ces exilés brutaux ont fait des milliers de morts autochtones. Des tribus entières furent presque anéanties. Ces histoires ne doivent pas être oubliées.
Un autre étage est exclusivement dédié aux traités signés par les États-Unis et les nations autochtones. L’exposition incontournable De nation à nation met ainsi en valeur des documents originaux et des récits d’époque. Elle explique comment ces traités, souvent violés par les États-Unis, ont joué un rôle central dans les relations entre les communautés et le gouvernement fédéral.
L’exposition offre une perspective critique sur les promesses non tenues et les luttes pour la souveraineté qui se poursuivent aujourd’hui.lâche M. Zotigh, son regard brillant fixé droit vers le Capitole.