Le télétravail sera moins écologique que prévu

Dans ses jolis graphismes, le Secrétariat général à l’aménagement écologique (SGPE) est très clair : le développement du télétravail (TT) devrait permettre d’éviter l’émission de 3 millions de tonnes de CO2 par année. Soit près de 1% des émissions intérieures nationales. Est-ce réaliste ? C’est la question que l’Ademe a posée à une équipe de chercheurs, coordonnée par Yves Crozet, professeur émérite à Sciences Po Lyon.

Lors d’un séminaire, organisé le 12 septembre par le Citepa (Centre technique interprofessionnel d’études sur la pollution atmosphérique), l’ancien directeur du laboratoire d’économie des transports (LAET) a présenté les résultats préliminaires de l’étude. Commençons par rappeler les bases du problème : en France, les déplacements domicile-travail émettent environ 17 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an, soit l’équivalent de 4 kilogrammes de dioxyde de carbone par aller-retour et par salarié.

Pas encore officiellement publiée, la troisième stratégie nationale bas carbone (SNBC 3) prévoit de réduire ces émissions carbone à 10 Mt d’ici 2030. D’où le recours au télétravail, pratique censée réduire de trois quarts les émissions carbone des déplacements. professionnels salariés.

Les chercheurs ont pris pour « terrain » les agglomérations de Dijon (21), La Rochelle (17), Lyon (69) et Le Creusot (71) : quatre communes de tailles différentes et au dynamisme économique et démographique différent. Avec, aussi, des parts modales spécifiques dans les déplacements. Les salariés du Creuzot, ancienne cité sidérurgique bourguignonne, utilisent leur voiture pour satisfaire 82 % de leurs déplacements professionnels, faute de transports en commun suffisants, contre 51 % pour les Lyonnais.

Au mieux, un tiers de l’objectif visé

Plusieurs scénarios ont été testés, faisant à chaque fois intervenir plusieurs variables : nombre de jours de télétravail pris par semaine (un à cinq), catégories socioprofessionnelles (les cadres bénéficient beaucoup plus du télétravail que les professions intermédiaires ou les ouvriers), scénarios de relocalisation périurbaine, répartition des véhicules circulant dans chaque agglomération (par facteur d’émission Crit’Air et motorisation), types de réseaux routiers, répartition du trafic par ville et zone.

Pour le climat, les résultats sont décevants.

« Dans le meilleur des cas, on peut espérer que le télétravail réduira les émissions imputables aux déplacements professionnels de 5 à 2 %, soit une économie de 850 000 à 340 000 tonnes de CO.2 par année. Ce qui représente entre un tiers et un peu moins de 10 % de ce qui est espéré par le SGPE », estime Yves Crozet.

Les calculs du SGPE ne prennent pas en compte l’impossibilité pour de nombreux salariés de télétravailler

Comment expliquer de tels écarts avec les attentes des pouvoirs publics ? La réponse de l’économiste explose : « Le SGPE n’a pas d’experts, juste des tableurs. » Ses équipes n’ont pas pris en compte l’impossibilité de nombreux salariés de télétravailler. Moins de 0,5 % des travailleurs peuvent le faire !

Il est également difficile de travailler à domicile lorsque le domicile est situé dans une zone où le débit Internet reste faible. C’est encore le cas de millions de travailleurs vivant dans les zones périurbaines ou rurales. Pas d’intégration non plus, dans la réflexion des SGPE, des effets rebond du télétravail : augmentation de la consommation énergétique à domicile, allocation des gains de pouvoir d’achat vers les produits énergivores. Sans parler des déplacements supplémentaires en voiture pour faire des courses, aller à la salle de sport à midi ou déposer les enfants à l’école.

Grands bénéficiaires du « TT », les cadres n’ont pas forcément un comportement très proclimat lorsqu’ils travaillent hors des murs de leur bureau.

« Ils se déplacent souvent en voiture pendant leurs journées de télétravail, car ils ont parfois plusieurs postes de travail. Et leur voiture a souvent une grosse cylindrée. La flexibilité de leur organisation du travail leur permet, plus facilement que les autres catégories socioprofessionnelles, de s’installer dans les zones périurbaines. Ce qui au final augmente le kilométrage parcouru”confirms Yves Crozet.

En fin de compte, l’électrification des flottes reste la solution la plus efficace pour réduire les émissions de carbone générées par les déplacements domicile-travail. Mais avec la baisse du soutien public à l’achat, les ventes de voitures électriques stagnent. L’objectif fixé dans les tableurs du SGPE s’avère plus que jamais difficile à atteindre.

 
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