le jour où le sculpteur a poursuivi le gouvernement américain en justice

Constantin Brancusi, « Autoportrait en atelier » (c. 1933-1934). © Succession Brancusi – droits réservés Adagp, Paris 2024 Crédit photographique : Centre Pompidou, Mnam-Cci/Dist. RMN-Gp.

L’Oiseau de Brancusi : une sculpture emblématique qui a marqué l’histoire

Devant un mur rouge au dernier étage du Centre Pompidouauquel ce printemps consacre une grande rétrospective à l’artiste Constantin Brancusi (1876-1957), une fine sculpture dorée s’élève vers le ciel, maintenue au sol par une superposition de trois bases cruciformes en marbre. Créée en 1941, cette œuvre est l’une des dernières versions que le sculpteur a créées de son célèbre Oiseau dans l’espacedont il commence les premières variantes (28 en tout) du début des années 1910 – au grand dam de nombre de ses contemporains, qui les comparaient à de simples pièces de métal.

Si le travail de Brancusi Apprécié par ses contemporains européens au début des années 1920, il ne fait néanmoins pas l’unanimité aux Etats-Unis. Exposé dans quelques galeries new-yorkaises, l’artiste d’origine roumaine quitte ainsi très rarement la capitale française du sol américain. Cependant, en novembre 1926, l’artiste décide de voyager pour une exposition au Galerie Brummer à New York. Au total, 44 de ses sculptures ont été transportées sur le continent – ​​dont sa célèbre Oiseau dans l’espace bronze qui, lors de son passage en douane, est qualifié d’« objet industriel » et donc soumis à la taxe à l’importation – une taxe dont les œuvres d’art sont habituellement exonérées.

De Paris à New York : quand l’œuvre devient objet métallique

Ni une, ni deux, Brancusi et Édouard Steichen (propriétaire de la sculpture, grand collectionneur et ami de l’artiste) s’est opposé à la décision et a décidé de porter plainte… contre le gouvernement Américain. Entre douaniers et témoins du juge du dossier, tous décrivent l’œuvre du sculpteur franco-roumain une simple « pièce de métal », estimant qu’elle ne représente en aucun cas un oiseau, et qu’elle ne serait qu’un prétexte pour son collectionneur. À leurs yeux, ces dernières bénéficieraient de la qualification « d’œuvre d’art » pour importer aux Etats-Unis métal en quantité, et Ainsi échapper à l’impôt. face aux sculptures imposantes œuvres abstraites de Brancusi, qui combinent souvent plusieurs matériaux et formes diverses sur un même socle, les autorités américaines sont catégoriques : il ne s’agit pas d’art, mais plutôt de subterfuge. Et ce malgré les nombreuses questions des témoins et des spécialistes, affirmant que L’oiseau représente le vol d’un oiseau.


Constantin Brancusi, « L’oiseau dans l’espace » (1941). © Succession Brancusi – Tous droits réservés Adagp, Paris 2024 Crédit photographique : Centre Pompidou, Mnam-Cci/Dist. RMN-Gp.

Un procès historique contre le gouvernement américain

De la condamnation en novembre 1926 à la décision définitive des tribunaux en novembre 1928, le scandale de L’oiseau dans l’espace de Brancusi a fait une tournée aux États-Unis (et en Europe) et a alimenté autant de débats dans la presse que dans le monde de l’art. Si beaucoup sont indignés par la décision duartiste pour continuer le gouvernement, ses principaux détracteurs s’attaquent principalement à son œuvre. Alors le Américain new-yorkais il titre en mars 1927 : «Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de l’art», comparant la sculpture à «un parapluie fermé» et à un «signe de coiffeur». Comme beaucoup d’autres critiques de l’époque, ces journalistes considéraient l’art de Brancusi comme “insignifiant», car les formes de ses œuvres ne renvoient, selon eux, à aucune représentation concrète.

Plus qu’un débat sur l’œuvre de l’artiste, la controverse concerne en réalité, de manière beaucoup plus large, le statut de l’artiste.art moderne, de l’opinion publique aux plus hautes sphères du pouvoir. En s’attaquant à de telles institutions, Brancusi pointe le rôle de l’État dans le développement de l’art et de ses avant-gardes aux États-Unis. Parce que si c’est législations considéré à l’époque qu’une œuvre doit représenter son sujet “dans leurs vraies proportions de longueur, de largeur et d’épaisseur”Il est également peu probable que de nombreuses œuvres créées en même temps passent le test. douane… Un argument qu’Edward Steichen avance dans les pages du quotidien Sentinelle des nouvelles de Knoxville : “Si l’on se réfère à la définition de l’art de gouverner, L’oiseau n’est pas une œuvre. Mais aucune des statues de Michel-Ange ne l’est plus ! […] Personne ne s’attend à ce que la musique soit littérale. Pourquoi l’art devrait-il l’être ? […] Alors, l’art abstrait et moderne est-il interdit dans ce pays ? Devrions-nous décorer nos maisons avec des pieds parce qu’ils représentent l’idée de l’art parfait du gouvernement ?»

Une résolution et une révolution en faveur de l’art moderne

De gros titres en débats, en interrogatoires de témoins au procès, l’affaire a finalement abouti, deux ans plus tard, à une décision en faveur de Brancusi et Steichen : L’oiseau dans l’espace ne sera soumise à aucune taxe à l’importation, et est enfin reconnue comme œuvre d’art. Plus qu’une victoire pour l’artiste, cette résolution est avant tout un tournant pour la liberté artistique et l’expression créative. L’art n’est plus conditionné par sa simple capacité figurative, ni par l’avis tranché des douaniers. Cette décision historique ouvre la voie aux artistes visuels des générations futures, comme les Britanniques. Simon Starling qui tentera, en 2003, d’importer une tôle d’acier de deux tonnes aux Etats-Unis afin de tester la réaction des agents fédéraux. L’œuvre traversera les frontières sans problème, et rejoindra enfin les collections du Musée d’art contemporain, Chicagosous le titre de Oiseau dans l’espace. Un hommage explicite à la bataille juridique acharnée de son frère aîné.

Brancusi, exposition jusqu’au 1er juillet 2024 à Centre PompidouParis 4ème.

 
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