Encre bleue du 26 avril

Un parc arboré entourant l’école du quartier. Dans l’herbe innocente, un enfant sculpté tient dans ses mains un mouton. Le jeune garçon a perdu la moitié de son nez et la moitié animale de son oreille. Inséparables, ils espèrent depuis des années l’intervention d’un tailleur de pierre, formé à la chirurgie reconstructive.

L’œuvre est signée Luc Jaggi, sculpteur décédé il y a cinquante ans, qui avait étudié l’architecture à l’École des arts et métiers de Genève, avant d’ouvrir son atelier à Servette, puis d’honorer de nombreuses commandes officielles pour embellir les parcs et promenades de sa ville natale.

Le célèbre taureau situé sous le musée d’histoire naturelle de Malagnou est le sien. Il a été taillé dans un bloc de granit de 10 tonnes, avant d’être installé à l’entrée des abattoirs de la Praille, à l’emplacement actuel de l’actuel stade de Genève.

Le célèbre bovidé a eu plus de chance que « L’Enfant et le mouton ». Lui aussi a perdu un de ses appendices, négocié avec les masses par un torero en colère, au cours d’une nuit de corrida sans aficionados qui s’est soldée par une plainte contre un inconnu.

Le trophée volé a été refait à l’identique. La bête cornue a retrouvé l’usage de ses deux oreilles. Sur la rive opposée, le nez juvénile continue d’être incapable de se moucher. C’est douloureux à voir dans son expression défigurée.

Ce vandalisme des extrémités rappelle l’entreprise purificatrice d’un déséquilibré de 28 ans, convaincu que le mal résidait dans ces mêmes appendices, sièges de toutes les impuretés. A son actif, près de 80 sculptures vandalisées et une ardoise valant plus de 150 000 francs, selon même des spécialistes de la conservation du patrimoine. Arrêté en 2015, sa fulgurante carrière s’est terminée dans le secret médical d’un internement ordonné par la justice dans l’intérêt de tous. Le jeune berger l’a sans doute croisé. Il est toujours en attente de réparation.

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