Quand le cannabis finance les fruits et l’allaitement

Quand le cannabis finance les fruits et l’allaitement
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Saviez-vous que les profits du cannabis ont financé le Mouvement québécois pour l’allaitement maternel ? Ou l’Association québécoise de distribution de fruits et légumes? Ou même Équiterre ?


Publié à 1h02

Mis à jour à 5h37

J’ai compris que l’argent de pot vendus par l’État devaient être utilisés pour soutenir la recherche et le traitement de la dépendance au cannabis et à diverses substances, comme l’indique la loi. Ce Loi sur le cannabis est celle qui a donné naissance à la Société québécoise du cannabis (SQDC) en 2018.

Mais ce n’est pas ce qui ressort du rapport récemment déposé à l’Assemblée nationale par le ministre Lionel Carmant, responsable du Fonds de prévention et de recherche sur le cannabis (FPRMC).1.

En examinant le document, on constate même que près de 60% des 115 millions déboursés par le Fonds l’année dernière ont été utilisés pour autre chose que la recherche sur le cannabis ou le traitement des dépendances à diverses drogues, dont l’alcool et le tabac.

En plus du Mouvement québécois pour l’allaitement maternel, l’argent du cannabis est versé à des organismes comme Vivre en ville, l’Association québécoise de la garde scolaire, les Ateliers Five Spice ou le Service de référence périnatale pour femmes immigrantes.

Je sais, vous me direz que ce sont de bonnes missions, qui incluent aussi la prévention du suicide (7,3 millions du FPRMC), la santé mentale des jeunes (23,8 millions) ou l’hébergement des sans-abri (15 millions), selon le document.

Je ne le nie pas. Et je comprends que les organismes communautaires soient ravis de cet argent compte tenu de leurs finances très serrées.

Mais ces missions s’écartent clairement de l’essence du Loi sur le cannabis. Selon la loi, « le fonds est affecté au financement : 1° d’activités et de programmes de surveillance et de recherche concernant les effets du cannabis sur l’état de santé de la population ; 2° les soins curatifs liés à l’usage du cannabis ; (3) des activités et des programmes visant à prévenir les méfaits causés par le cannabis et à promouvoir la santé. »

Au cabinet du ministre responsable, Lionel Carmant, on mise sur ces quatre mots, « promotion de la santé », pour élargir la portée de la loi, mais n’est-il pas excessif d’y injecter 60 % des fonds ? ?

Ce n’est pas tout. Avant la manne de ce fonds cannabis, le gouvernement avait déjà prévu d’investir dans ces missions à partir d’autres enveloppes, des montants qui ne sont plus là aujourd’hui. Bref, l’argent pot est parfois détourné, indirectement, vers d’autres besoins2.

C’est le cas de la santé mentale des jeunes, mais surtout de la Politique gouvernementale de prévention sanitaire (PGPS), adoptée en 2017, avant la légalisation du cannabis.

Dans cette politique, le gouvernement s’est engagé en 2017 à verser 20 millions par année au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à même ses fonds généraux. Cependant, maintenant que les bénéfices de pot abondent – ​​bien plus que prévu – c’est le fonds cannabis qui finance cette politique au MSSS.

Selon le document de reddition de comptes, précisément 19,8 millions du FPRMC ont été utilisés à cet effet, dont 12,4 millions pour financer des organismes externes comme Équiterre et le Mouvement Lactation. Souvent, ces organisations ne savent pas d’ailleurs qu’elles sont financées en partie par l’argent du cannabis, d’après ce qu’elles me disent.

“Pas tout”

Lucie Charlebois, l’ancienne ministre libérale qui a développé le Loi sur le cannabis – finalement adopté sous la CAQ – est catégorique.

« La Politique de Prévention Santé (PGPS) n’a rien à voir avec le fonds cannabis. Pas tout. J’avais travaillé sur cette politique, puis déposée à la CAQ. D’après ce que dit la loi sur le cannabis, les fonds destinés au cannabis étaient destinés au cannabis et aux addictions, pas à autre chose », m’explique-t-elle au téléphone.

L’ancien ministre, qui a alors mené de nombreuses consultations, en sait quelque chose. « Comme vous le savez, j’ai moi-même eu des problèmes d’alcool. Je m’en suis sorti. Mais je peux vous dire que beaucoup de gens ont besoin d’aide, plus que vous ne le pensez. C’est là que devrait aller l’argent », dit-elle.

Un exemple ? Pour suivre une thérapie avec des psychologues et des infirmières, les personnes dépendantes doivent verser de leur poche 5 200 $ à la Maison Jean Lapointe. Pas un centime ne vient du ministère de la Santé ou du fonds cannabis3.

A ce sujet, une question se pose : pourquoi écrire des lois, votées par les élus, si leur essence n’est pas respectée ?

Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval, constate en effet que « certaines dépenses dépassent les objectifs de la loi ».

Et alors ? « En théorie, on peut s’attaquer à ces dépenses et le financement serait annulé. Mais on voit mal qui aurait intérêt à le faire », explique-t-il.

Autrement dit, le gouvernement s’autorise à dépenser « au-delà du raisonnable et d’une interprétation pertinente de la loi constituante » compte tenu des bonnes causes de santé publique et de l’absence de contestation, m’explique M. Taillon.

Des chiffres qui se contredisent

Outre l’aspect juridique, le document soumis à l’Assemblée nationale en dit long sur la responsabilité approximative du Fonds.

En janvier dernier, le MSSS m’indiquait que le Fonds avait dépensé 110,5 millions au cours de l’exercice financier 2022-2023. Ce chiffre concorde avec les données des comptes publics, la bible financière du gouvernement.

Toutefois, le document de reporting soumis en avril à l’Assemblée nationale évalue les dépenses du Fonds à 115,1 millions pour la même année. Comment est-ce possible ? Il convient de noter que l’argent a déjà été dépensé il y a plus de 12 mois.

Autre incongruité : en janvier, le MSSS m’indiquait dans un tableau détaillé que le Fonds avait consacré 77,3 millions au volet qu’il appelle « promotion de la santé, prévention et réduction des méfaits ». Or, en avril, le chiffre proposé aux élus est passé à 67,9 millions dans le document de redevabilité.

Même genre de changement pour les « services préventifs et curatifs dépendance », dont les dépenses sont passées de 25,8 millions à 34 millions entre janvier et avril. Je le répète, les dépenses ont été engagées il y a plus de 12 mois.

Bref, la gestion du Fonds de prévention et de recherche sur le cannabis, bien que réglementée par la loi, est on ne peut plus fragile.

Et comme une grande partie des fonds est dispersée entre les sous-organismes du ministère de la Santé, impossible de savoir s’ils servent les missions ciblées.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a refusé de m’accorder une entrevue pour m’expliquer ces écarts dans la Caisse.

Comme expliqué plus haut, le ministre juge que la loi lui permet de dépenser pour la promotion de la santé. « Investir sur une multitude de fronts est le moyen le plus efficace de contribuer à une société globalement plus saine », m’a écrit son bureau.

1. Consultez le document du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec

2. Au cours de l’exercice financier 2022-2023, la SQDC a versé 233 millions au gouvernement en bénéfices, taxes d’accise et TVQ. Une grande partie finance le Fonds de prévention et de recherche sur le cannabis.

3. À l’exclusion des bénéficiaires de l’aide sociale.

 
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