Le fabricant de guillotines – SWI swissinfo.ch – .

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La guillotine zurichoise a été testée sur un mouton en 1836.

Illustration de Marco Heer

Johann Bücheler était un simple menuisier de Kloten. En 1836, le canton de Zurich lui commande la fabrication d’une guillotine. Sa vie n’a plus jamais été la même.

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26 avril 2024 – 10h00

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Dans son atelier de menuiserie, Johann Bücheler produit des chaises, des tables et autres meubles. Un beau jour, le Conseil de police du canton de Zurich lui confie une mission sensible : se rendre à Genève étudier la première guillotine sur le territoire suisse. Zurich, récemment gouvernée par des libéraux-radicaux, veut mettre fin aux spectacles effrayants de la décapitation manuelle. En effet, couper correctement une tête est une affaire délicate qui n’a pas toujours été une réussite par le passé. Il s’agira désormais d’infliger la mort de manière propre et méthodique, comme le permet une invention française : la guillotine. L’exécution mécanique au couperet a fait ses preuves depuis la Révolution françaiseLien externe et nous avons l’intention de l’appliquer bientôt également à Zurich.

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La Révolution française a répandu l’usage de la guillotine dans toute l’Europe.

Wikimédia

C’est pourquoi, le 28 janvier 1836, Johann Bücheler monte à bord d’une diligence à destination de Genève. Le Klotenois n’était cependant pas le premier choix des autorités : un charpentier nommé Danner avait été envoyé avant lui, mais il fut frappé d’une « telle neurasthénie » qu’il abandonna rapidement sa mission, comme le rapportent les archives. Danner ne voulait pas sacrifier sa « nature jusqu’alors joviale » à cette tâche ô combien délicate. Johann Bücheler ne partage pas ses sentiments. Il examine en détail la machine de mort de Genève, se fait expliquer son fonctionnement et mesure les pièces qui la composent avec l’aide d’assistants, avant de travailler avec eux pour reproduire la machine. Logé auHôtel Lion d’Orle « mécanicien » Bücheler mange bien, boit bien et verse de généreux pourboires à ses assistants.

Deux montants parallèles en chêne sont espacés de manière à permettre le mouvement de la lame vers le haut ou vers le bas. Une corde permet à Bücheler de faire fonctionner le mécanisme du couperet. Tout fonctionne, la machine est terminée au bout de six semaines : 3,93 m de haut, 74 cm de large et 2,12 m de profondeur. Les assistants démontèrent la guillotine, la stockèrent dans des caisses en bois et Bücheler la rapporta à Zurich.

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La guillotine de Lucerne.

MUSÉE DE LUZERN / photo: Theres Bütler

En mars 1836, les détenus réassemblèrent la machine à mort au Pénitencier d’Oetenbach. Le Conseil de Police suit le premier test avec beaucoup d’intérêt. Ce jour-là, le cobaye est un mouton. Le test est concluant : l’animal est décapité proprement, la machine prouve son efficacité. Pour son travail, Bücheler reçoit la somme de 160 francs. Y compris tous les salaires, honoraires, frais de matériel et de logement, la guillotine coûte au canton de Zurich 1555 francs. Compte tenu de ses dimensions, la machine à mort a été à nouveau démontée et placée dans des caisses, avant d’être stockée dans les combles de la prison zurichoise.

>>Vue d'une prison.
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La prison d’Oetenbach à Zurich. Photo de 1900.

Wikimédia

Bücheler propose sa machine au canton de Lucerne lorsque celui-ci envisage à son tour d’abandonner la décapitation manuelle à l’épée ou à la hache. En septembre 1836, l’artisan part pour Lucerne, emportant avec lui des caisses en bois apparemment anodines, et vend une nouvelle guillotine. Pour le tester, les Lucernois attachent un bélier à la planche à bascule. Le couperet tombe, mais « pas de la bonne manière », sans couper complètement la tête de l’animal. Deux artisans examinent alors la machine et déterminent que la rainure dans laquelle évolue le couteau ne doit pas être peinte, mais recouverte d’un mélange de « molybdène et savon » afin d’accélérer la chute de la lame. L’astuce fonctionne et Bücheler rentre à Zurich satisfait.

Une réputation ternie

Il n’a pas fallu longtemps pour que Johann Bücheler lui-même soit coupé dans son élan, la guillotine le faisant désormais injurier et comparé à un bourreau. À la recherche d’un emploi dans les ateliers mécaniques de l’entreprise Escher Wyss & Comp., il a été rejeté malgré son expérience. Aucun nouvel ordre ne lui est confié et il se retrouve mis au ban de la société comme l’étaient autrefois les bourreaux. Cette machine, écrit-il au Conseil de Police, l’aurait mis dans une « triste situation », et il ne trouverait « plus de pain » alors qu’il avait une femme et un enfant à nourrir. Le Conseil de Police le recommande pour un emploi au pénitencier, mais son directeur refuse au motif qu’il est inconcevable qu’un guillotinier devienne fonctionnaire. Le menuisier signe ses missives désespérées « Bücheler le malheureux ».

Malheureusement, cela reste ainsi puisque le vent tourne sur le plan politique après la Putsch de ZurichLien externe de 1839. Les conservateurs reprennent le pouvoir et font revivre les anciennes pratiques : les exécutions par guillotine sont interdites et les condamnations à mort sont à nouveau infligées d’un coup d’épée du bourreau. La machine de Bücheler reste donc stockée dans un coin sombre.

>>Gravure représentant une décapitation.
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En 1444, pendant la guerre de Zurich, 62 hommes furent décapités à Greifensee. Les autorités zurichoises sont revenues à ce mode d’exécution après le putsch de Zurich.

e-rara

Inquiet pour son avenir, Bücheler construit une nouvelle guillotine dans son atelier en 1840, mais elle ne mesure que 150 cm de haut et 60 cm de large : un modèle de démonstration entièrement fonctionnel. Cela lui permet de convaincre les cantons de Thurgovie et de Saint-Gall de faire appel à ses services. Entre-temps, il a présenté au public la version miniature de la machine, d’abord dans la rue reliant Zurich à Kloten, puis au restaurant. Abaisser, à Kloten. Il l’utilise ensuite pour décapiter les branches de céleri, ce qui ne manque jamais de soulager les badauds de quelques morceaux.

>Modèle de guillotine.
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Maquette de la guillotine de Lucerne.

MUSÉE DE LUZERN / photo: Theres Bütler

Mais la machine Bücheler grandeur nature finit par reprendre du service à Zurich, le contexte politique ayant à nouveau changé. Coupables de vol avec meurtre, Jakob Lattmann et Heinrich Sennhauser doivent être exécutés. La guillotine est déballée, assemblée et entretenue. La hache tomba deux fois le 15 juillet 1845. Bücheler avait certes proposé de faire fonctionner sa machine, mais les bourreaux professionnels de Rheinfelden et de Genève furent préférés. Le charpentier assiste donc à l’exécution au milieu de la foule ce jour-là.

On sait peu de choses sur le reste de la vie de Johann Bücheler. Il s’installe à Bâle-Campagne puis, selon les rumeurs de Kloten, se rend en France. Quoi qu’il en soit, sa famille est tombée dans la pauvreté. C’est la triste conclusion d’une histoire bien malheureuse.

A propos de l’auteur

Michael van Orsouw est docteur en histoire, poète et écrivain. Il publie régulièrement des ouvrages historiques.

L’article original sur le blog du Musée national suisseLien externe

 
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