L’hypothèque islamique, un érouv financier

L’hypothèque islamique, un érouv financier
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En Islam, les intérêts usuraires sont interdits et, pour certains, même les intérêts réguliers le sont. L’hypothèque islamique consiste donc à structurer une transaction immobilière de manière à les faire disparaître. Mais méfiez-vous ! Personne ne fait de cadeaux. Les banquiers, même islamiques, recherchent le profit. Ils lui donnent juste un autre nom.

A la base de l’hypothèque islamique, c’est le financier qui achète la maison désirée, puis la cède à l’acheteur musulman. Dans les transactions de type Mourabaha, la plus courante, la maison est revendue plus cher à l’acheteur, qui rembourse alors le capital et le « bénéfice ». Dans les transactions Ijarale financier loue la maison à l’acheteur jusqu’à ce que le capital et les « frais » de location soient remboursés.

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans tout cela. Intérêts, bénéfices, coûts, c’est fondamentalement la même chose. Mais cela conduit à des résultats très différents.

Premièrement, parce qu’il y a deux transactions au lieu d’une, les frais de notaire sont beaucoup plus élevés, explique Mohamad Sawwaf, fondateur de Manzil, qui offre ces prêts hypothécaires au Canada. Ensuite, parce que le financier achète une maison dans laquelle il n’habite pas et la revend avec profit, il paie de l’impôt sur la plus-value générée. Finalement, en raison de cette structure alambiquée, l’acheteur musulman n’est pas admissible à l’assurance de la SCHL. Il doit donc verser un acompte de 20%. Il n’a pas non plus droit à divers crédits d’impôt, dont celui d’Ottawa pour l’achat d’une première maison.

De plus, les banquiers proposant ce produit ont accès à moins de capital et sont exposés à plus de risques. Résultat : les prêts hypothécaires islamiques coûtent entre 3 et 4 % de plus que les prêts hypothécaires conventionnels, calcule Walid Hejazi, professeur à l’Université de Toronto qui enseigne la finance islamique. Ottawa étudie donc la possibilité d’adapter les règles pour que ces prêts hypothécaires soient traités comme les autres.

Finance islamique

La question se pose : est-il de la responsabilité de l’État d’offrir aux croyants les outils pour se soustraire aux obligations qu’ils s’imposent ? Cela n’est pas sans rappeler l’érouv, ce fil suspendu dans les rues à quelques mètres du sol. Il est interdit aux Juifs orthodoxes de transporter quoi que ce soit à l’extérieur de la maison le jour du sabbat. L’érouv étend symboliquement le domaine privé et leur permet de contourner leurs propres règles. Les tribunaux ont donné raison à ce fil qu’Outremont voulait interdire au nom de la cohésion sociale. La problématique ici est du même ordre.

Bien entendu, les hypothèques islamiques n’établissent pas une forme d’inégalité en matière bancaire comme l’auraient fait les arbitrages islamiques en matière de droit de la famille. Mais ils créent un espace financier distinct encourageant les musulmans à s’y enfermer. Comme le souligne Nadia El-Mabrouk du Rassemblement pour la laïcité, ces hypothèques auront le même effet que les salles de prière dans les écoles ou la prolifération des aliments halal : faire pression sur les musulmans pour qu’ils s’y conforment. Tout cela « est susceptible de renforcer l’influence communautaire et, en fin de compte, ne profite qu’à un islam de plus en plus fondamentaliste ».

Le professeur Hejazi rejette cet argument. “Quand j’achète une maison, personne ne sait comment je l’ai financée.” Il compare les prêts hypothécaires islamiques au shawarma au poulet halal : même les non-musulmans peuvent en manger s’ils l’aiment. Toutefois, ces produits financiers doivent obtenir l’approbation d’un érudit religieux, consignée dans une fatwa. Ils confirment la mainmise religieuse sur le portefeuille.

Zuhair Naqvi, le fondateur d’Eqraz qui propose également ces prêts hypothécaires, estime le marché à 330 milliards de dollars. Il calcule qu’environ un tiers des 1,7 millions de musulmans du Canada sont très pieux et susceptibles d’être intéressés.

La finance islamique est un véritable phénomène. Cela affecte le crédit, les assurances, les investissements. Il est enseigné dans les universités. La Grande-Bretagne compte plusieurs banques 100 % islamiques. Les experts considèrent le Canada comme la prochaine plaque tournante. Il existe des visas et des cartes Mastercard islamiques et même des indices boursiers. Depuis 2007, Standard & Poor’s a sa version halal : la S&P Sharia. Y sont répertoriées des entreprises qui n’exercent pas d’activités dans des secteurs interdits par la foi musulmane (alcool, jeux de hasard, pornographie). Écoutez bien et on vous dira que ce n’est pas différent des fonds d’investissement « verts » ou « éthiques ». De plus, le S&P a aussi sa version catholique.

Certains mettent cette industrie à l’épreuve, comme le professeur Timur Kuran de la prestigieuse Duke University. “Mon livre L’Islam et Mammon est en effet très critique à l’égard des produits financiers islamiques car ils ne se distinguent des produits bancaires classiques que symboliquement, nous écrit-il. En ce sens, ils constituent une tromperie. J’ai également démontré que les cartes de crédit islamiques sont frauduleuses. Elles fonctionnent comme des cartes ordinaires.

Marcher sur des œufs

À Ottawa, le gouvernement se dit invité à aller de l’avant, notamment par les députés Sameer Zuberi de Montréal et Omar Alghabra de Toronto. Les libéraux marchent sur des œufs, sachant que le Bloc veut utiliser ce sujet à des fins électorales. Yves-François Blanchet a été le premier à dénoncer « la volonté d’appliquer la charia » qu’il attribue à une « minorité beaucoup plus radicale ».

Les autres partis, effrayés, gardent le silence. Le Parti conservateur refuse de commenter, même si, en coulisses, on connaît des députés québécois indignés. Le NPD s’engage seulement à dire hors des micros que cela ne lui pose aucun problème puisqu’il existe déjà. Voilà un autre exemple de la faible influence qu’ont les députations québécoises sur les positions prises par leurs partis respectifs.

On parle beaucoup ces jours-ci d’ingérence étrangère. On déplore que les diasporas soient victimes d’États autocratiques cherchant à étendre leur zone d’influence au-delà de leurs frontières. C’est un peu de cela dont nous parlons ici : une religion qui s’organise pour que ses fidèles se comportent en bons musulmans pratiquants où qu’ils soient. Le Canada est fier d’être une terre accueillante. Mais être refuge, c’est aussi offrir une zone neutre où chacun a la liberté d’échapper aux diktats de sa communauté d’origine. Ce n’est pas en reproduisant ici ce qui se fait ailleurs qu’on réussira.

 
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