Ces musulmans qui choisissent de quitter la

Ces musulmans qui choisissent de quitter la
Descriptive text here

Lorsqu’il vivait en , Redouane se souvient avoir ressenti un sentiment « un profond malaise ». Aujourd’hui basé au Maroc, l’homme de 33 ans, directeur commercial dans une multinationale européenne, revient sur son adolescence passée près de Tourcoing, dans le Nord, et sur ce qui lui pesait alors. Contrôles d’identité par la police, « plus fréquent pour (lui) seulement pour ses amis non typés », “être suivi par des agents de sécurité dans les magasins”, ou l’impression que certaines personnes étaient « sur la défensive », dès qu’il les approcha.

“Ce n’est pas vraiment du racisme explicite” Formule Redouane. Plutôt un malaise, dans le comportement des autres, qu’il relie à ses origines maghrébines. Son malaise était renforcé par l’effervescence médiatique et politique récurrente autour de l’islam, qui l’affectait profondément. A tel point qu’en 2018, saisissant une opportunité professionnelle, il s’installe en Espagne, avant de s’installer au Maroc.

Comme lui, un certain nombre de Français de confession musulmane ont quitté la France pour échapper aux discriminations. Si des chiffres précis sont difficiles à obtenir en l’absence de statistiques, les chercheurs Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin examinent l’évolution de la situation. Vous aimez la France mais vous la quittez. Enquête sur la diaspora musulmane française, publiés vendredi 26 avril (1), ils s’appuient sur un questionnaire complété par 1 070 personnes et sur des entretiens menés auprès de 139 d’entre elles. Ils montrent que contrairement aux « expatriés » classiques, ces Français musulmans fuient une expérience négative de la France, citant le racisme et les discriminations comme raison première de leur départ (71 %), puis la difficulté de « vivre paisiblement leur religion en France » (64%).

Cette diaspora très instruite – 54 % d’entre elles ont au moins un baccalauréat + 5 – s’installe d’abord « Les démocraties anglophones (Royaume- ou Canada) où la tolérance multiculturelle est de mise, mentionner les auteurs. Mais aussi dans les pays économiquement dynamiques et majoritairement musulmans du Golfe Persique (Émirats arabes unis), dans les pays d’origine des parents (Maghreb, Turquie) et, dans une moindre mesure, dans les pays limitrophes de la France.

“Est-ce parce que je m’appelle Mohammed?” »

Qu’ont-ils enduré pour partir ainsi ? Dans les récits de ces jeunes travailleurs, qui ont souvent connu une promotion sociale par rapport à leurs parents, les expériences de discrimination à l’emploi prennent souvent le pas. Mohammed, étudiant au doctorat à Montréal, en a pris particulièrement conscience le jour où, alors qu’il était à l’université, une organisation a demandé un stagiaire à son professeur. Elle lui a demandé de postuler, ce qu’il a fait. « Le lendemain, j’ai reçu un refus, sans aucune explication, alors que la demande venait d’eux. » Mohammed est alors envahi par le doute. « C’est rarement du racisme ou de la discrimination qu’on vous crache au visage. C’est toujours insidieux, ça rend paranoïaque à chaque fois que quelque chose ne va pas. Nous nous demanderons : est-ce parce que je m’appelle Mohammed ou à cause de mes compétences ? »

Pour les femmes voilées, les obstacles dans le monde du travail sont d’autant plus évidents. A Montbéliard, Maroua, 26 ans, en était bien consciente lorsqu’elle a décidé de porter le foulard à 17 ans : « Je suis une femme, maghrébine, issue d’un milieu populaire, musulmane, et maintenant je porte le foulard. Je dois donc exceller, elle pensait. J’ai toujours été une bonne élève, mais je dois faire encore plus, je dois me rendre indispensable pour que personne ne puisse jamais me dire : « Non, tu ne peux pas parce que tu portes le foulard ». »

Mais depuis, et malgré ses très bonnes notes, Maroua accumule les micro-agressions, allant des insultes dans la rue aux remarques de ses professeurs. Comme cette fois où la doyenne de sa faculté disait devant toute la classe, alors qu’elle expliquait les raisons du port du voile, que “Ça l’énervait de voir des femmes voilées à l’université.” Ou qu’un professeur de sport lui ait parlé au micro, devant tout le monde, avant de commencer la séance, pour lui dire : “Toi là-bas, enlève ce que tu as sur la tête, sinon on ne peut pas commencer les cours.” » Arrivée en M2, Maroua ne reçoit aucune réponse à ses demandes de stage. Elle décide alors de partir au Canada où, quatre ans plus tard, elle occupe un poste dans la municipalité de Montréal.

« Je sais que certaines personnes parviennent à l’ignorer. Mais je ne peux pas le faire.

Surtout, ces nouveaux expatriés expriment tous un sentiment d’étouffement face à la manière dont l’islam est abordé dans le débat public, et une forme d’épuisement à se sentir montré du doigt. Mohammed a été particulièrement marqué par le fait qu’en 2015, après les attentats de Charlie Hebdoun leader politique est venu à la mosquée le jour de l’Aïd : « Il nous parlait de terrorisme ! il insiste. Pour nous, l’Aïd, c’est Noël, c’est festif. Et ils nous parlent du terrorisme comme si cela nous concernait plus que nos compatriotes français. » L’impression que, quels que soient les efforts déployés, ils seront toujours assignés à leur religion, amplifie la frustration : « J’ai étudié, je n’ai jamais eu de problèmes et pourtant je suis toujours dans le même panier » soupire Mohammed.

Redouane, de son côté, énumère toutes les polémiques qui l’ont marqué sur un ton de démesure. En 2012, Jean-François Copé parlait des enfants qui sont «leurs pains au chocolat arrachés par des voyous» pendant le Ramadan. En 2016, une polémique autour d’un café prétendument interdit aux femmes à Sevran (Seine-Saint-Denis) avait bouleversé les plateaux de télévision. “Ce sont des rumeurs, et même si c’est vrai, on généralise, on dit que ça arrive tout le temps, et que les musulmans en sont responsables.soupire Redouane. Je sais que certains parviennent à ignorer. Mais je ne peux pas le faire. »

Le jeune homme voyait dans ces discours semblant inclure tous ses coreligionnaires une forme de rejet. « L’idée que cela me renvoie, c’est que nous n’avons pas notre place ici. Si nous sommes montrés du doigt chaque jour, c’est parce que la France, dans son ensemble, ne veut pas que nous en restions là. »

Le départ est donc vécu comme un soulagement par ces nouveaux expatriés. En arrivant en Espagne, Redouane se sent “un poids en moins sur les épaules”. Mohammed, qui vit à Montréal – « avec des gens habillés de toutes les manières différentes, avec des cheveux de toutes les manières différentes » –, vante l’aspect multiculturel de sa nouvelle ville. Une diversité qu’il interprète comme un signe d’ouverture. Et vivre comme “une bouffée d’air frais”.

(1) Éd. du Seuil, 464 p., 23 €.

—-

Une diaspora plus instruite que le musulman moyen en France

L’enquête des chercheurs Julien Talpin, Olivier Esteves et Alice Picard sur les Français musulmans à l’étrangera été réalisée sur la base d’un questionnaire ayant suscité 1 070 réponses complètes.

Ça montre que 71% quittent la France « pour moins souffrir du racisme et des discriminations »64% pour « vivre sereinement leur religion ». La raison suivante, « pour progresser professionnellement »concerne 41% des répondants, tandis que “Vivre en terre d’Islam” arrive en 6ème position (23% de réponses).

Leurs trois premières destinations sont le Royaume-Uni (18 %), les Émirats arabes unis (16 %) et le Canada (11 %).

Plus de la moitié (54 %) ont un niveau master ou supérieur, ce qui est bien supérieur à la moyenne de leurs coreligionnaires.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV La raclette d’Aurélien Marie séduit les Roumains
NEXT Les Aigles de Médina officiellement sacrés champions du Sénégal