Les Fidjiens dans les Landes, une histoire de repères

Mais ne parlez pas du derby landais aux Fidjiens. « La dernière fois que j’ai vu Bola (Ilikena Bolakoro), se souvient Pierre Ley, nous avons eu une petite cérémonie. Ils étaient là avec Jope (Naseara) quand Dax était encore neuvième je crois, et il m’a dit pour me faire rire : « Attention papa, on va bientôt venir à Mont-de-Marsan ». » Et le volontaire du Stade Montois, repère landais des Fidjiens locaux depuis plus de vingt ans, pour participer à cette impossible rivalité : « J’ai dit à l’un des nôtres : « Tu sais, quand Jope viendra, ce sera ton ennemi. » Un effort inutile.


Le bénévole Pierre Ley a longtemps filmé les matchs au Stade Montois.

Thibault Toulemonde/ « SUD-OUEST »

Ce vendredi 26 avril, le Stade Montois accueille Dax et la fracture départementale, déjà atténuée par le professionnalisme, n’aura pas sa place au sein de la communauté fidjienne. Ramotabua, Wakaya, Lagivala, Sau en jaune et noir, Naseara, Ratu et Bolakoro en rouge et blanc, l’adversité ne durera que 80 minutes et se déroulera dans le respect. Où autrefois le plus illustre des Fidjiens faisait étalage de son talent.

Les éclaireurs

Waisale Serevi, « dieu vivant aux Fidji » et génie septiste, est arrivé lors de la saison 1998-1999 à la préfecture. Il quitte le Stade en 2003, mais sa visite fait de la ville de Mons une référence, située à 17 000 kilomètres. « Le Sorcier », un de ses surnoms, alors imité par Satala et Delasau, créa un portail spatial entre les deux territoires. Depuis, de nombreux Fidjiens espèrent trouver « l’eldorado » dans un coin de France.


Waisale Serevi lors de ses débuts à Mons. Il était alors considéré comme le meilleur joueur de rugby à sept.

Archives SO

A Dax aussi, où se succèdent les Little, Soqeta, Delai, Radidi, Naqalevu, Bureitakiyaca…, encadrés par l’homologue dacquois de Pierre Ley, feu Claude Dufau. « Partout où il y a des Fidjiens, il y a un ou plusieurs Français, parfois des familles, qui se lient d’amitié avec eux. Ce sont des gens tellement attachants qui vous font comprendre qu’ils ont besoin de vous de façon tellement naturelle que vous leur apportez de l’aide », avoue le bénévole « Papa » de 69 ans.

Saula Radidi, à Dax de 2010 à 2012.


Saula Radidi, à Dax de 2010 à 2012.

Philippe Salvat/ « SO »

Le lien créé entre Pierre Ley et Waisale Serevi – entretenu en dernier lieu lors d’une visite de la légende fidjienne à son domicile, suivie d’une excursion à Biarritz où évoluait le Stade Montois – est unique. Il témoigne aussi d’une autre époque. «Maintenant, tous les clubs les prennent très très jeunes», estime Frédéric Urruty, l’entraîneur des 3/4 Mons. « Il y en a même en Top 14 qui ont créé des antennes sur place », précise le gérant Patrick Milhet, comme en témoigne l’académie Nadroga, développée en 2010 et in situ par l’ASM Clermont Auvergne.

« Ce sont des gens tellement attachants et ils vous font comprendre qu’ils ont besoin de vous de façon si naturelle que vous leur apportez de l’aide »

Face à la modernité

L’évolution des pratiques n’est pas unilatérale. Depuis 2022, la participation au Super Rugby de la franchise professionnelle Fijian Drua a permis aux rugbymen insulaires de tracer une autre voie. Un tracé alternatif, également conforme aux envies de modernité de la Fédération fidjienne et plus largement de ses licenciés. « Les Fidjiens d’aujourd’hui ne sont plus du tout les mêmes, ils ont évolué, et heureusement dans un sens », concède Pierre Ley. Ils sont comme nos propres jeunes et ils sont d’autant plus attachants mais comme le dit Serevi à propos de la discipline, des comportements sécuritaires et en dehors du terrain : « J’ai peut-être ouvert la porte, essayez de ne pas la fermer. » »

Cet écueil propre à la jeunesse est alimenté par le déracinement et l’absence de cadres. A l’heure où le rôle des agents, « quand il est bien entretenu », se substitue à celui autrefois et parfois « un peu oppressant » assumé par Pierre Ley, les jeunes Fidjiens, dans les Landes comme ailleurs, entretiennent ce besoin d’« un relais » . A Dax, Ilikena Bolakoro, trois-quarts centre de 36 ans, est un ready-made. L’ancien Biarrot n’est pas du genre à lâcher le jeune Jope Naseara (21 ans) et la tout aussi inexpérimentée Nacika « Junior » Ratu (29 ans), arrivés de Géorgie. «C’est mon intermédiaire», précise Jeff Dubois, gérant de l’US Dax. C’est pourquoi je veux qu’il soit ici l’année prochaine, qu’il rejoigne le club, même s’il se retire du sport. » Les mentors sont aussi rares que précieux, l’envol des futurs Flying Fijians dépend aussi d’eux.

Ilikena Bolakoro soutient l'ailier Jope Naseara avec ses jambes et sa voix dans sa course.


Ilikena Bolakoro soutient l’ailier Jope Naseara avec ses jambes et sa voix dans sa course.

Isabelle Louvier/ « SUD-OUEST »

Mêmes attitudes, cette fois à la manière de Nacika Ratu.


Mêmes attitudes, cette fois à la manière de Nacika Ratu.

Isabelle Louvier/ « SUD-OUEST »

Tradition et KFC

Les Fidjiens ne sont pas souvent divertissants, selon Pierre Ley, et les suites du derby landais ne devraient pas faire exception. La fin des jeux est souvent propice aux rencontres. « Ils se retrouvent toujours autour d’une voiture, coffre ouvert, ils parlent, rient. » Et les invités du soir divertissent. « Théoriquement, après le match, les joueurs de Mont-de-Marsan devraient offrir à manger à leurs compatriotes dacquois », explique le bénévole. Un petit rituel qui fera pâlir les préparateurs physiques : « le Fidjien qui reçoit paie le « bucket » (seau de morceaux de poulet) de KFC. »

 
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