rencontre avec les frères Quark, pionniers du gaz vert

Une légère odeur de fumier dans l’air, des vaches limousines dans l’étable, un tracteur sillonnant les champs de blé sous le soleil. À première vue, rien ne semble distinguer la ferme d’Arcy, à Chaumes-en-Brie, d’une autre exploitation agricole de Seine-et-Marne. Pourtant, au milieu de ce site de 380 hectares, impossible de manquer trois étonnantes cuves vertes. Une unité de méthanisation qui fait la fierté des propriétaires des lieux, les frères Quaak. Le énergique duo de quadragénaires vient de déverser de la bouse de vache, de la poussière de céréales et de la pulpe de betterave, issus de leurs activités d’élevage et de polyculture.

Au bout de 120 jours, la décomposition de cette matière organique produira naturellement du biogaz. Il ne restera alors plus qu’à le purifier et à l’odoriser, pour le transformer en biométhane prêt à être distribué aux 10 000 habitants des six communes voisines. Une énergie renouvelable et locale bien plus verte que le gaz naturel d’origine fossile. Elle est même soutenue par l’ONG environnementale WWF (World Wildlife Found) qui, avec GRDF, a défini de bonnes pratiques pour encadrer la production.

Le reste sous cette annonce

Le reste sous cette annonce

Les vaches limousines de la ferme Arcy. Simon Lambert/Divergence pour le capital

« À l’époque, personne ne voulait faire ce truc»

Si la France peut se vanter de posséder la filière de méthanisation la plus développée d’Europe avec 5 000 agriculteurs impliqués, c’est en partie grâce à ces deux frères, Mauritz et Jacques-Pierre. L’idée de se lancer leur est venue en 2008, après avoir découvert le procédé en Allemagne. Il existait alors quelques installations en France, mais dédiées uniquement à la production d’électricité. Ils voulaient injecter leur gaz dans le réseau. Cinq longues années se sont écoulées avant d’y parvenir.

Mauritz Quaak déverse ses déchets agricoles dans un bol mélangeur qui mélange et alimente toutes les heures le digesteur de l’unité de méthanisation. Simon Lambert/Divergence pour le capital

Le reste sous cette annonce

« C’était fou à l’époque, personne ne voulait faire ça. Il a fallu convaincre successivement le ministère de l’Environnement, l’Ademe, GRDF, la Direction générale de l’énergie et du climat, et la Commission de régulation de l’énergie, puis attendre les arrêtés nous autorisant à adhérer au réseau. le gaz, avant d’obtenir finalement un contrat reconnu par l’État », énumère Mauritz avec son flux de mitrailleuse. Ils ont également dû payer entièrement de leur poche 7 kilomètres de canalisations. Coût total du projet : 5 millions d’euros, financés à seulement 30% par des subventions.

L’unité de méthanisation de la ferme d’Arcy avec ses trois cuves. Simon Lambert/Divergence pour le capital

Un rachat à prix garanti pendant 15 ans

Un investissement colossal pour ces deux frères qui ont dû s’endetter pendant 12 ans, alors qu’ils venaient tout juste de succéder à leur père, décédé prématurément. Le jeune Mauritz, ingénieur agronome de formation, quitte le service marketing d’un industriel agricole pour retourner dans l’exploitation familiale. Diplômé en génie agricole, l’aîné Jacques-Pierre travaillait déjà à la ferme. « Nous avons pris de gros risques financiers. Je revois notre mère, pleine d’angoisse, se demandant si nous ne sapions pas le travail de trois générations sur cette terre. »se souvient Mauritz.

Le reste sous cette annonce

Le reste sous cette annonce

Heureusement, dès la première année, « la métha », comme on dit, rapporte 1,5 million d’euros, grâce à un système de prix de rachat garanti par GRDF, à 125 euros le MWh. De quoi doubler le chiffre d’affaires moyen de l’exploitation, qui varie selon les années et le prix des produits agricoles. Et même le sauver en 2016, ce qui fut catastrophique pour les récoltes. Sans compter les économies réalisées sur les engrais, grâce à la réutilisation du digestat produit par la méthanisation, cette matière organique liquide ou solide à épandre sur les sols et les plantes pour les fertiliser.

Mauritz Quaak devant les écrans de contrôle de toute l’installation de méthaniseur. Simon Lambert/Divergence pour le capital

Capter le CO2 et le revendre

Visiter la ferme d’Arcy, c’est comme explorer un petit laboratoire. Et si on passait à des tracteurs fonctionnant au bioCNG, un carburant issu du biogaz ? Pourquoi ne pas installer encore plus de panneaux solaires ? Pour l’instant, les Quaak se concentrent sur la fin de leur contrat à prix garanti avec GRDF, prévue pour 2028. A cette date, ils devront vendre leur biogaz au prix du marché, actuellement cinq fois inférieur à celui-ci. qu’ils reçoivent aujourd’hui. En outre, ils devraient pouvoir vendre des certificats d’énergie propre aux fournisseurs traditionnels contraints de verdir leurs activités. Un tarif de 90 euros le mégawattheure suffirait à maintenir la rentabilité de leur installation. « La méthanisation restera notre base mais il faut trouver d’autres briques autour, pour compléter les revenus »expliquent-ils à l’unisson.

Le reste sous cette annonce

Depuis plusieurs mois, leur ferme accueille également un prototype de l’équipementier Gazfio. Baptisé ZOE pour Zero Off-gas Emission, l’appareil récupère le CO2 qui s’échappe de leur méthaniseur. Une fois nettoyé et liquéfié, il pourrait être revendu pour nettoyer les vêtements, conserver les aliments au frais ou les boissons gazeuses. Non loin de là, ils achèvent l’installation d’un grand épurateur, capable de traiter les biodéchets, étape indispensable avant la méthanisation. Cela leur permettra d’économiser sur le tri de leurs propres cotisations, jusqu’à présent externalisées. Et de facturer ce service aux cantines et aux supermarchés, qui sont désormais tenus de recycler ces déchets.

Le démonstrateur ZOE de la société Gazfio. Simon Lambert/Divergence pour le capital

Le reste sous cette annonce

Le reste sous cette annonce

Leur promesse mutuelle : rester avant tout agriculteurs

Avant de partir recevoir une cargaison de marcs de raisin à tester dans son méthaniseur, Jacques-Pierre s’enthousiasme enfin pour le biochar, un charbon végétal obtenu en chauffant des déchets organiques à très haute température. Ce piège à CO2 leur permettrait de devenir carbone négatif, c’est-à-dire de séquestrer plus de dioxyde de carbone que l’exploitation n’en émet. Et d’encaisser de nouveaux revenus, en revendant ces quotas carbone aux constructeurs tenus de compenser leurs émissions.

Depuis sa visite chez un agriculteur italien qui commercialise avec succès son biochar sur le marché européen, Jacques-Pierre se dit que leur avenir se jouera peut-être là-bas. A condition de ne jamais trahir leur promesse mutuelle : rester avant tout agriculteurs. Ils ne risquent pas d’oublier : ce week-end, entre deux regards sur leur méthaniseur, ils devront veiller à la naissance des vaches.

Même s’ils ont fêté les dix ans de leur première injection l’été dernier, les frères restent très impliqués dans la filière biométhane qu’ils ont contribué à structurer. Jacques-Pierre est co-président de l’Association France Gaz Renouvelables et Mauritz est vice-président de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). Simon Lambert/Divergence pour le capital
Lire aussi :

Panneaux solaires : nos agriculteurs pourront devenir producteurs d’électricité, voici comment

Chaque jour, la sélection de informations principales du jour.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV le triplet des Stars champions de l’Indre
NEXT une enquête en cours, le passage à niveau reste fermé