A Montmartre, les amateurs de pétanque campent pour sauver leur terrain

Paris, rapport

Du haut d’un érable, un merle lance dans les airs ses notes flûtées. “ Bonjour Gariguette, montre-moi comment jouer à la pétanque ! » Debout sous le rayon de soleil qui éclabousse les lilas en fleurs, Cyril, 40 ans, attend son tour, un ballon à la main. Casquette verte sur ses boucles brunes, le restaurateur a l’air content mais ses traits sont tirés. La nuit du dimanche 21 avril au lundi 22 avril a été courte dans les locaux du Club Lepic Abesses Pétanque (Clap), avenue Junot à Paris. Depuis samedi, les quilleurs de Montmartre dorment à tour de rôle sur place, à la taverne ou dans l’une des dix petites tentes installées sur des palettes. “ Sylvie a apporté du porc et de la purée, nous avons discuté des règles de sécurité, que faire en cas d’intrusion. Nous avons parlé un peu. J’ai dû m’endormir vers 16h, à l’intérieur parce que j’ai trop froid »rigole Cyrille.

type="image/webp">>

“ Nous sommes l’un des derniers habitants de Montmartre, coincés entre deux bus touristiques », assure Ariane, 62 ans.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Le club de pétanque a été sommé par le Conseil d’Etat de quitter les lieux au plus tard samedi 20 avril, sous peine d’une astreinte de 500 euros par jour. La mairie souhaite récupérer le terrain pour en confier la gestion à l’Hôtel Particulier, l’établissement de luxe voisin. Ce dernier a obtenu une concession de la municipalité pour transformer l’ancienne taverne et le terrain agréé en un espace vert ouvert au public, avec possibilité de terrasse. Mais pour le Clap et ses 300 adhérents, dont la plupart habitent le quartier, pas question de quitter le “ maquis de Montmartre » 765 m2 qu’ils occupent depuis 1971.

Tout pour le tourisme

“ Cet endroit est un bastion avec des gens de toutes origines sociales, très très riches et très très pauvres, et un grand fossé générationnel. », se défend Cyril. A côté de lui, Sylvie, 59 ans, approuve : “ C’est un lien social. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont seuls. Il y a toujours quelqu’un ici. A Noël, nous avons organisé un grand repas avec des huîtres et du foie gras. Nous étions une vingtaine ! Nous avons refait le monde la moitié de la nuit. » Les membres du club protestent contre un projet qui, selon eux, favoriserait une nouvelle fois le tourisme au détriment des habitants. “ Nous sommes l’un des derniers habitants de Montmartre, coincés entre deux bus touristiques. Dans la rue des Abbesses, qui était extrêmement commerçante, il n’y a plus que des vendeurs de vêtements et de chaussures. Plus de poissonniers, plus de marchands de journaux »grogne Ariane, 62 ans, dont plus d’une quarantaine sur la butte.

type="image/webp">
>

Les quilleurs dorment à tour de rôle sur place, à la taverne ou dans l’une des dix petites tentes installées sur des palettes.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Dans la buvette, adossée à une vieille table en bois un peu collante – on y a avalé quelques sandwichs et petits verres de vin blanc –, elle dénonce “ soirées privées [organisées par l’Hôtel particulier] pour Gucci ou autres grandes marques, avec leur défilé de grosses voitures, de voituriers et de gens qui font du bruit jusqu’à minuit en terrasse ».

Ainsi, depuis que les membres du Clap ont découvert le projet dans les annonces légales du Parisien en septembre 2022, la riposte s’organise. En novembre, le club a déposé un dossier pour régulariser sa situation. “ La force de Clap, c’est qu’il y a de tout : des jardiniers, des ingénieurs du bâtiment, des avocats. Tout ce beau monde a travaillé dur pour réaliser un projet très professionnel. », précise Liogier, 50 ans, porte-parole du club. Hélas, le projet n’a pas été accepté par la mairie. Quatre recours, intentés par le club mais aussi des riverains, une association et des élus, ont été déposés. Une pétition a recueilli plus de 9 000 signatures.

La mairie convaincue par le projet de « renaturation »

Sans résultats. “ Depuis un an et demi, nous sommes confrontés au mur du silence à la mairie de Paris. Elle n’a jamais voulu nous voir, malgré nos nombreuses demandes de rencontres et de médiation. Nous sommes traités comme des squatteurs alors que nous sommes sur ce terrain depuis cinquante-trois ans. », s’enrage Maxime Liogier, porte-parole du Clap. Ce qui rappelle que ce lieu n’existerait plus sans les joueurs de pétanque. “ Dans les années 1980, la mairie souhaite raser le maquis pour y construire un parking de six étages. C’est la mobilisation du club et des riverains qui a permis de le sauver. » Un combat qui reste dans les annales du quartier, auquel ont pris part l’acteur et réalisateur Jacques Fabbri et Daniel Bangalter – père des Daft Punk Thomas Bangalter et lui-même parolier à succès. “ Le bal masqué » Ou DISQUEO. ».

type="image/webp">
>

“ C’est un fief avec des gens de tous horizons, très très riches et très très pauvres, et un grand fossé générationnel. », se défend Cyril.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Mais Jean-Philippe Daviaud, conseiller parisien chargé du commerce et de l’artisanat, se montre intraitable. “ L’occupation du terrain par ce club de pétanque était devenue illégale, faute d’accord avec la Ville de Paris. Ce n’est pas la faute du club, mais ce qui était possible en 1971 ne l’est plus aujourd’hui. »il explique à Reporterre. Selon lui, le projet d’hôtel particulier présente le double avantage de renaturer une grande partie du site et de l’ouvrir au public. “ Aujourd’hui, même si le Clap a développé quelques actions avec l’extérieur, seuls ses membres peuvent utiliser les terrains. Et bien que le lieu soit classé espace vert depuis une trentaine d’années, il est en grande partie occupé par des choses qui ne sont pas de la végétation : la buvette, les boulodromes. ».

type="image/webp">
>

“ La force de Clap, c’est qu’il y a de tout : jardiniers, ingénieurs du bâtiment, avocats », raconte Maxime.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Goûters et ateliers d’astronomie

A côté du maquis, Oscar Comtet, propriétaire de la Manoir depuis 2014, fait des allers-retours entre sa maison et son établissement de luxe. Devant l’élégante façade en pierre crème, une carte propose des plats raffinés dont de la sole rôtie et de la purée d’Île-de- pour 65 euros. Sur son site internet, une suite Prestige coûte 790 euros la nuit. “ Notre projet « Jardin Junot » consiste à réensauvager un site de 900 m2 en l’ouvrant au public et en maintenant la pétanque. L’objectif est d’en faire un véritable lieu de biodiversité avec des espèces régionales et un étang, pour ramener les oiseaux qui ont déserté le site. »explique le jeune homme à Reporterre. Une microferme avec des poules et des chèvres est également prévue.

Oscar Comtet, qui se présente comme paysagiste et apiculteur de formation, affirme réaliser ce projet pour des raisons avant tout écologiques. Il promet de sensibiliser les habitants à l’environnement à travers des collations pour les enfants, un marché de producteurs et des ateliers d’astronomie. “ Je pense que ce jardin peut indirectement augmenter de 30 % du nombre de places assises à l’heure du déjeuner. Mais c’est un projet qui ne sera rentable qu’après douze ans. J’envisage de réaliser moi-même une partie des travaux pour réduire le coût d’investissement, estimé entre 400 000 et 600 000 euros. »il calcule.

type="image/webp">
>

“ Notre projet consiste à réensauvagement un site de 900 m2pour en faire un véritable lieu de biodiversité », explique Oscar Comtet.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Concernant les soirées privées dans le jardin redoutées par les riverains, il affirme avoir “ indiqué noir sur blanc sur l’accord qu’ils n’iraient pas au-delà de 22 heures » et fustige qu’il soit ainsi “ Difficile de se battre à Paris pour protéger l’environnement ».

Un argumentaire bien rodé qui n’a pas convaincu France Nature Environnement (FNE) Paris. L’association a déposé l’un des recours contre l’accord. “ Nous sommes contre les opérations de du greenwashing, fustige son co-président Yves Contassot. M. Comtet veut absolument que cet endroit redevienne opérationnel. La meilleure preuve, c’est qu’il a déjà construit sa véranda et une partie de sa cuisine sans permis de construire dans une zone classée espace vert, ce qui est totalement interdit. »

“ C’est le contraire d’une ville conviviale qui résiste à la marchandisation. »

L’édile parisien Émile Meunier, écologiste, a également lancé un recours contre ce projet. “ L’hôtel particulier de luxe veut juste faire tomber la clôture pour disposer d’un immense terrain ouvert au public certes, mais surtout aux clients qui peuvent aller consommer chez lui, il blâme. C’est l’inverse de la ville que souhaitent les écologistes et même les socialistes. Une ville conviviale qui résiste à la marchandisation. »

Les écologistes plaident pour l’abandon du projet

L’élu dénonce les conditions dans lesquelles la convention a été votée au conseil de Paris. “ À l’époque, cela n’avait même pas été négocié. Les élus ont donc voté une sorte de chèque en blanc, sans connaître ni la durée ni le montant de l’accord. » Cette dernière prévoit une cotisation annuelle de 60 000 euros, un montant qu’Émile Meunier juge “ extrêmement faible ». “ Il n’y a aucun contrôle sur les activités commerciales, aucune redevance variable – ce qui est généralement le cas du plus petit kiosque à journaux – ce qui signifie que la Mansion empochera tout le surplus de chiffre d’affaires. »

Pour sortir de cette situation de blocage, l’élu recommande simplement d’abandonner le projet. “ La greffe n’a pas lieu, on annule l’accord et on repart avec un accord classique avec le Clap comme on le fait pour tous les terrains de pétanque de la ville de Paris, avec l’engagement que d’autres associations puissent avoir accès au terrain. » Pour préserver ainsi, comme le dit l’acteur de longue date de Montmartre Pierre Richard, les derniers “ petite île poétique » de Paris.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Les objets encombrants sont récupérés lors de l’inscription en Haute-Yamaska
NEXT Trois approches antisociales | Tribune de Genève – .