A Mayotte, le dernier rempart de la République est fragilisé

A Mayotte, le dernier rempart de la République est fragilisé
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Quelques semaines seulement après la promulgation de la loi « immigration », le ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer Gérald Darmanin a annoncé le 11 février, sous les applaudissements de l’extrême droite, une réforme constitutionnelle visant à supprimer le droit foncier. à Mayotte. Cette déclaration faisait suite à la contestation et aux blocages organisés par les Mahorais, autoproclamés « Forces vivantes », face au camp de migrants africains du stade Cavani.

L’historien Patrick Weil a dénoncé un « projet inutile et dangereux qui porterait atteinte à l’indivisibilité de la République ». En validant ainsi la théorie de « l’appel aérien », selon laquelle les droits fonciers seraient attractifs pour les migrants, le gouvernement a choisi un retour en arrière coupable.

Non seulement il a divisé la communauté nationale, mais sa politique n’aura aucun impact sur les flux migratoires, car c’est d’abord une quête de survie qui anime les migrants venus d’Afrique des Grands Lacs (Burundi, RDC, Ouganda, Rwanda) et des Comores qui faire la traversée vers cette île française.

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L’accent mis sur les questions migratoires et sécuritaires masque les problèmes de développement du territoire de Mayotte, qu’ils soient économiques, sociaux, sanitaires, éducatifs, etc. C’est aujourd’hui le département le plus pauvre de France avec 77% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, tandis que le le niveau de vie médian est sept fois inférieur à celui du pays. Elle n’en reste pas moins attractive pour les populations de l’autre rive, qui y voient un eldorado par rapport à leur situation.

Dans ce contexte, l’économie sociale et solidaire (ESS) se retrouve en première ligne pour accueillir les migrants et subit donc la colère des populations locales. L’association Solidarité Mayotte, qui agit pour le compte de l’État en matière d’hébergement d’urgence, a notamment fait l’objet de menaces et d’attaques de la part des populations locales.

Le député Républicain de Mayotte, Mansour Kamardine, s’est empressé d’exploiter la situation en accusant dans Le JDD “Les associations d’aide aux étrangers [de jouer] un rôle considérable dans l’arrivée massive de migrants ». Le SSE sert ainsi de bouc émissaire facile, alors que la situation n’est pas de sa faute et la dépasse.

Une situation critique

La chambre régionale de l’ESS (Cress) de Mayotte a réalisé début février une enquête flash auprès des acteurs de l’ESS pour évaluer l’impact sur leurs activités des barrages mis en place par les mouvements de contestation de la population.

73 entreprises et associations, représentant 2 097 salariés, soit 60 % des emplois de l’ESS, ont répondu. Plus d’un quart d’entre eux se retrouvent dans le secteur de la santé et du social, mais aussi dans l’enseignement et l’éducation, la transition écologique, le sport et les loisirs, les services aux entreprises et le numérique, les arts et spectacles et l’artisanat, l’agriculture et la pêche ou le bâtiment. Parmi les emplois considérés, 461 concernent des personnes en insertion.

Il ressort de l’enquête que les entreprises font état d’importantes difficultés de déplacement pour fournir des services ou accueillir du public, outre des préjugés (stigmatisation des migrants) voire des obstacles (blocages, menaces, etc.) à l’exercice des missions de certaines structures. La moitié des structures étaient à l’arrêt, tandis que l’autre moitié ne parvenait que partiellement à maintenir son activité.

Ceci révèle la vulnérabilité des entreprises ESS à Mayotte, soumises, selon Cress, à “une injonction paradoxale” :

Ils doivent résoudre les problèmes de la société civile puisqu’ils sont le prolongement de l’action publique sur le territoire. […]. Et en même temps, ils sont fragilisés dans leur modèle par manque de vision claire traduite dans les différents plans ou documents d’orientation et dans la gestion des ressources allouées à la mise en œuvre des politiques décidées (retard d’accord, retard de paiement, etc. ). »

Les problèmes s’accumulent, fragilisant à la fois leur modèle économique et la mise en œuvre de leurs activités. Ils subissent ainsi les aléas de la crise ainsi que les revers politiques. Résultat, 10 % d’entre eux envisagent de fermer leur établissement, tandis que 92 créations d’emplois ont été annulées ou reportées.

Restaurer l’égalité des droits

Ces atteintes aux libertés associatives ont conduit le président de l’ESS France, Jérôme Saddier, à interpeller le Premier ministre dans une lettre ouverte.

Respect des principes [républicains] commence par la protection de ceux qui, fidèles à notre devise républicaine, œuvrent chaque jour sur le terrain pour obtenir l’accès aux droits, que ce soit dans les services publics ou dans l’action associative. […] Ces mêmes principes nous invitent à contester la pertinence de la remise en cause totale du droit foncier à Mayotte »il écrit.

Chaque fois qu’une association humanitaire est attaquée, c’est la République qui est touchée. Chaque fois que l’on touche aux droits du sol, c’est l’accès à la citoyenneté et donc l’ensemble de la communauté nationale qui est ébranlé. La réponse du gouvernement continue de séparer Mayotte du reste de la République en maintenant la logique dérogatoire, déjà à l’œuvre pour les prestations sociales et le Smic, dont les niveaux sont inférieurs à ceux en vigueur en métropole.

En légitimant la fracture entre les populations, en l’occurrence les autochtones et les migrants, le gouvernement se détourne du véritable enjeu, à savoir le développement de l’île. Mais cela nécessite l’intégration de tous dans le droit commun et le renforcement de la cohésion sociale.

L’ESS est aujourd’hui le dernier rempart de la République sur l’île. Plutôt que de l’abandonner aux mouvements factionnels, le gouvernement devrait le soutenir et instaurer l’égalité des droits à Mayotte.

 
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