Ma cabane à New York (sur un lit de raviolis)

Devanture en brique ornée de graffitis dans une rue assez anonyme, à l’ombre de quelques gratte-ciel. Les deux grandes portes de garage métalliques rappellent que le lieu était autrefois un atelier de carrosserie automobile.

De plus, Long Island City s’est énormément développée ces dernières années. Le quartier est situé à la pointe ouest de l’immense île de Long Island, dans l’arrondissement de Queens. Seuls l’East River et deux ponts séparent Long Island City du cœur battant de Manhattan.

Le cardel que filete Hugue Dufour est arrivé le matin même au quai de Montauk, à l’autre bout de l’île, à 180 km de là. Il le sait car il est impliqué dans une entreprise de distribution de poisson pêché en haute mer par trois bateaux.

Mais son occupation principale se concentre au restaurant M. Wells. Plus que ça, c’est sa vie.

« C’est un peu mon terrain de jeu, ma cabane à sucre, ma ferme. J’habite ici ! Ma fille de 10 ans a grandi ici, au restaurant», a expliqué le chef québécois au représentant de la SoleilVendredi, une heure avant l’ouverture des portes.

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Hugue Dufour derrière le bar de son restaurant M. Wells, à New York. (Olivier Bossé/Le Soleil)

On a parlé de sa migration et de celle des autres, de sa fameuse tourtière, plat préféré d’Ernest Hemingway, sans oublier la fois où il a envoyé une célébrité Kennedy dîner à L’Affaire est ketchup, à Québec.

Mais surtout du monde de la restauration et de la vie.

Oh oui ! Aussi de son fantasme d’ouvrir un restaurant où personne ne va.

La pratique

Le restaurant d’Hugue Dufour se classe 83ème au tout récent classement de New York Times des 100 meilleurs restaurants de New York. Pas pire quand on sait qu’environ 24 000 restaurants sont implantés dans la Big Apple. Ces dernières semaines, le discours de M. Wells est apparu dans quatre palmarès gastronomiques. Effet bœuf dans le carnet de réservation pour combler les 106 places disponibles.

« J’aime toujours cuisiner. J’aimerais cuisiner ça pendant longtemps. Je le fais plus que jamais ! J’aimerais le faire jusqu’à ce que je n’en sois plus capable », confie le patron des lieux, tout en continuant d’encadrer la poignée d’employés.

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La devanture du restaurant avant l’heure d’ouverture sur Crescent Street à Long Island City. (Olivier Bossé/Le Soleil)

Éclairage tamisé, assuré principalement par deux lucarnes percées dans la toiture. Tout le monde s’active, mais sans se fâcher.

Dufour met aussi la main à la pâte. Au sens propre du terme.

La chef Heather Pelletier déroule un interminable petit tapis de pâte fraîche sur presque tout le long comptoir. Le morceau de pâte mesure environ vingt pieds de long, peut-être plus.

Heather et Hugue préparent d’innombrables quantités de leurs populaires raviolis farcis à la viande fumée à la montréalaise, avec une poitrine préparée « un peu comme celle de Schwartz », dit-il. Évidemment, le duo l’a fait mille fois. Ils vendront plusieurs autres assiettes ce soir.

Même s’il vit à New York depuis 15 ans et vient d’obtenir sa citoyenneté américaine, le natif d’Alma continue de se définir comme un Québécois avant tout.

« New York sera toujours un peu comme chez moi, mais je viens du Québec. Cela a toujours été le cas. Dès qu’on est indépendants, je reviens”, raconte celui qui a épousé une New-Yorkaise, Sarah Obraitis, sa compagne dans la vie et au restaurant.

«Je trouve que j’ai plus d’affinités avec les Américains qu’avec les Canadiens.»

— Le chef Hugue Dufour, qui n’a jamais perdu son accent du Lac-Saint-Jean, « même en anglais !

Son t-shirt usé du Cirque du Soleil n’est qu’une preuve supplémentaire de son attachement à ses racines.

La bombe et le FBI

Le nom du restaurant, M. Wells, n’a rien à voir avec un M. Wells qui y a vécu autrefois. Le Monsieur vient du magasin. L’idée originale du couple était d’ouvrir un « magasin général de choses inutiles ».

Le lieu en a gardé quelque chose, avec des meubles chinés, le grand piano couleur bois, plusieurs objets dépareillés un peu partout, une décoration bigarrée. Et Wells ? C’est le deuxième prénom de Sarah, le nom de jeune fille de sa mère.

L’idée du magasin général n’a jamais vu le jour. D’abord un type restaurant dîner Déjeuner américain, M. Wells s’est retrouvé en 2011 sur la liste des New York Times des « 10 restaurants dans le monde qui valent la peine de voler pour y manger ».

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La décoration du restaurant M. Wells a cette touche bariolée de magasin général. (Olivier Bossé/Le Soleil)

«C’était un peu comme une bombe. Ce sont des choses qui vous arrivent et vous ne comprenez pas vraiment pourquoi », se souvient l’homme aujourd’hui âgé de 46 ans.

En parlant de bombe, leur seul employé de l’époque a été arrêté par le FBI deux jours plus tard. Quelque chose à voir avec la Corée du Nord et le passé de cet ex-militaire spécialiste en informatique. Le gars est revenu, mais n’a jamais pu s’expliquer.

Sans dire que cette section voyage a lancé la carrière d’Hugue Dufour, lui qui avait déjà 10 ans derrière son tablier aux côtés de Martin Picard au Pied de Cochon et à la cabane à sucre Pied de Cochon, à Mirabel, le chef-propriétaire québécois a établi sa réputation. à partir de ce moment-là sur la scène culinaire new-yorkaise.

Aujourd’hui, 13 ans plus tard, le New York Timesnous rétablit à nouveau. C’est comme dire : « Hé, nous sommes toujours là ! Nous sommes toujours les meilleurs ! note-t-il, sans chercher à suranalyser les choix des journalistes.

A eux deux, ce secteur de la ville a accueilli 175 000 nouveaux arrivants. «C’est Trois-Rivières dans 15 ans!» note Dufour, soulignant que chacun des gratte-ciel construits autour de lui ces dernières années représente un nouveau village de 2 000 à 3 000 habitants, dont une bonne proportion de personnes d’origine chinoise.

Truite vivante dans la cuisine

C’est Hugue sans s. “Ma mère n’a jamais porté de S”, assure-t-il. Mais avec ou sans, les Américains ont beaucoup de mal à le prononcer. L’autre fois, après lui avoir demandé son prénom, une vieille dame l’a simplement appelé… Bradley.

Même s’il a dit au fil des années qu’il aimerait revenir au Québec avec sa famille pour ouvrir un restaurant marocain à Québec, une ville où il aime ça, ou encore une cabane de fruits de mer au bord du lac Saint-Jean, Dufour le fait. Il ne voit pas quitter New York à court ou même moyen terme.

Il développe actuellement un projet de production et de distribution à grande échelle pour sa supertourtière, «la fameuse tourte à la viande québécoise», lit-on sur le site du restaurant. Un plat qu’il vend à la pièce avec un grand succès entre Thanksgiving et Pâques. À 55 $ US, le pot de ketchup aux canneberges n’est pas inclus.

Il en prépare environ 1000 par an. Pour son projet, il lui faudra 30 000 en prévente avant même de commencer à rouler la pâte.

« Avoir un restaurant, c’est de moins en moins lucratif », pèse-t-il avec réalisme.

« Les gens sortent moins, les jeunes boivent moins, se rassemblent moins. Ce que nous appelons les réseaux sociaux sont des isoloirs sociaux. Nous sommes de moins en moins ensemble.

— Hugue Dufour, chef-propriétaire du M. Wells, à New York

L’effondrement de la classe moyenne, combiné à la hausse des salaires dans les restaurants, des prix de l’énergie, des loyers et des impôts, conduit les restaurateurs à diversifier leurs sources de revenus.

Mais son plus grand plaisir professionnel reste de cuisiner dans son restaurant pour ses clients.

>>>Une vingtaine de truites vivantes barbotent dans la cuisine de M. Wells.>>>

Une vingtaine de truites vivantes barbotent dans la cuisine de M. Wells. (Olivier Bossé/Le Soleil)

Qu’il s’agisse de la traditionnelle bavette, qu’il maintient toujours au menu sous une forme ou une autre et qu’il décrit comme une « main dans les cheveux » culinaire rassurante. Ou encore la truite bleue, son plaisir coupable.

Pour concocter cette spécialité alsacienne où la cuisson pochée donne au limon des écailles du poisson un reflet bleuté, M. Wells entretient en cuisine un bassin rempli d’une vingtaine de truites vivantes qui barbotent sans savoir ce qui les attend quelques heures plus tard.

«C’était le plat préféré d’Ernest Hemingway», ajoute Dufour, à propos de cette assiette sans fromage bleu.

Une utopie dans ski-doo

Si le chef québécois aime recevoir des clients, il leur recommande aussi parfois d’autres restaurants.

Comme L’Affaire est ketchup, sur la rue Saint-Joseph, à Québec.

Le fils de l’ancien juge de la Cour suprême des États-Unis Anthony Kennedy, sans lien de parenté avec John F. et sa lignée, est un client régulier de M. Wells. Il allait fêter l’anniversaire de son père à Québec et demanda à Dufour une bonne adresse.

« Il voulait quelque chose de différent, il allait au Québec pour la première fois. Alors je les ai appelés, j’ai réservé une table pour quatre. Ils se sont effondrés ! Ils se sont éclatés ! Et personne ne les a reconnus.

— Hugue Dufour, en riant, sur sa recommandation au fils d’Anthony Kennedy

Une expérience culinaire fantastique, mais à des années-lumière de ce dont rêve Hugue Dufour comme son propre mythe fondateur. Ce fameux « restaurant où personne ne va », une expression qui a tout pour décourager son compère et compagne.

>>>Le quartier de Long Island City s'est beaucoup développé ces dernières années, mais pas toujours de la meilleure des manières selon Hugue Dufour.>>>

Le quartier de Long Island City s’est beaucoup développé ces dernières années, mais pas toujours de la meilleure des manières selon Hugue Dufour. (Olivier Bossé/Le Soleil)

« Mon père est fou de motoneige. Quand j’étais petite, il nous emmenait ma sœur et moi, nous faisions de longs road trips. Il m’a attaché à lui pour que je ne tombe pas, parce que je m’endormirais», raconte-t-il avec nostalgie.

« Nous avons passé des petits arrêts, dont un en particulier et je me demande parfois si je n’en ai pas rêvé. Il y avait juste un peu tinque du gaz dehors, même pas d’électricité, un vieux poêle Bélanger, de la soupe sur le feu. Vous réchauffiez vos mitaines. Vous êtes resté là quelques heures.

« Il y avait une dame qui était là avec son fils. Une ou deux chambres à l’étage, au cas où vous auriez besoin de passer la nuit. Mais c’était vraiment un désastre. Ça m’a frappé. J’ai trouvé ça magique ! Je me suis dit : c’est ça la restauration. Arriver un peu dégradé, puis on vous prend et vous restaure », résume le chef, ému par la saveur réconfortante de ce souvenir d’enfance enveloppé dans un temps suspendu.

Comme les raviolis les plus parfaits pour l’âme.

 
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