A Paris, sur le Pont des Arts, ces habitants profitent de la nuit pour retirer les cadenas aux touristes

A Paris, sur le Pont des Arts, ces habitants profitent de la nuit pour retirer les cadenas aux touristes
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Soleil couchant sur le Pont des Arts. Un moment privilégié pour les photographes. Sur les premières planches de l’ouvrage, qui relie le 1er arrondissement de la capitale au 6e, les amoureux s’enlacent. Un peu plus loin, près du Louvre, Laura, une maman venue d’Argentine pour la première fois avec sa fille, accroche un cadenas à l’un des lampadaires avec vue sur la Tour Eiffel. Un geste anodin qui à la fois immortalise dans une photo souvenir.

Le moment est riche de sens pour Laura. “Dans l’un de mes romans préférés (par Julio Cortázar), deux amoureux y accrochent un cadenas pour sceller leur amour. Je veux faire la même chose pour mon amoureux de vingt ans, resté en Argentine. Il fallait que je fasse ça, c’est une partie importante de mon parcours, un symbole. Je viens de faire un vœu », explique-t-elle en désignant un petit cadenas bleu.

Mais c’est sans compter la présence de Guy dans le dos du touriste. Sur le candélabre d’en face, cet habitant du VIe siècle s’affaire depuis plusieurs minutes à démonter tous les antivols de vélos installés pour accueillir des dizaines de cadenas. D’une main, il glisse une barre de fer derrière l’antivol et, à l’aide d’un levier, fait céder le réceptacle du cadenas. L’autre main le tient pour éviter que cette étrange guirlande de plusieurs kilos ne tombe dans la Seine.

Le geste est contrôlé. Et pour cause, Guy vient « libérer » le Pont des Arts, classé monument historique, presque chaque semaine.

« Le vrai romantisme est l’amour du patrimoine. Il ne s’agit pas de suivre des tendances populaires un peu stupides, mesquines et laides, plaide ce Franco-Américain. Madame, voulez-vous récupérer votre cadenas ? », suggère-t-il au touriste sud-américain. “Non, je m’en fiche, je continuerai à penser qu’il est là pour toujours”, rétorque Laura, qui comprend l’agacement de ce défenseur du Pont des Arts. Guy avoue avoir déjà choqué les touristes.

Sur les réseaux sociaux, son initiative a en tout cas fait des émules. Les images de ses actes sont vues des milliers de fois et certains vont même jusqu’à l’imiter. Mercredi soir, plusieurs ont répondu à son appel, équipés de petits outils. Mais Guy a déjà tout dans son sac : barre de fer, coupe-boulons, marteau… « C’est une initiative saine et simple, comme ramasser les déchets devant chez soi », juge Laurent, qui a embrassé ici, pour la première fois, celui qui est devenu la mère de ses enfants.

Pas du goût des vendeurs de cadenas

Guy est rassuré par la présence de ce support. Car il raconte avoir eu plusieurs altercations avec des vendeurs de cadenas. «Quand je faisais ça sur la passerelle Solférino (aujourd’hui passerelle Léopold-Sédar-Senghor), ils ont été violents et ont envoyé mes outils dans la Seine », se souvient-il. Depuis, Guy opère la nuit, lorsque les vendeurs de cadenas ont quitté les lieux.

Les vendeurs réinstalleront le lendemain, tôt le matin, des antivols avec des cadenas pièges à touristes. Des cadenas attachés par leurs soins, pour faire croire aux passants qu’ils ne sont pas les premiers à s’adonner à cette pratique et les convaincre d’acheter le leur… Et de l’accrocher à leur tour.

«C’est le travail de la mairie»

L’amour de Guy pour la protection du Pont des Arts a pris un tournant lors du premier confinement. Pour occuper ses longues journées, il venait nettoyer les vitres qui remplaçaient les parapets grillagés qui avaient accueilli malgré eux des tonnes de cadenas « d’amour » entre 2008 et 2015.

D’autres résidents, qui profitaient de leur attestation pour venir ici, l’ont rejoint. « En quinze jours, nous avions nettoyé tous les tags et affichages sauvages, retiré tous les cadenas… L’ouvrage de la Ville en fait », raconte le quadragénaire, qui alterne entre sa langue maternelle anglais et français. Rapidement, un collectif se crée.

Barre de fer, coupe-boulons, marteau : Guy a tout dans son sac pour retirer les serrures et cadenas du Pont des Arts. LP/Élie Julien

Les habitants se disent irrités de « devoir faire les travaux de la mairie, qu’il n’y ait pas de chasse au vendeur quand on voit les millions investis pour entretenir et réaliser des travaux ici ». Ces derniers s’en prennent au même homme, « qui a ici le monopole de la vente des cadenas depuis 2013 », assure Guy. « Je l’ai retrouvé dans des images de l’époque ! »

“Un sujet compliqué”, pour la maire de Paris Centre

Cet homme, avec qui il a échangé de nombreuses plaisanteries par le passé, « se vantait d’avoir été verbalisé des centaines de fois sans jamais avoir payé d’amende », rapporte Guy. Nous lui avons acheté un cadenas – 7 euros pièce, ce qui laisse présager le chiffre d’affaires réalisé chaque jour – en nous faisant passer pour des touristes pour l’interroger. En vain : le colporteur nous demande brusquement de partir.

Ariel Weil, le maire (PS) de Paris Centre, le connaît bien. «Je lui ai demandé de repartir la semaine dernière. Mais il revient une heure plus tard, regrette l’édile. Idem lorsque la police lui demande. » L’élu pointe « un sujet compliqué à gérer » en raison du partage du pont avec le 6e arrondissement.

“Il n’y a aucun danger dans la maison, mais elle n’est pas belle”, poursuit Ariel Weil. Nous détruisons les cadenas que nous trouvons mais, comme les pièces de monnaie de la fontaine de Trevi à Rome, les traditions ont la vie dure. » L’élu s’avoue impuissant. “Nous continuerons à ne pas lui rendre la vie facile, mais il faut beaucoup de moyens pour un résultat faible”, reconnaît-il.

Des panneaux pour dissuader les touristes ?

Pas de quoi satisfaire ces amoureux, qui réclament au moins des panneaux pour dissuader les gens d’accrocher ici des cadenas. “Il pleut des écluses !” (« Il pleut des cadenas ») », termine Guy, après avoir enlevé un septième candélabre en une heure, d’un grand coup de marteau.

Il existe encore des cadenas fixés en hauteur, qui nécessitent un escabeau et une meuleuse. Sans oublier les dizaines de milliers d’autres qui ont pris place à quelques kilomètres de là, aux portes de la Butte du Sacré-Cœur à Montmartre (XVIIIe siècle). Des cadenas définitivement solidement attachés à Paris.

 
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