comment les téléphones portables aident les migrants à surmonter l’épreuve des traversées dangereuses

Seydou Cissé est un artiste plasticien et réalisateur malien qui vit et travaille à Roubaix. Dans son film documentaire « Taamaden », il a recueilli les récits de migrants venus d’Afrique qui ont bravé la traversée de la Méditerranée en restant connectés à leur marabout via leur smartphone.

Ouloulou, Baldé et Doucouré sont trois jeunes réfugiés arrivés à Valence, en Espagne, en provenance d’Afrique de l’Ouest. Au Mali, Bakar prépare un nouveau voyage après une tentative ratée de traversée. Pour tous, la traversée éreintante et traumatisante de la Méditerranée se prépare et se réalise smartphone à la main.

Seydou Cissé arrive en France en 2010, à l’âge de 29 ans, pour intégrer l’école d’art du Fresnoy à Tourcoing. “Le méditéranéenil a dit, Je l’ai survolé”. En 2019, l’artiste a obtenu une résidence invitée à la Casa Velazquez, Madrid. Depuis la capitale espagnole, il effectue de nombreux voyages jusqu’à Valence, quelques centaines de kilomètres plus au sud du pays. Là, au fil des mois, il a rencontré des dizaines de Maliens, comme lui, et d’autres jeunes hommes demandeurs d’asile en provenance d’Afrique de l’Ouest. Avec eux, l’artiste a noué des liens, tantôt fragiles et éphémères, tantôt durables.

« Une tasse de thé fumant à la main, posés par terre dans ce pays où le centre-ville est toujours à taille humaine, nous discutions, encore et encore, jour après jour. Cette atmosphère presque détendue m’a permis de les connaître à travers leurs histoires personnelles, leurs rêves futurs plutôt que leurs cauchemars passés.

Le smartphone est utile à bien des égards à ces jeunes. D’abord outil de communication, ils abritent les contacts et numéros de téléphone de la famille, des amis, mais aussi d’un passeur, d’un avocat, d’une association, d’un employeur potentiel, etc.

Ensuite, il y a les photos. Photos de famille restées au pays, d’êtres chers, d’une maison ou d’un village, souvenir d’une vie passée. Les photos du dur voyage en mer, qui confirment les récits et témoignent des difficultés et des souffrances endurées. La peur, la soif et la faim rendent la traversée de la Méditerranée hallucinante et hallucinogène. “Certains m’ont parlé d’animaux, de voitures, de routes qu’ils avaient devinés ou observés à la surface de l’eau”rapporte l’artiste.

Dans les téléphones, on trouve aussi, très souvent, le numéro d’un guide spirituel, ou marabout, avec qui les migrants sont en contact, pendant le voyage d’exil et après leur arrivée sur le continent européen. Cela permet aux convictions du continent africain de s’exprimer encore et de soutenir les réfugiés.

« J’ai remarqué que la majorité de ces personnes font des petits rituels, comme ça, qui rythment leur quotidien. Ces gens, ils sont en communication avec leurs maîtres spirituels qui sont de l’autre côté de la mer et ils sont tout le temps avec des smartphones.

On voit des jeunes enterrer des œufs dans le sable ou verser du lait dans la mer sur les plages espagnoles. Tous ces rituels et prières, dictés par les marabouts en ligne, sont autant de moyens de connexion spirituelle, qui apportent soutien et réconfort aux jeunes demandeurs d’asile. « Un véritable gris-gris cellulaire des temps modernes »dit Seydou Cissé, qui veut « raconter l’immigration autrement en entrant dans leur intimité ».

Taamaden, un film de Seydou Cissé – Co-écrit avec Dieudonné Alaka
Une coproduction Don Edkins / Tiny Mungwe / Steps / Tara / Néon Rouge / Les Films du Bilboquet / Pictanovo / France Télévisions

A voir ce jeudi 11 avril à 22h55sur France 3 Hauts-de-France et sur france.tv