Un trafiquant présumé s’en sort faute de services en français

Un trafiquant présumé s’en sort faute de services en français
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Arrêté à l’aéroport de Toronto avec près de 4 kg d’héroïne, un Français n’aura pas à subir son procès parce que ses droits linguistiques ont été bafoués, a statué la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Un verdict « rare », selon un expert, qui devrait tirer la sonnette d’alarme sur le manque de personnel et de juges bilingues.

Dans une décision publiée en mars et rapportée pour la première fois par les médias ONFR, la juge Cynthia Petersen a ordonné l’arrêt des procédures contre Maxime Langlet, qui risque jusqu’à 14 ans de prison. Le 23 mai 2022, le citoyen français a été arrêté par la Gendarmerie royale du Canada à son arrivée à l’aéroport Pearson de Toronto, car près de 4 kg d’héroïne ont été retrouvés dans ses bagages. Il est ensuite accusé d’importation d’héroïne, de complot en vue d’importer de l’héroïne au Canada et de possession d’héroïne en vue d’en faire le trafic.

Au palais de justice de Brampton, en banlieue de Toronto, M. Langlet demande que les procédures se déroulent en français, comme le permet le Code criminel. Il choisit également d’être jugé avec une enquête préliminaire. Ce processus habituellement « bref », indique le juge Petersen, s’étendra sur 10 jours en raison de la « nécessité de recourir à des services d’interprétation ». Mais la Cour, « malgré ses efforts, n’est pas en mesure de proposer des dates pour la tenue d’une audience en français ». La disponibilité a finalement été constatée en janvier et février 2024, soit environ 20 mois après le dépôt des accusations.

Craignant qu’il ne soit pas possible de garantir un procès dans le délai raisonnable de 30 mois prévu dans l’arrêt Jordan, la Couronne a suggéré à la défense, entre autres solutions, que l’affaire soit renvoyée devant le tribunal d’Ottawa, « ce qui pourrait éventuellement – pouvoir mieux accueillir un dossier en français ». Quelques jours plus tard, le procureur a initié une demande de mise en examen directe, sans enquête préliminaire. Un procès devant jury, en français, est alors prévu en avril 2024, avant la fin des 30 mois. Mais c’est à ce moment que M. Langlet demande l’arrêt des procédures.

Agir dans « les limites » du système

Le prévenu ne refuse pas de saisir le tribunal. Il défend que « s’il était anglophone, il aurait bénéficié d’une enquête préliminaire ». Ce mécanisme n’est pas un droit constitutionnel, mais il permet à l’accusé de mieux préparer son procès. Un avantage dont il ne devrait pas être privé en raison de son choix linguistique, affirme le juge.

Le procureur “a fait ce qu’il a pu dans les limites d’un système qui manque de moyens pour traiter les dossiers en français”, reconnaît M.e Petersen. “De nombreux facteurs […] contribuer à des retards systémiques », dit-elle, citant notamment le manque de personnel et le manque de salles d’audience.

Mais dans ce cas précis, les retards proviennent « d’une infrastructure institutionnelle déficiente pour traiter les dossiers en français », violant « systématiquement » les droits linguistiques des accusés. « Les membres de la minorité francophone, qui constituent une tranche importante du public, seraient consternés, voire dépassés. [par ce résultat]. »

« Il n’y a pas d’autre recours qu’un arrêt des procédures qui serait de nature à corriger l’atteinte aux droits linguistiques du requérant », a alors statué le juge. La Couronne n’a pas encore indiqué si elle ferait appel de cette décision.

Un avertissement

Selon l’avocat versé au dossier, Me Alina Sklar, il s’agit d’une « victoire significative pour la défense et pour les droits des francophones en Ontario », estimant qu’elle « établit un précédent important ».

Comme tout arrêt des procédures — « le remède le plus draconien qu’un tribunal puisse ordonner » — ce type de décision est « extraordinaire », affirme François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Sauf que cette fois, cela résulte « d’un défaut systémique, de l’incapacité du système lui-même à fonctionner de manière bilingue ». «C’est très rare», a déclaré M. Larocque.

« En matière de droits linguistiques, […] la Cour envoie des messages très clairs aux gouvernements selon lesquels il y a des failles institutionnelles qui doivent être réparées », ajoute le titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques. « Cela signale un problème flagrant lorsque le palais de justice le plus achalandé de l’Ontario ne dispose pas des ressources dont il a besoin. […] Si je suis procureur général de l’Ontario et procureur général du Canada, j’ai des leçons à tirer de cette décision. »

La décision «devrait à tout le moins faire appel au commissaire aux services en français de l’Ontario, Carl Bouchard, pour enquêter et faire des recommandations», affirme l’avocat spécialisé en droits linguistiques, Mark Power. « Le problème est systémique. La solution doit donc l’être aussi. Que feront-ils et quand ? », ajoute-t-il en interpellant à la fois le procureur général de l’Ontario et le ministère des Affaires francophones de la province.

Contacté par Le devoir, le procureur général de l’Ontario et le Commissariat aux services en français ont respectivement refusé de commenter, parce que « cette affaire est en période d’appel » et parce qu’il n’avait pas « étudié » le dossier. « Tout ce que nous pouvons dire, c’est réitérer que l’accès à la justice en français est une priorité pour le commissaire et notre équipe », a ajouté l’Office. Le ministère des Affaires francophones n’a pas répondu.

Ce rapport est soutenu par l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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