Narratif L’incident s’est produit jeudi 4 avril après-midi alors que l’avocate n’a pas pu obtenir le renvoi de son dossier. Avocats et magistrats se sont expliqués aujourd’hui dans une ambiance tendue.
Par Mathieu Delahousse
Publié le 5 avril 2024 à 17h01Mis à jour 5 avril 2024 à 18h05
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Dans le film « 9 Mois à la Ferme », Antoine Dupontel a brillamment mis en scène en 2013 un procès très limite, notamment parce que la juge était enceinte jusqu’aux yeux. En réalité, lorsqu’une scène similaire s’est produite ce jeudi 4 avril devant le 16e salle du tribunal correctionnel de Paris, personne n’a pensé une seule seconde à en sourire. C’est plutôt l’étonnement qui s’est emparé de l’enceinte judiciaire, suivi d’une vive protestation des avocats, interrogeant le tribunal pour avoir refusé l’ajournement du procès demandé par une avocate enceinte de 8 mois et demi. La saisine a été refusée en raison notamment du fait que le prévenu, poursuivi pour « faux vol », disposait d’un autre avocat.
L’avocat a perdu les eaux
Les faits se sont produits en début d’après-midi, jeudi 4 avril. L’avocate parisienne, en robe, a subitement perdu les eaux, puis a subi une crise la faisant tomber au sol où elle a été secouée par une crise d’épilepsie. “Je me suis retrouvé nez à nez avec un collègue, au sol, qui tremblait dans un liquide sans que je sache quoi faire”son collègue Hédi Dakhlaoui a témoigné ce vendredi lors d’une audience devant le tribunal à laquelle, en signe d’émotion et de protestation, ont tenu à assister le président de Paris, son vice-président et une dizaine de membres du Conseil. de l’Ordre, tous en robes.
Au-delà de l’incident spectaculaire qui a entraîné l’évacuation de l’avocate sur civière et son traitement médical « dans un état stable »“, ont rassuré ses proches, l’affaire a provoqué de grandes tensions. Ceci a été résumé par Me Philippe Gründler, avocat des parties civiles dans l’affaire de vol aggravé que le tribunal devait juger :
« En quarante ans de carrière, je n’ai jamais vu ça. Nous sommes dans une situation de tension entre avocats et magistrats qui est catastrophique. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Nous devons y réfléchir. Si on ne cherche pas l’équilibre, on joue avec le feu. »
Le malaise de l’avocat s’est en effet produit alors qu’un bras de fer s’était développé entre les avocats de la défense et le tribunal. Le premier exigeait le classement sans suite de l’affaire, ce que le tribunal n’était visiblement pas prêt à accorder.
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Demande de renvoi du dossier
L’avocate enceinte avait mis en avant son état de santé et le fait qu’elle souhaitait assurer la défense de ce dossier qu’elle suivait depuis le début tandis que le deuxième avocat du prévenu mettait en avant un emploi du temps surchargé : il devait en même temps plaider. à Nanterre et Créteil et n’ont pas pu ajouter Paris à la liste. D’après M.e Hédi Dakhlaoui, le président du tribunal, n’était pas convaincu, laissant entendre, selon lui, que “ce n’était pas grave” et donner l’impression “que les avocats étaient interchangeables”.
Ce vendredi 5 avril, le président du tribunal a nuancé ces derniers propos « à la limite de l’indignation » a « Mettez cela sur le compte de l’émotion ». Elle l’a elle-même exprimé “émotion” du sort de l’avocate victime du malaise mais a tenu à rappeler les conditions dans lesquelles le report du procès avait été refusé la veille, justifié selon elle par “mesures de sécurité” de l’accusé défendu par l’avocate et son confrère.
Fait rare : en raison de la tension et pour clore l’incident, les représentants des avocats ont pu s’exprimer à l’audience. Vanessa Bousardo, vice-présidente de Paris, a démenti vouloir « créer du tumulte » avec une telle présence de robes noires dans la salle mais a souligné que, dans cette affaire, « les conditions de sérénité » n’étaient pas réunis. « Nous espérons développer une collaboration plus forte entre avocats et magistrats, nous savons que la justice est rendue dans des conditions dramatiques, que les stocks [d’affaires à juger] sont terribles et le public est problématique », a-t-elle plaidé devant ce tribunal qui a également été fortement marqué ces dernières semaines par la disparition, après un accident vasculaire cérébral, de l’un de ses présidents. Cependant, a-t-elle soutenu, ” le soi “ au Barreau de Paris est considérable :
« La situation d’une avocate enceinte qui vient demander une saisine est un enjeu majeur et il faut savoir en tenir compte. »
Ce vendredi, le tribunal a accordé le report du dossier demandé par les avocats. Un signe d’apaisement alors que des nouvelles de la maternité sont attendues dans les prochains jours, en toute discrétion.