le face-à-face de deux ex-magistrats qui se présenteront aux élections (vidéo)

le face-à-face de deux ex-magistrats qui se présenteront aux élections (vidéo)
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Magistrats, quel regard avez-vous sur la politique et les politiques ? Y avait-il de l’enthousiasme ? Amertume? Incompréhension? Colère ?

Michel Claise : Il y a d’abord le principe de séparation des pouvoirs qui est fondamental ; De temps en temps, on a assisté à un certain nombre de pénétrations de l’exécutif dans le monde judiciaire dont on aurait pu se passer. Il faut un meilleur respect de l’exécutif à l’égard du monde judiciaire, cela fait l’unanimité au sein du pouvoir judiciaire (…) Les magistrats constatent de temps en temps, avec un certain ressentiment, en matière d’immigration par exemple, que la Belgique a été condamnée 9.000 fois sans réel suivi quant à l’exécution des décisions. Il y a là encore un vrai problème.

Luc Hennart : Lorsque j’ai occupé ce poste de président du tribunal de première instance de Bruxelles, j’ai dû prendre des positions politiques au premier sens du terme. Cela a fait sourciller nombre de personnes qui se demandaient comment je pouvais parler de ma proximité avec le PS, que ce n’était pas normal pour un magistrat. les magistrats ont une opinion politique. Un magistrat qui dit qu’il n’en a pas, je pense que ce serait un magistrat dangereux ou en tout cas pas un bon magistrat (…) Là où je suis d’accord avec Michel, j’ai été très inquiet ces derniers temps de ce manque de respect pour ce que les juges ont statué dans différentes affaires (…) Un certain nombre de politiques ont considérablement réduit les ressources de la justice et de tous les services publics. Je pense au gouvernement Michel qui a réduit tous les budgets de 10 %. Sur le plan législatif, on s’est parfois demandé ce qui avait pu inspirer certaines dispositions. Parfois, ce qu’on met en place est complètement absurde, parce que ça ne marche pas. Ce sont souvent des moments où un entraînement en force est nécessaire. Un tout dernier exemple en date est le retour à l’ordre du jour de la procédure accélérée. C’est encore une fois la case prison qui est mise en avant, on est encore dans un monde fou : pour bénéficier d’une procédure accélérée, il faut passer par la case prison. Cela ne marchera pas et quand je parlerai de renforcement musculaire, nous dirons aux citoyens que nous avons pris des décisions pour mettre fin à l’impunité et que ce sont encore les juges ou les procureurs qui n’utilisent pas les outils. Cela entraînera une détérioration de la confiance que les citoyens doivent avoir dans leur système judiciaire.

Si l’on parle encore du snelrecht, est-ce pour éviter un sentiment d’impunité chez les personnes qui commettent un délit et sont jugées un an plus tard ?

Luc Hennart : Tout cela manque de cohérence. Il y a eu une procédure de comparution rapide sur la base d’un procès-verbal établi par le procureur du roi et cela a fonctionné ; le taux de récidive est extrêmement faible, car tous les mécanismes judiciaires sont bien mis en place ; il y a eu une mobilisation de tous les acteurs (…) Je crois que Michel et moi sommes d’accord sur le constat : ce qui donne ce sentiment d’impunité, en matière familiale par exemple, c’est qu’on attend des mois et des mois pour se prononcer sur une discussion aussi importante comme droits de garde ou contributions alimentaires. C’est une honte. Au lieu de faire de la musculation, voyons concrètement comment les choses peuvent se passer. Le premier travail à faire est de remplir les cadres : juges, greffiers, procureurs. En 2019, au tribunal de première instance que j’ai présidé, avec un encadrement renforcé et la mobilisation de tous les acteurs, il n’y avait plus d’arriéré judiciaire. La démonstration que si l’on répond aux vraies questions, il existe des solutions. C’est ce moteur qui sera le mien, si d’aventure j’ai quelque chose à dire plus tard.

Michel Claise : Dans ce snelrecht, on oublie la victime. En organisant ce type de procès, il ne faut jamais négliger la présence d’une personne lésée par un acte criminel. Il existe des lois, notamment la loi Franchimont, qui permettent aux victimes de participer au procès pénal, c’est une grande avancée qui peut malheureusement être annulée par des décisions telles qu’elles viennent d’être prises (…) On parle de justice pénale (qui représente 5 ou 6% de la justice), mais la justice civile est tout aussi malmenée. Le vrai problème est que le pouvoir judiciaire dépend du pouvoir exécutif d’un point de vue budgétaire. Là, il y a un déséquilibre à constater car l’une des conséquences dramatiques est la dévalorisation du métier de magistrat. Pensez-vous que les meilleurs qui sortent de l’université veulent entrer dans la magistrature, un métier magnifique, alors que les magistrats disent avoir un salaire pour remplir à terme deux rôles de juge ? Je ne dis pas qu’il faut augmenter les salaires, mais il faut rééquilibrer l’exercice de la justice. Cela concerne les magistrats, mais également le greffe et tous les acteurs qui travaillent au SPF Justice. Curieusement, elles sont les moins bien payées de toutes les administrations. Quand l’association syndicale de la magistrature dit qu’il faut un plan Marshall pour sauver la justice, je suis d’accord à 100 %.

Magistrat, un métier à revaloriser, une attractivité à retrouver. Est-il indispensable de résorber un retard juridique parfois colossal ?

Michel Claise : Pour moi, revaloriser, c’est remplir les cadres, comme le disait très justement Luc. Ces cadres doivent être revisités car la société évolue : est-il normal que devant la Cour d’appel de Bruxelles en matière fiscale, entre le moment où l’affaire est introduite et le moment du plaidoyer, que se passe-t-il 16 ans ? ! Dans cette revalorisation, il y a aussi l’augmentation des cadres nécessaires et aussi, en matière pénale en particulier, il y a un besoin criant de revoir les systèmes des parquets : combien d’affaires sont classées sans suite faute de moyens , alors qu’on connaît la victime et l’agresseur ? Nous devons véritablement restaurer la justice envers la citoyenneté. C’est fondamental.

Luc Hennart : Ce dont nous avons besoin en premier lieu, ce sont des magistrats, des procureurs, des juges ou des greffiers. C’est un mécanisme qu’il faut continuer à entretenir (…) Une de mes critiques est que nous avons mal fait un certain nombre d’investissements. Prenez le collège des cours et tribunaux, s’il y a vraiment là une institution inutile… Supprimons-le et allouons ces ressources à ceux qui font le travail, à ceux qui sont dans le business du charbon (…) Ça m’a un peu fait sursauter quand vous étiez parler d’attractivité. Les candidats échouent aux examens, on nous dit qu’ils sont trop difficiles, qu’il faut alléger les exigences. Pour respecter le cadre, serait-il nécessaire de réduire les exigences ? Il y a toujours un problème. Je crois que les exigences doivent rester élevées. Soyons prudents : ne comblons pas les trous au hasard (…) C’est tout le contraire. Il faut redorer l’image de ces métiers.

Vous parlez de réinvestir dans la justice. Avez-vous une idée du montant approximatif qu’il faudrait investir chaque année pour que cela fonctionne ? Nouveaux moyens ou moyens réorientés ?

Michel Claise : Il y a les deux. Je plaide pour un refinancement global de la justice qui inclut également le système pénitentiaire. Selon une étude proportionnelle, par rapport aux ressources accordées au niveau européen, il faudrait refinancer à hauteur d’un peu plus d’un milliard et je voudrais aussi inclure la police car, de temps en temps, ce sont deux des pièces d’un puzzle et là, j’ai avancé le chiffre de 500 millions (…) En parlant de réorganisation, on a raté le rendez-vous informatique. J’ai reçu un nouvel ordinateur, il avait 8 ans. Là aussi, un effort serait nécessaire pour permettre aux citoyens d’avoir un accès plus facile à la justice. Nous devons embaucher et attirer les meilleurs.

Luc Hennart : Augmentation du budget, certes, mais en matière d’infrastructures, il faut éviter de jeter l’argent par les fenêtres. Prenez le tribunal de Namur. On va ouvrir un immeuble et on vous dit : ah, les meubles seront disponibles dans un an. Et quel est le coût ? C’est considérable. Il existe de nombreux exemples de ce type. Si nous parlons d’investissements dans la police, bien sûr, il faut les faire, mais il faut investir dans les gens sur le terrain, les agents de quartier, tous ceux qui font un travail absolument remarquable et qui sont pour beaucoup d’entre eux dégoûtés parce qu’en réalité ils sont abandonnés à leur triste sort. Il en va de même pour les gardiens de prison. Nous avons investi dans le village pénitentiaire de Haren, tout cela a l’air magnifique, mais c’est l’horreur ; Cela a coûté je ne sais combien de dizaines de millions d’euros, au profit du secteur privé qui l’a construit, qui en assure l’entretien, la nourriture, etc. Il n’est pas question de surpopulation dans ces prisons. Dès qu’il y a un prisonnier de trop, nous l’envoyons dans les prisons qui sont dans l’état que nous connaissons. Nous devons réfléchir à la manière dont nous utilisons nos ressources et chacun doit nettoyer ses propres portes. Je peux aussi vous parler du conseil, de cette maladie qui nous coûte aujourd’hui beaucoup d’argent pour une utilité parfois égale à zéro. Revenons à l’essentiel : disposons de personnes motivées qui veilleront à ce que la justice soit rendue de manière qualitative et dans des délais courts. Là, je pense que nous aurons véritablement accompli notre mission. Tout le reste n’est que façade. On peut réinvestir un milliard, s’il est géré d’une manière ou d’une autre, il s’évaporera comme l’eau des océans.

 
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